La poésie, il s’en saisit comme il la renie en quelques secondes. Conscient de la lourde étiquette que peut avoir celle de rappeur amoureux de la littérature, BB Jacques entretient un style d’écriture proche de celui d’un homme la tête dans les livres, accoudé à un bar enfumé, whisky en main, 2 paquets d’avance dans la poche, béret Kangol retourné sur la tête, et lunette de soleil sur le nez. Il est 2h22.
Une anomalie du rap français, voilà ce que l’artiste représente. Débarquant dans une compétition où règne la loi du plus fort, du plus mainstream, le rappeur originaire de Paris parvient à renouer avec une démarche d’écriture longuement révolue dans la ville qui a vu naître plus d’un maître dans le domaine. Je ne fais pas ici référence à des rappeurs, mais à des auteurs de littérature et de poésie que BB Jacques a sans doute griffonné. Parmi eux, Alfred De Musset parisien parmi les parisiens auteur de -La Confession d’un enfant du siècle-. Roman écrit en prose et relatant le mal du siècle de son personnage. Celui-ci de définir alors « le mal du siècle » : l’état d’un malaise générationnel, profond et entier.
La désabusion, que Nino Ferrer mettait en avant dans son album éponyme sorti en 1993, est un sujet qui a pleinement rempli l’univers de BB Jacques. Faire un album sur « que dalle » il en est capable, et pourtant du premier au dernier track, mille et une image nous auront traversé. Faire voyager en bateau vers le Tennessee, rentrer d’une soirée éméchée, revenir sur les bancs de la cantine. En terme d’écriture, et de style, la personnification est un procédé d’écriture dont le rappeur use énormément et qui lui permet d’encrer profondément son écriture dans le réel. Ainsi, elle développe un caractère encore plus percutant.
BB Jacques fait également preuve de beaucoup de nihilisme, c’est-à-dire le rejet des valeurs intellectuelles et morales. C’est ce qui offre une dimension nouvelle à la musique de l’artiste, placé entre une création d’images riches et élaboré, face à un parler cru et étourdissant. Il transpire une innocence déchue tel Musset dans son célèbre roman. Jouasse de croquer la vie mais déjà désabusé par celle-ci. Penchant constamment entre l’abstrait et le réel, tantôt s’adressant à ses démons d’en temps, tantôt directement à son auditeur, assénant de bons conseils ou s’en servant comme d’un exutoire total. Jamais il n’y eut un aussi grand silence autour de celui qui parlait de la mort. Et pourtant, en parallèle, jamais il n’y eut autant de joie, rires, et tant de vie.
Pas un poète mais un enfant de la trap.
Être sérieux sans se prendre au sérieux est un entre deux mortifère, parfois complexe à utiliser et à appréhender mais l’artiste a su s’en saisir aisément. Il peut ainsi délivrer une allégorie spirituelle et assainir un énorme Fuck Off la phase d’après. Développant des structures de rimes aussi intéressantes que spontané, l’artiste laisse planer autour de son art une certaine forme de légèreté dans l’enregistrement, profitant à l’auditeur dans certaines phases surprenantes, pleine de spontanéité, et clairement assumé par le rappeur.
Descendant d’une tradition romantique, BB Jacques ne manque pas de lui faire honneur, avec des récits rempli de moments volés, figés, noircis dans l’écriture et dans la tourmente d’une relation amoureuse. Retourner les situations et faire en sorte qu’elle lui profite, comme lorsqu’il collectionne les pierres qu’on lui jette, est l’un de ses talents les plus probables. Il en est de même après son coup d’éclat sur Netflix. Tout le monde en a déjà chassé le moment de fin, pour se souvenir uniquement de ses 2 premiers passages, mais aussi et surtout la discographie déjà alléchante qu’il nous a laissé.
Et alors, il est où son champagne ?