
Il y a fort à parier que si vous avez été enfant ou adolescent au début de ce millénaire et que, par chance, votre maison ait été reliée à internet à ce moment-là, cette légende soit parvenue jusqu’à vos oreilles. Et qu’elle s’y soit faufilée au travers de la voix de celui que le temps, les fanatiques et les détesteurs auront érigé au rang de semi-prophète : « La cassette, la cassette de l’heure… que Washington recherche ». Une cassette mystérieuse, comme d’autres avant elle, capable de faire s’abattre le mauvais sort sur quiconque oserait en regarder le contenu. Il faut dire que la VHS, support audiovisuel chéri de la fin du millénaire précédent, compte son lot de bandes magnétiques maudites et il est à peu près normal que le bureau fédéral d’enquête de Washington ait cherché par tous les moyens à retirer de la circulation ces menaces à l’ordre mondial.
S’il s’agit pour sûr du lost media le plus « internet-core » du rap francophone, on en sait pourtant peu de choses. Des thèses les plus assurées de forums niches aux élucubrations sorties des abysses marécageuses du forum 18-25, il n’en aura rien été tiré d’autre que de la spéculation. Et pourtant, le mardi 10 juin 2025, quelque part au cœur de notre monde et de sa réalité, le réalisateur Kamel Gondry affirmait avoir mis la main sur la cassette en provenance de DC. Sur l’une de ces cassettes du moins, dans une version glitchée de l’objet brandit en ouverture d’un DVD sorti en 2007, consacré à un rappeur de la Rive Sud de Montréal. Car c’est bien de ce DVD que tout part. Et ils auront été nombreux et nombreuses les enfants de ces années 2000, doté d’un ordinateur domestique, à tomber sur une version numérisée en ligne de ce disque vidéo. Parfois sans en saisir toute la teneur, ni vraiment l’origine.
Au milieu des années 2000, la VHS est morte, les DVD vivent leurs dernières heures en empereurs romains et le rap à ce moment, quoiqu’en disent les historiens et les rabats-joie, vit un âge d’or confidentiel depuis ses souterrains, archivé sur street CD et DVD, de Street Live à Neochrome Hall Stars. À y repenser, la deuxième moitié des années 2000 et l’expansion massive d’internet incarnent un paradoxe : celui de la mise à mort du DVD-rap, regroupant clips inédits et interviews bordéliques, et à la fois celui du développement jusque dans les sphères les plus mainstream d’une version hybride de ces obscurs objets. À la frontière de la nécromancie, Kamel Gondry tente de faire revivre ce fantôme disparu, dont il ne reste que le souvenir, de le faire « devenir vrai dans cette pièce, pour quelques instants ».
Déclasser une Washington Cassette en 2025 ne relève pas purement du geste nostalgique. Il y a la dimension hommage bien sûr, mais il y a surtout l’interrogation profonde de ce qu’une époque a laissé comme trace vivace dans les mémoires de ses héritiers pour s’en emparer à leur manière et lui donner de nouveaux habits. Il y a les souvenirs, les codes, et la manière de s’en saisir pour jouer avec. Et ce n’est sans doute pas un hasard si le tracklisting fait à la fois figurer d’historiques orfèvres ayant préférés l’ombre comme c’est le cas pour Aketo, d’éternels jeunes premiers comme Zek ou LC, ou encore d’excitants rookies comme ADVM ou Austin. C’est tout aussi logique d’y voir apparaître Osirus Jack et DOC OVG, tant leur art sectaire transpire par chaque pore l’ADN de la cassette originelle.
Tout au fond du Château Saint Ambroise, à la façon d’un Harpagon usé par les psychotropes, Henoc Beauséjour ayant échappé à la mort et sauvé ses deniers peut enfin, comme le protagoniste de L’Avare en clôturant le dernier acte, « voir sa chère cassette ».