Alors que l’un des producteurs reggae dub les plus populaires du moment sortait son dernier album Signz il y a quelques semaines nous avons décidé de réaliser un nouvel entretien avec lui. Voilà six ans que O.B.F n’avait pas sorti d’album. Le dernier en date était Wild et il a occupé ses auditeurs un long moment. Depuis beaucoup de 45 tours, de collaborations, de tournées et de sessions sound system sont passées par là! L’album affiche une liste de featurings immense, croisant de nombreuses nationalités : française, espagnole, anglaise, jamaïcaine. Habitués pour certains ou premières collaborations pour d’autres, énormément de chanteurs se succèdent sur le projet. Signz offre alors une palette de sonorités colossale, du roots, au grime en passant par la pop. Le producteur et selecta du crew, Rico a répondu à toutes nos questions concernant son dernier projet, ainsi que le précédent avec le chanteur jamaïcain Nazamba, mais aussi quelques questions sur sa vision des dernières actualités dans lesquelles il se sent impliqué.
Comment te sens-tu à la sortie de cet album, soulagé ? Ready pour la promo ?
Écoute on a beaucoup travaillé dessus pour que la promotion se passe bien, que les morceaux soient au niveau qu’on espérait. On est encore en plein dans la promo justement, on sort un clip ce vendredi par exemple, puis on enchaînera avec les prochains… Donc soulagé oui, mais aussi très occupé par la promotion du projet étant donné qu’on a plus de dates de programmées jusqu’à présent !(covid oblige)
J’imagine qu’à ce stade tu es loin de penser au projet suivant, tu restes concentré sur celui-ci !
C’est clair ! Tu sais j’aime bien prendre mon temps pour ces choses-là. C’est vrai qu’il y a des artistes qui passent directement à un autre projet à la sortie d’un album, mais pour Signz on a envie de porter la chose au maximum, et de s’appliquer à le promouvoir correctement pour honorer toute l’équipe qui a travaillé dessus.
C’est vrai qu’on peut se dire que des artistes se concentrent uniquement de l’aspect créatif d’un album, et laissent la partie promotionnelle à une équipe dédiée ; alors que chez OBF on ressent davantage une démarche DIY, où tout le monde met la main à la pâte pour porter un projet.
C’est sans doute vrai oui, mais on a aussi de notre côté une équipe dédiée à la promotion. On a trois personnes sur la France, une autre en Espagne, donc la charge de travail est quand même répartie. L’album est sorti sur Dubquake Records, qui est notre label, mais qui est un label indépendant . Ceci dit « indépendant » ne rime pas toujours avec manque de professionnalisme, ou “petite équipe” . On essaye de se rapprocher au maximum d’une organisation professionnelle, même si on peut avoir cet aspect DIY.
L’album est donc sorti au format digital, il est disponible sur les plateformes de streaming, mais aussi en vinyle, notamment en édition limitée. S’agit-il d’une particularité importante pour toi ?
Justement comme nous sommes en indépendant, on a mis une bonne partie des vinyles en vente directe sur notre Bandcamp. Le tout en exclusivité avant la sortie officielle chez les disquaires qui est prévu le 19 Juin. C’était dans l’objectif de mettre en avant notre structure, et d’entamer une bonne première semaine pour la sortie de projet. On a aussi fait une édition limitée pour le single Akuphen qu’on a pressé sur un vinyle rose. Ce qui finalement marquera une différence avec la sortie officielle où le single sera pressé sur vinyle noir classique. D’ailleurs au dos de la cover, vous pourrez vérifier la couleur du disque en lisant le « Signz Series » qui sera imprimé en rose ou en noir.
Puisqu’on parle de cover, je tiens à te Big-Up pour la qualité des artworks et du design de l’album. C’est un élément important pour toi la qualité de l’artwork, et de sortir un projet qui est esthétique ?
Pour moi, un projet doit être quelque chose de complet. Si tu sors un projet musical, il y a tout l’esthétisme et l’univers autour de la musique qui doit être en adéquation avec le graphisme. Je pense que ça illustre vraiment la musique et les vibes qu’on a voulu transmettre. On a bossé avec Laska pour créer tout l’univers de SIGNZ, Laska fait parti de la famille O.B.F depuis 2 ans maintenant et s’occupe de notre univers graphique.
C’est vrai que le support vinyle se prête particulièrement bien à une esthétique soignée, et bien souvent les acheteurs de vinyles prêtent pas mal d’attention à « l’objet » et y sont attachés. J’ai vu qu’à l’intérieur du vinyle se trouvait un artwork sous la forme d’un jeu de tarot. Dans ton travail avec Laska tu lui as directement indiqué ce que tu recherchais pour l’album, ou tu lui as plutôt laissé carte blanche ?
