Cette année est forcément impactée par la crise du COVID qui a fortement ralenti, voir stoppé les sorties cinéma. Certains des films les plus attendus de l’année ont été repoussés, créant un certain absurde quant à la tenue des cérémonies classiques de cette période de l’année. Le cas des Césars est assez parlant, on pourrait douter de la présence des sélectionnés si l’année avait été normale. On pourrait aussi applaudir une autre visibilité des films retenus, une alter-cérémonie. Quand bien même, l’industrie essaye de maintenir ses us et coutumes, voici quelques notes et critiques des films US nommés aux Goldens Globes et Oscars 2021.
NOMADLAND (meilleur film dramatique et meilleure réalisation)
Chloé Zhao nous avait ébloui avec The Rider, elle récidive et accède à la popularité grâce à ces prix mérités. Non seulement c’est la deuxième femme à remporter ce prix, mais c’est la première américaine asiatique à le faire de l’Histoire. Au-delà du symbole, l’institution récompense justement un regard d’une tendresse et d’une humanité inouïe. Ce qui frappe avec Nomadland, c’est à quel point il est anti-hollywoodien de par son matériau documentaire, sa représentation sensible mais brute d’une Amérique déshéritée, rien ne semble surfait ou appuyé, tout est filmé par le prisme d’un respect absolu des êtres humains. Le grand talent de Chloé Zhao est d’irradier ses personnages d’une profonde et intense lumière. Ce film nage dans les eaux du sensible en ayant attention à tout et en prenant soin de ses héros, malgré la pauvreté, la difficulté, la dureté de leur quotidien. Un grand film intime et bouleversant qui n’oublie pas non plus son espace. Nomadland parle d’un groupe de personnes ayant une vie nomade, majoritairement forcée, à cause d’une crise économique qui a durement frappé son époque. De petits jobs en petits jobs, la survie en mouvement de ces désœuvrés en camping-cars. Avec une nouvelle partition immense de Frances McDormand, la cinéaste s’attache à raconter l’histoire de tous, de ne laisser personne sur le carreau.
En somme, une Amérique qui n’a toujours pas sorti la tête de l’eau de 2008, qui a laissé tomber une immense frange de sa population dans l’errance, mais dont la force motrice suffit à maintenir une certaine dignité.
MANK
La lettre d’amour de Fincher au cinéma s’accompagne aussi d’une amertume, d’une tension constante qui relie l’art à l’industrie, la passion aux impératifs égocentriques, le travail à l’économie d’un milieu fragile. Mank raconte l’histoire de la création d’un des films les plus importants de l’Histoire du cinéma, Citizen Kane. Mais chez David Fincher, pas de glorification, pas de déification, pas de biopic classique à l’hollywoodienne mais plutôt son goût des dessous, des affres de la réalité, des secrets gardés. En résulte un film passionnant et troublant mais qui peut en laisser plus d’un sur le carreau par la distance et le froideur qu’il met en scène.
Esthétiquement flamboyant et parcouru de scènes sublimes sur un âge d’or en ébullition, Mank semble tiraillé par l’obsession d’une production à deux vitesses où l’Art, épuisé, n’a plus vraiment sa place dans l’argument. On ne sait pas si Fincher parle de Netflix ou d’un Hollywood contemporain à bout de souffle, mais il est étrange de voir chez Mank un Citizen Kane invisible, dont les contours du chef-d’œuvre sont omises. Presque un anti Ed Wood où Tim Burton élevait une catastrophe en culte par la seule croyance aux puissances du cinéma. Ici, Fincher transforme l’odyssée du culte en une certaine descente aux enfers, entre cynisme et chute.
PROMISING YOUNG WOMAN
Échec artistique cuisant. Emerald Fennell (coupable de la chute de Killing Eve) échoue avec brio, réussissant à séduire une critique US par son ton et la légère modernité de son propos. Effet Birds Of Prey, PROMISING YOUNG WOMAN est un pétard mouillé au scénario faiblard. Le film prend divers chemins incompréhensibles et laisse tout ce qui semblait intéressant en arrière, fonçant tête baissée dans une envie woke de badasserie qui fait flop et manque cruellement de subtilité. Ahurissant de voir l’engouement critique autour de ce raté. Dans ce WTF dramaturgique, le personnage fait mordre la poussière aux femmes impliquées dans «l’affaire » et tape gentiment sur les doigts des hommes dans ses quêtes nocturnes. Aucune incidence sur ces derniers, juste un semblant superficiel de courage et de force. Totalement risible. Et quand elle s’attaque à «l’affaire», TADAM, le film n’en fait rien. Pire, il prend une direction jugée audacieuse mais qui est une faute de goût incroyable. Le personnage n’en tirera rien, on ne saura rien, personne ne gagne dans cette espèce de mauvaise blague metoo-esque. Le personnage principal adopte le comportement toxique d’un homme et tout le monde applaudit. Je veux dire, c’est complètement dégueulasse ce qu’elle fait sentir aux femmes du film. La cinéaste se plante complètement là-dessus.
Au début du film, on pourrait penser qu’elle tue ces hommes-violeurs. Mais non. Elle leur met juste leur nez dans leur merde. Mais ça change quoi ça ? Je veux dire, vraiment ? Pire, la catharsis et sororité que l’auteur tente si fortement de mettre en œuvre est mis à mal car on ne verra jamais la victime. Elle n’est plus là et la cinéaste ne s’intéresse pas à elle. Seul compte LA VENGEANCE. Et l’amertume. On n’en a rien à foutre de la victime et c’est un problème. La scène avec la mère est un ratage complet. C’est d’une tristesse.
