Difficile de trouver un sens à 2020, difficile de trouver la bande son qui lui conviendrait sans qu’elle ne soit un long râle de souffrance, d’impatience et de nostalgie de liberté. Il fallait quelque chose d’un peu plus grand, d’un peu plus coloré, quelque chose qui représente le fait que comme on s’en est aperçus, on vit et se construit avec les autres. Une certaine dose de confiance, de nonchalance pour survivre à tous les chamboulements de l’exterieur. Ils sont nombreux sur cet album aux côtés d’Amaarae pour venir illustrer ce principe, souvent anonymes du grand public à l’exception peut être de Kojey Radical et Cruel Santino, elle met en évidence une scène alté qui ne cesse de montrer sa richesse. The Angel You Don’t Know est un sublime témoignage d’altérité dans lequel Amaarae se balade avec une assurance et une voix sans faille entre r&b, dancehall et afrobeat.
Il serait dommage d’entendre la douceur et la voix relativement fluette d’Amaarae et l’assimiler à une chanteuse fragile. Il y a certes un sentiment de fleur de peau quand on se concentre sur sa voix mais le propos comme la construction de l’album viennent au contraire établir le portrait d’une artiste confiante, bien ancrée dans une pléiade de références allant de l’afro pop au R&B en faisant parfois des détours par un Southern rap. Une musique qui se construit en parallèle de son parcours, de ses environnements, d’Atlanta au Ghana en passant par le Bronx. On pense à Yaeji parfois, à Jorja Smith ou SZA (notamment sur Dazed and Abused in Beverly Hills) dans la légèreté des sonorités et ambiances qu’elle arrive à faire apparaitre à sa façon. HELLZ ANGEL par exemple se déroule sur une production de boucles qui semblent rebondir avec ses paroles « I don’t write songs/ Bitch I make memories » déclame-t-elle sans la moindre agressivité, comme un constat et un but assumé.
Sur 14 pistes c’est en effet l’imaginaire que développe Amaarae puisqu’on peine à s’accrocher à une catégorisation fermée dans un style, l’expérience de l’auditeur jouit d’une liberté totale pour y apposer toutes les images que l’on souhaite y projeter, dans une bulle de délicatesse admirablement maitrisée et culturellement challengeante. On pense également à Kari Faux sur le son Fantasy par exemple avec Maesu (collaborateur fréquent de Kari Faux basé à Los Angeles) et le nigérian CKay pour un nouveau bijou de fusion r&b et afrobeat. Mais c’est justement dans cette terminologie que la nuance doit prendre tout son sens, Amaarae ne fait pas de la musique afro, comme elle ne fait pas du r&b, elle fait de l’alté. Ce genre émerge depuis quelques années du Nigéria et à l’échelle internationale notamment de part le biais des succès de Davido ou Burna Boy pour le grand public. Le nom est un diminutif pour alternatif et décrit une musique reprenant certes les influences afro mais aussi toute une culture MTV des années 2000, des riddims plus dancehall parfois et pas mal de R&B. Des artistes comme Maesu, Moily ou encore Santi, un des chefs de file du genre, sont d’ailleurs présents sur l’album, perfectionnant une cohésion infaillible du projet dans son univers si particulier.
Elle se balade entre les influences comme entre les langues, passant du Ghanéen à l’anglais en repassant par le Nigérian, oscillant entre les guitares, les samples de punk et toute la rondeur de la pop/r&b. Il n’y a pas vraiment de chanson triste sur ce projet, même Sad, U Broke My Heart malgré son titre laisse finalement toute sa place à la nonchalance de rythmiques un peu plus afro pour venir parler toujours avec la même pudeur des sentiments. 3AM qui suit ou encore PARTY SAD FACE avec Odunsi (The Engine) et KZdidit distillent eux un sentiment de nostalgie, souvent déclenchée par l’ennui et on contemple avec elle ces aiguilles qui bougent bien trop peu par rapport aux gens qui l’entourent. Sentiment bien que trop familier, qu’elle retranscrit avec un certain fatalisme romantique. La deuxième partie du morceau, CRAZY WURLD part elle dans un hard rock final, comme symptomatique de l’explosion interne qui arrive quand on s’imagine si l’on pouvait agir avec toute la violence représentative du sentiment de ras le bol.
SAD GIRLS LUV MONEY traduit un autre aspect de cet album, la confiance et la revendication. Avec Moily en featuring, les deux artistes affirment avec toute la douceur du monde « Get the fuck outta my Way/ I’m donna get paid » . Quand Amaarae s’efface derrière son invitée, les refrains de Moily viennent trancher de façon encore plus jouissive cette affirmation. Déjà présente sur le titre FEEL A WAY avec Princess Adjua, la ghanéene se révèle d’ailleurs sur cet album aux côtés d’Amaarae comme une candidate sérieuse à la future réalisation de grandes choses pour le r&b après son excellent projet Wondergirl sorti cet été. Céline (elle a gardé l’accent elle, hein Hedi), Hellz Angel ou Fancy sont peut-être les sons les plus américains du projet, dans le name dropping comme dans le flow, un peu plus nonchalant, plus bad bitch que les autres propositions. Fancy se déroule lui sur des drums accentuées, avec un twist trap qui vient compléter une instrumentale un peu shoegaze, encore un exercice d’équilibriste admirable.
The Angel You Don’t Know est le premier album d’Amaarae et il en ressort des promesses pourtant déjà pharamineuses. C’est une bulle cotonneuse, chaleureuse, ambitieuse qui semble déclamer toute la beauté et le bon qui peut ressortir de l’ouverture aux autres. Avec une humilité des plus sincères, Amaarae semble proposer de créer un environnement sur mesure pour elle et ceux qui l’entourent ou qui s’y retrouvent. Une zone dans laquelle une scène nigérienne, ghanéenne, américaine n’a plus grand chose à faire des frontières tant les ambitions et les motivations sonnent plus importantes, comme des promesses de grandeurs à venir.