Killer Mike et EL-P ne sont pas à leur premier coup d’essai. Trois albums, tous de grande qualité, ont précédé cet opus. Tous sont politiquement conscients et frappent là où ça fait mal. La société américaine a beaucoup de démons et le duo n’a jamais retenu ses coups. Ce dernier album de Run The Jewels, RTJ4, sorti pendant l’une des périodes de soulèvement et de révolte les plus saisissantes de ces dernières années, fait probablement encore plus l’effet d’un coup de poing.
La mort violente et insupportable de George Floyd a fait réagir le monde entier. Les rappeurs ont depuis toujours dénoncé les violences policières et racistes. De Fuck The Police de N.W.A à Walking In The Snow de Run The Jewels, le même problème est pointé du doigt et rien ne change. Depuis près de 30 ans, la musique change, les beats changent, les flows changent, la violence reste.
Alors qu’en est-il de cet album ? La brillance est intact. EL-P est un producteur exceptionnel. Il insuffle aux protest songs une urgence, une alerte vitale grâce à ses beats uniques. Killer Mike nous offre parmi ses meilleures textes, aussi acides que terriblement clairvoyants. And every day on the evening news, they feed you fear for free. And you so numb, you watch the cops choke out a man like me. Until my voice goes from a shriek to whisper, “I can’t breathe” : C’est un des couplets de l’immense Walking In The Snow et il nous hante après les images de George Floyd.
Dans JU$T, Pharell Williams prête main forte et pose un refrain dédié à toute l’impuissance et l’hypocrisie d’un système oppressif qui se recycle, déchets sur déchets : “Master of these politics, you swear that you got options (Slave, yeah). Master of opinion ’cause you vote with the white collar (Slave). The Thirteenth Amendment says that slavery’s abolished (Shit). Look at all these slave masters posin’ on yo’ dollar (Get it?)”
RTJ4 a tout le ras-le-bol des précédents travaux du duo mais résonne de manière éclatante. Comme si ces textes bouillonnants étaient comme une casserole sur le feu. Ils l’ont pressenti car c’était là, devant eux, devant leurs yeux. Et ça ne pouvait qu’aboutir à l’explosion actuelle. RTJ4 est incendiaire et nous rappelle que le rap est avant tout une expression politique et qu’elle reste la prise de parole la plus brute, franche, honnête, désespérée et puissante qui soit. Quand on entend Fuck The Police ce n’est pas une provocation facile, c’est un cri d’alarme contre une institution qui reproduit un racisme systémique et tue ses enfants.
L’album se finit sur l’incroyable a few words for the firing squad (radiation) où les mots sont expulsés dans un dernier doigt d’honneur avant le break : This is for the do-gooders that the no-gooders used and then abused. For the truth tellers tied to the whippin’ post, left beaten, battered, bruised. For the ones whose body hung from a tree like a piece of strange fruit. Go hard, last words to the firing squad was, “Fuck you too”.
Run The Jewels est un groupe essentiel dont il est important d’écouter toute la discographie. RTJ4 ne guérira pas les démons de l’Amérique mais il nous accompagne déjà dans ce combat universel et est un outil précieux. On n’a pas toujours les mots, les artistes les ont pour nous.