Si vous avez eu la chance d’être adolescent et un tant soit peu intéressé(e) par les musiques électroniques dans les années 2010, vous avez sans aucun doute été auditeur d’un certains nombre de représentants de l’école allemande Kompakt (Dj Koze), ou de Jon Hopkins, Pachanga Boys, des noms qui formaient une certaine élite dans une approche de la house « intellectuelle ». Aux frontières entre l’intelligent dance music et la house, ces ramifications venaient compléter une époque ou les musiques électroniques ont commencé à redéfinir la pop avec des groupes comme Hot Chip, The Rapture, Simian Mobile Disco ou encore le travail de toute une vie de LCD Soundsystem. En 2018 est sorti un album charnière dans les marqueurs temporels de cette esthétique, Knock Knock de DJ Koze. Une bande son de parfaite symbiose entre tous ces genres, gardant la minutie et la rigueur intellectuelle et d’héritage de la house pour la faire voyager au gré de ses invités dans des sommets de grâce. 5 ans plus tard et 9 ans après son premier album, c’est au tour d’Axel Boman de remettre au goût du jour ce coup de maitre.
Quest for life/LUZ est un double album même s’il se présente sur les plateformes de streaming comme deux oeuvres séparées, c’est une épopée joyeuse qui se permet toujours avec une distance respectueuse des réminiscences de disco, des passages de deep house sentimental, d’envolées lyriques de choeurs avec une chaleureuse et confortable nostalgie qui était aussi l’apanage de Knock Knock. Difficile de savoir si les morceaux ont été construits pour les invités ou ceux-ci les ont formaté à leur image mais leur pluralité donne une densité toute particulière précisément sur LUZ. Out Sailing par exemple avec Man Tear et Inre Frid se lance dans une exploration de yacht rock finement menée qui bien qu’imprévue, semble tout à fait légitime, quand Bella Boo vient elle participer à l’exécution parfaite du tube house par excellence qu’est Nowhere Good et BUKHA se sublime sous l’influence du sud africain et camarade de label Studio Barnhus, Kamohelo du groupe Off The Meds.
Une des critiques les plus fréquentes adressée à la house est qu’elle tourne très rapidement en rond et finit toujours par se ressembler. Ce n’est pas faux, et vos DJ d’open air dont les sets entiers répondent à la recherche discog tech house sont les premiers responsables de cette fadeur mais le producteur suédois rapporte toute sa noblesse à celle-ci. Dans les contours qu’il lui fait prendre et la diversité des origines qu’il lui reconnait, il réussit à insuffler une sorte de préciosité et de perfection qui ne la rend pas fade mais implacable. Sottopassaggio est par exemple irrésistible dans la bonhommie et légèreté qui s’évade de son efficacité, et c’est bien dans cette distance et cette liberté un poil ironique que Boman se distingue. Conscient d’opérer dans un champ musical des plus quadrillé et surexploité, il ne décide pas de se lancer dans des expérimentations sans fin pour se distinguer mais simplement de le faire mieux (we will Jean-Luc), avec la discipline et la rigueur que ceux qui ne pensent la house qu’en DJ sets ont depuis longtemps abandonné/n’ont jamais eu. Une bonhommie qu’on retrouve sur Grape par exemple, un titre assez représentatif du changement d’approche qu’a opéré Boman pour ce double album. Lui qui il y a quelques années à peine sortait des pistes de 13 minutes de deep house introspective se permet aujourd’hui des mélodies presque clownesques, loufoques mais assumées et surtout accessibles.
Axel Boman a mis pratiquement 10 ans à sortir un deuxième format long après Family Vacation. Il a travaillé avec littéralement tous les représentants de cet underground exigent dont les noms sont encore des marqueurs d’un âge d’or: John Talabot avec qui il avait fait Talaboman, Pional, Daphni, autant de musiciens à avoir participé à transformer la house vers ce qu’elle a aujourd’hui de complètement libérée à se voir assimilée aux autres genres, autant de musiciens à avoir sorti celle-ci de son pré carré esthétique pour l’emmener vers un grand public, toutes proportions gardées mais quand même. Les outros des deux albums que sont Les lèvres rouges et Hold On sont certes des rappels au dancefloor, mais ils sont tout autant des témoignages que les musiques électroniques n’excellent jamais autant que quand elles s’octroient la liberté de sortir du club.