C’est toujours avec un grand étonnement qu’en tant qu’auditrice de rap (entre autre), je constate à quel point quand la performance est féminine, elle touche une autre corde, bien plus charnelle et personnelle que celle d’un artiste masculin. Cela n’impacte pas l’amour porté aux deux, ni l’estime mais c’est quelque chose de singulier. Féministe ou non, force est de constater que la joie de voir une femme exprimer sa puissance et sa confiance jouit toujours d’un impact spécifique. Quand celles-ci réussissent à prouver (parce qu’il faut encore prouver) qu’elles sont des reines dans un art au même titre que ces détenteurs auto proclamés, il est toujours bon de l’acclamer de vive voix même si celle-ci sera certainement malgré tout moins bruyante que pour un autre (parce que la voix aigue tout ca). Cependant il est toujours dérangeant aussi de voir avec quelle facilité nous les assimilons à des portes drapeaux ou des revendicatrices plutôt que de simples artistes, voyant un engagement dans ce qui n’est qu’un genre couplé d’un talent qui devrait pourtant être neutre. On en vient parfois à oublier de parler de la musique pour se concentrer sur la personne, intrigué(e)s comme si on voyait quelque chose de notable ou dénotable dans ce qui nous est pourtant connu. Ami Yéréwolo est une rappeuse malienne qui célèbre sa réussite avec la fierté qu’il se doit et c’est certes un geste de conviction, mais AY, son dernier album, c’est surtout de l’excellente musique.
Il y a bien sur des environnements plus hostiles que d’autres dont il est bon de saluer la performance d’avoir su s’en émanciper en tant que femme. Le rap (malien mais pas que) est l’un de ceux-ci. Dirigé comme performé principalement par des hommes (comme partout) nombreuses ont été les rappeuses à abandonner la bataille face à la profondeur du sexisme et de la corruption de cette industrie qui fonctionne en circuit fermé. Ami Yèrèwolo à elle préféré abandonner cette industrie. Pas celle de la musique mais celle d’un entre soi de labels, artistes, managers qui ont créé leur propre écosystème dans lequel les questions d’égalité, équité ou morale ne sont rien d’autres que des bâtons dans les roues. Jusqu’ici c’était donc en indépendante qu’Ami Yèrèwolo avait sorti ses premiers albums qui laissaient entendre une voix solide mais pas encore tout à fait rodée aux usages d’un autotune parfois chancelant, sur des productions un poil prévisibles notamment sur son album de 2014 intitulé Naissance. Sur Anga Yira Allah La, son tout premier projet, les productions étaient définitivement rap et son phrasé des plus conquérant mais là encore, un équilibre manquait. Pourtant le talent est certain, la démarche a son potentiel, il manque encore quelque chose de difficile à cerner pour que le génie se révèle, il manque une structure. Cette structure se manifeste en la personne de Blick Bassi. C’est après l’avoir vu performer au festival Show Me à Zurich que Blick Bassi vient trouver la jeune femme pour en faire la première artiste de son label, Othantiq AA.
Cette rencontre est en partie l’explication de ce qui emmène aujourd’hui Ami Yèrèwolo dans une autre dimension avec AY, il lui fallait un terrain de confiance et quelqu’un avec qui affronter les difficultés. Par exemple, la rappeuse à l’habitude de varier entre l’anglais, le français et le bambara et c’est étrangement cette dernière langue qui est problématique. On lui conseille de se tourner vers le francais, le Mali ne s’est pas encore accoutumé à voir une femme rapper qui plus est dans sa langue, l’image dérange. Déroutée par ce flow de critiques sur tous les flans, Yèrèwolo pense à arrêter elle aussi, épuisée de revendiquer ne serait-ce qu’une chance d’être audible. Mais pour Blick Bassi, le bambara n’est pas un problème, au contraire, il l’encourage à préserver cette facette. Se sentant enfin entendue et comprise, la rappeuse consent à quitter son indépendance pour ce projet. Contrairement aux précédents, quelqu’un d’autre à aussi une vision pour elle. Bassi souhaite ne pas en faire une énième star de l’afrobeat incandescente, l’amener dans une dimension aux croisements du rap, musiques électroniques et traditionnelles venant du Mali, Congo ou encore Ghana sans hésiter à étendre jusqu’aux influences afro caribéennes. De ce cocktail ressort une bombe absolue d’énergie salvatrice. C’est Bassi qui lui proposera les productions, oscillant entre les rythmiques de basses et de dancefloor comme sur Ounta pour faire définitivement taire toutes les critiques.
S’il y a une chose qu’Ami Yérèwolo a appris après plus de 10 ans dans une industrie qui n’en n’a pas, c’est le respect. Ce n’est donc pas en revendiquant sa sexualité féroce ou son caractère conquérant de bad bitch que la rappeuse assène sa puissance, c’est dans la sagesse et l’humilité qu’elle développe sur son parcours et sa vie. Et quand elle laisse entrevoir une facette plus fragile d’elle comme sur Kalan, un beat ravageur vient rappeler que de toutes les descentes elle rebondit plus forte encore, enchainant avec un I Bamba irrésistible de foisonnement d’influences. On passe dans cet album de trompettes à des beats d’EDM en passant par les influences de musique mandingue avec une aisance insolente, c’est un feu d’artifice permanent qui stimule autant qu’il émerveille l’auditeur. L’intégralité du projet se dévoile de richesses en influences de morceaux en morceaux, ajoutant à la stimulation corporelle des productions celle de l’intellect qui cherche en vain à essayer de définir l’ambiance dans lequel il est immergé autant que fasciné. Le plaisir d’une telle expérience d’écoute est incomparable.
L’album s’ouvre sur ce qui avait été révélé en premier single, un morceau intitulé Je gère. Si quelqu’un avait encore quelconque doute, sa réponse se trouve dans ces deux mots d’introduction à la grande Ami Yèrèwolo. AY est le premier projet dans lequel elle s’assume complètement comme l’indiquent les initiales en guise de titre. C’est une femme, une rappeuse, une malienne et une artiste accomplie, qui se revendique comme telle et auquel on ne peut concrètement rien opposer, tout est déjà prouvé sur ce 10 titres. Il est maintenant temps de l’introniser comme il se doit et de la laisser faire sa musique comme elle l’entend. C’est en tout cas celle qu’on a jamais autant pris de plaisir à écouter.