Non, j’avoue que quand je les gens bossent avec moi j’ai déjà presque tout dans la tête, c’est horrible ! (rires). Pour cet album j’avais une idée d’ambiance et de design, mais je lui ai bien entendu laissé le soin d’apporter sa touche personnelle et son style graphique.
On a vraiment travaillé sur le concept des signes, on peut citer les signes du temps, de la vie, la destinée, tout ces aspect de la symbolique du mot « signe ». Avec une ambiance un peu ésotérique. J’ai pensé à représenter tous les titres de l’album par des cartes de tarot parce que les moments où j’ai enregistré ces morceaux, c’était des moments spéciaux avec une atmosphère particulière qui n’étaient pas organisés. Ça c’est présenté comme ça pour la majeur partie de l’album en tout cas. L’idée de tarot représente bien, je trouve, cette succession de moments d’enregistrement tous différents et uniques, qui ont abouti à l’album Signz. D’ailleurs, dans ce jeu de tarot se trouve deux cartes spéciales, où vous pourrez lire l’avenir des sorties vinyls d’O.B.F .
Il est vrai qu’on retrouve toujours chez OBF et Dubquake records, cet attachement au graphisme, ce qui change à l’esthétisme dub pur et dur, qui tend souvent vers le minimalisme.
Tu sais le crew est aussi composé de plusieurs graffeurs, on a toujours été attaché à la musique et à l’art urbain donc pour nous ces deux éléments ne font qu’un, et ça nous tient à cœur de lier ces deux influences dans notre travail. Comme ça tu peux avoir un objet de collection chez toi ! J’adore tu choppes un vinyle, bon si le morceau est dingue mais qu’il n’y a pas de cover ce n’est pas dramatique, mais si en plus tu as une jolie cover ça rajoute beaucoup plus de cachet à l’objet. Et justement si il n’y a pas énormément d’exemplaires, ça peut devenir un objet de collection.
Oui et de convoitise, ce qui tend vers une véritable envolée des prix sur Discogs ! J’imagine que l’édition limitée d’Akouphene va prendre pas mal de valeur.
Oui mais tu vois Akouphene a été pressé à mille exemplaires pour la version rose, et tu auras encore mille cinq cent éditions noires, ce qui laisse quand même deux mille cinq cents exemplaires. On est sur les mêmes quantités pour l’album. C’est pas du cent ou du cinquante exemplaires, on a quand même voulu en presser suffisamment pour tous ceux qui en voulaient.
C’est une belle démarche car quand on regarde du côté de vos première releases, on voit que le vinyle commente à coter sévère ! (rires)
Ah ouais c’est clair… c’est aussi ça la particularité de la culture vinyle et du sound-system. Mais ça fait quand même plaisir. D’ailleurs il y a un projet en route pour fêter les 10 ans d’OBF, qui fera un clin d’oeil à nos premières releases !
Pour en revenir à Signz, il est donc disponible sur toutes les plateformes de streaming, c’était dans une optique de toucher un plus large public ?
Pour être honnête je connais plus grand monde qui achète de CD.. Moi personnellement j’écoute principalement de la musique au travers de ces plateformes. Ça nous semblait normal, on est en 2020, c’est de cette façon que la musique est proposée au public de nos jours. Mais c’est vrai qu’il faut quand même se battre dans cette jungle du streaming, parce qu’il y a des millions de chansons qui sortent chaque jour là-dessus. Pour ce qui est de toucher un maximum de personnes, on privilégie le lien qu’on a actuellement avec notre public. Ça nous semble très important de le conserver, on trouve que c’est notre force.
Toute cette diversification au sein de l’album c’est aussi notre identité, comme une session OBF, où ça commencera avec une introduction… où tu pourras autant trouver du dub poetry, que du rubadub un peu « party-vibe », du dubs deep, aux raws dub, qu’à influences grime où hiphop contemporain, ou un gros dub minimal ! (rires)
Toi en session tu aimes sélecter en faisant une progression, tu as une idée en tête avant de commencer à jouer, ou tu fais plutôt ça en one-shot sans idée préalable ?
Généralement je pense qu’au premier morceau, seulement le premier, et après le reste découle tout seul. J’ai quand même pas mal de morceaux sur mes clés usb donc il y a moyen de partir dans toutes sortes de vibes, selon la façon dont le public réagit. Une fois que la vibe est captée tu peux les amener où tu veux ! (rires). Mais j’ai quand même mes morceaux du moment dans un fichier à part.
D’ailleurs ça te tient à cœur de jouer uniquement des productions OBF ? Ou tu joues aussi des tracks d’autres artistes sans problème ?
Honnêtement j’utilise des tracks d’autres personnes, mais ça reste très limité. Parce que j’essaie de garder les prods que je joue dans un cercle proche d’amis. On aime bien jouer les morceaux de la famille, , on jouera du Stand High Patrol, du Iration Steppas, du Aba shanti.. Là j’oublie pleins d’autres producteurs mais on joue surtout de la musique qui vient des proches d’OBF, avec qui on a un lien. Et de la même façon, mes morceaux exclusifs je les partage uniquement avec la famille. Y’a pleins de gens qui me demandent si j’ai pas des dubplates à vendre. Je leurs dis que c’est malheureusement pas possible. Vraiment je préfère les donner à mes potes plutôt que les vendre à tout le monde. Ça nous tiens aussi à coeur de jouer des prods exclusives pour que le public vienne en session pour écouter de la musique qu’ils n’entendent pas ailleurs, et qui ont été faites pour les soirées OBF. Ça permet de rentrer dans notre univers, et notre énergie.
D’ailleurs j’imagine qu’on a dû te demander la Akouphene des milliers de fois !
Ah ouais c’est clair ! (rires). On a tout eu, les messages, les mails, des gens qui passent par d’autres personnes pour l’avoir.. Maintenant ça y est c’est fini, elle est sortie.
A propos de Signz, le format de chansons plutôt courtes, peut permettre de penser que vous avez eu comme projet d’être aussi diffusé en radio ? Vous aviez été diffusé pour le projet précédent avec Nazamba ?
Pour en revenir à Nazamba, puisque tu en parles, il s’agit d’un projet beaucoup plus profond, où tu vas te retrouver dans les bas fonds de la Jamaïque, dans une ambiance plus Jamaïcaine et militante. Du coup ça ne s’adapte pas à toutes les radios grand public, tu trouveras ça plutôt sur les web-radios, les radios campus, et radios indépendantes. Par contre l’album Singz, je n’ai pas construit les morceaux en me disant qu’ils allaient être plus «radio-friendly». Par contre je savais que certains morceaux allaient plus facilement attirer l’oreille des radio grand public. Par exemple il y a Nova qui nous a playlisté le morceau I’m an African qu’on a enregistré avec Tippa Irie. Il y a aussi Música, pour laquelle on a bossé avec une équipe de promotion espagnole et sud américaine, qui a été diffusée sur des radios nationales à Bogota, Mexico, et aussi en Espagne. On essaye faire au mieux pour que le dub et tous ses styles musicaux dérivés soient écoutés par le plus grand nombre.
A ce propos la chanson « Im an african » aborde un thème très actuel, qui fait écho au mouvement Black Lives Matter. Comment te places-tu par rapport à ces mouvements ?
Ouais c’est une chanson au thème très actuel, et qui a des lyrics qui résonnent bien en ce moment ! D’ailleurs on revient de la manif BLM à Genève qui a rassemblé plus de 10000 personnes! On doit bien évidement se battre pour la justice pour tous-tes, on est tous concerné face aux inégalités raciales et sociales, et contre les violences policières!
Sur cet album il y a beaucoup de chanteurs, une belle présence d’artistes jamaïcains. De quelle façon as-tu rencontré ces artistes et quelle démarche artistique as-tu eu?
En fait la première fois que je suis allé en Jamaïque un ami m’a donné l’adresse de Nazamba qui avait alors un autre nom à l’époque. J’ai habité chez lui durant 1 mois. En se quittant on s’est dit il faut qu’on se créer un projet ensemble, tu as un truc vraiment. Mais tu sais jamais ce qui va se passer, beaucoup parlent mais ne vont pas au bout des choses. Mais finalement un an après il est venu chez moi et on a bossé sur un projet commun, puis ensuite je suis retourné chez lui, et là on a vraiment pris le temps. J’y ai monté mon propre studio. On invitait les artistes chez lui, on avait le temps d’échanger, de partager des vibes, des moments. Nazamba m’a dit « ici je vais te faire vivre la reggae life » et c’était vraiment ça. On écrivait toute la journée, on faisait passer des auditions sur le marché, on enregistrait l’après midi, le soir on allait mixer en soirée. C’était vraiment une ambiance yard comme ils disaient.
J’ai construis des riddims ici, dans l’avion mais sur place ça change l’approche de la construction. Donc je les ai retravaillé pour les reconstruire avec l’atmosphère.
Et avec Jah Mason, comment s’est passé votre collaboration?
Ça fait 10 ans que je veux l’enregistrer. Je n’arrivai pas à le contacter et je vois qu’il vient à Genève. Via Nazamba j’ai pu avoir un contact donc j’ai réussi à le voir durant son séjour chez nous. Finalement il se souvenait de moi puisqu’on s’était rencontrés 10 ans auparavant. Mais pour moi c’était vraiment un signe du destin. Il me dit je pars demain, on a la soirée. Je suis allé dans sa chambre d’hôtel, une petite bouteille et une soirée entière et ça s’est enregistré comme ça.
Le mastering le mixage comment ça se passe pour toi, tu fais tout moi même?
Tout le mixage je l’ai fait seul, et le mastering cette année on a travaillé avec Kerouacs en Bretagne qui est un spécialiste de l’analogique, de la rondeur, de la chaleur. Puis on a refait avec Deka à Paris pour le mastering digital. Enfin on a pressé le disque à MPO.
As-tu songé à repousser la sortie de l’album?
On l’a déjà repoussé. On avait une soirée de lancement le 27 avril, on l’a repoussé d’un mois car l’édition des vinyles a prit du retard mais ça nous démangeait donc on l’a sortit, on en avait marre. L’album en lui même était terminé 4 mois auparavant, c’est à dire fin janvier, le temps de laisser les autres corps de métier bosser, pour le design, la promotion et cetera.
Vous avez une date de retour en tête?
Le Dubquake festival début octobre avec la sono, les mcs, la ville, le public, ça va vraiment être notre grand retour.
Avec qui avez-vous collaborés pour la réalisation de votre stack? Est-ce que vous avez fait home-made ou passer commande à des constructeurs?
Alors nos tops ont été designé par un constructeur anglais il y a 10 ans, et là un ami proche les a modifier. Notre section bass a été designé par des japonais, avec des boîtes spéciales pour nous. Et là récemment on a demandé à Cuti de nous designer des boxs pour nos mediums.
J’imagine que vous avez tout une logistique à prendre en compte dans la construction pour facilité le transport?
C’est clair. Le format, le rapport poids/puissance devient extrêmement important. Mais aujourd’hui les salles sont de plus en plus pointus sur l’installation, l’orientation, la puissance du sound system. Mais tous ces aspects font qu’on doit ré-adapter le sound en fonction de ces paramètres. Maintenant on est des professionnels donc ça passe aussi par des assurances pour nos boxmans, tout le monde est déclaré donc les prix grimpent. On s’occupe de tout finalement, il faut qu’on nous fournisse l’électricité et c’est bon.
Donc toi aujourd’hui tu restes fidèle au format du sound système et moins à la scène comme tu avais pu le faire avec le projet A1 ou encore avec Nazamba?
La scène et le sound system c’est vraiment différent. La scène c’est un show préparé, avec une set list, un light show, quelque chose de plus organisé. Le sound system : il y a une énergie commune qui se crée avec le public vu que nous sommes à la même hauteur, dans la même arène, les limites sonores sont gérés par nous du coup on peut créer une communion qui s’approche d’une transe commune. Tu as beaucoup plus de liberté, et tu y développes plus de spontanéité.
Tu peux me parler un peu du morceau Asian Night?
J’étais à Shanghai pour ma tournée en Chine avec Charlie P, il a dû partir et je me suis retrouvé seul dans cet hôtel. Dans cette chambre il y avait un hublot qui sortait du mur et me permettait d’avoir une vue sur la ville. J’observerai la grandeur la ville, tous ces néons, le grouillement de personnes, ce mélange d’authenticité. C’est la vision de la ville et l’ambiance de celle-ci qui m’a inspiré ce jour là.
Et ça t’a inspiré une prod de hip-hop?
Ah moi tu sais (rires) j’adore les hip-hop contemporain! C’est ce que j’écoute, reggae hip-hop donc ça se ressent dans mes influences. On tente des les mélanger au mieux, on ne veut pas d’étiquettes, on cherche à représenter ce qu’on a envie de partager aux gens.
Alors que Signz sortait dans une période très spéciale pour le monde entier son succès n’en est pas moins retentissant.
Depuis notre entretient les ventes de ses disques ont littéralement grimpées et il est aujourd’hui sold-out. Mais le véritable coeur du O.B.F sound system reste la scène et on sent que ça démange Rico, du nouveau devrait arriver dans quelques mois, et en attendant il nous ont délivrés un très bon disque à tourner tout l’été.