Le film est applaudit sur sa forme pop mais quelqu’un regarde vraiment ce film ? Personne ne voit qu’il est d’une pauvreté intellectuelle choquante ? Qu’il soit cathartique, j’entends, mais regardez Ms. 45 pour cela. Ça fait mieux le job et c’est moins con.
Estampillé féministe, le film est un croche-pattes malheureux, une sorte de manœuvre mal engagée et impossible à régler. Ça ravira les lecteurs de la première couche, ça atterrera les autres. On ne comprendra jamais ce que la cinéaste veut nous dire. C’est d’une confusion totale tant elle cherche à faire plusieurs films en un (revenge movie, rom-com, pastiche, thriller…). Au final, c’est un patchwork de pistes qui n’aboutissent jamais. Bref. La surcote de l’année, et de très très loin. Pourtant il y avait des idées et certaines choses réussies comme la monstration du boys club, la fraternité toxique des hommes, les constantes remarques sexistes etc. Mais la cinéaste prend le chemin de la Tarantinade. Et cette fin d’un kitsch… Le film se prend tellement au sérieux, est si confiant de lui qu’il oublie aussi une chose essentielle : Ces hommes blancs peuvent toujours s’en tirer. Même si la fin laisse penser qu’ils vont aller en prison, ce sont tout de même des hommes riches, blancs, influents. Mais non, on va réaliser une fin digne d’une mauvaise série B des années 2000.
Préférez I MAY DESTROY YOU, vrai tour de force dans la même veine, ou alors ENORME de Sophie Letourneur dernièrement. LA CAPTIVE de Chantal Akerman sera un autre film qui lavera cet opportunisme con. Fennell ne provoque jamais, ne déstabilise rien. Elle conforte, défonce des portes grandes ouvertes. La superficialité fait film. Et c’est adoubé comme l’un des meilleurs films de l’année. Allez, j’arrête.
BORAT SUBSEQUENT MOVIEFILM (meilleur acteur et meilleur film de comédie)
BORAT 2 est d’une audace folle, enchaînant le ridicule, le scabreux et le scandaleux jusqu’au vertige complet. Le jusqu’au-boutisme d’une comédie rattrapée par l’absurdité du réel. Cette deuxième Amérique est une mauvaise blague, inconfortable, délirante et choquante. Sacha Baron Cohen s’en donne à cœur joie, Maria Bakalova n’est pas en reste dans ce grand cirque. Le film frotte constamment avec le mauvais goût mais le commentaire et l’analyse de cette Amérique malade est si prégnante, si forte et si ahurissante qu’on est pas loin du tour de force comique. Evidemment, le malaise de voir une civilisation en pleine décadence, en pleine déliquescence dans ses croyances et ses valeurs peut provoquer une certaine déprime. A Sacha Baron Cohen de tourner le tout au ridicule pour rire avant tout, avant le chaos.
SOUL (meilleur film d’animation)
Le génie de Pete Docter s’exprime une nouvelle fois dans ce petit chef-d’œuvre d’existentialisme. Une nouvelle perle Pixar, aussi complexe et sophistiqué dans sa forme que tendre et apaisé dans sa narration. SOUL parlera davantage aux adultes, lui murmurant toute la simplicité et la beauté qui nous entoure, ce qu’on peut chérir et ce qu’on doit nous délester. Et comme Vice-Versa ou Coco, l’aventure explose, avance sans cesse, sautille mais lorsque l’émotion toque à la porte, le film se fige et vous laisse bouleversé. Toute la tension narrative se bloque pour laisser écouler quelques larmes. Toute la beauté de ce film est de profiter des petits instants, qu’aucun momentum ne vaudra un baiser, une respiration, un instant passé avec vos êtres aimés ou une minute de partage à l’apparence lambda. Notre société productiviste nous amène à vouloir plus, toujours plus, quelque chose qui dépasse nos besoins fondamentaux, des fois même un rêve qui n’est au fond pas le nôtre. Soul, dans sa course acharnée, nous invite à ralentir le pas, à observer notre monde et à vivre.
LES SEPT DE CHICAGO (meilleur scénario)
On sent qu’Aaron Sorkin (petit génie derrière l’immense série The West Wing) s’améliore formellement, sans encore être à la hauteur de sa redoutable écriture. THE TRIAL OF THE CHICAGO 7 porte sa signature, celui d’un drame intelligent qui file à toute allure, aussi passionnant qu’euphorique. Le scénario s’attache à multiplier les figures d’une même cause politique, puisant dans ses obsessions démocratiques de voix qui éclatent et résonnent pour le bien de la communauté. Si Sorkin n’est pas Scorsese dans la mise en scène, il est toujours l’une des plumes les plus fines d’un certain classicisme.
MINARI (meilleur film étranger)
Un joli film, plein de sensibilités, sur un rêve américain d’une génération d’émigrés. Lee Isaac Chung compose un récit universel qui aurait mérité plus de souffle que sa belle pudeur. La polémique fut que ce film ait été nommé uniquement dans la catégorie du meilleur film étranger alors que la production est américaine, le film fait aux Etats-Unis et parlant d’une histoire pleinement américaine : La conquête d’une terre et la quête d’une meilleure vie. Même si la quasi-totalité du film est parlé en sud-coréen, Minari est 100% américain dans son intention, son cœur et sa fabrication.
Son refus de pathos est honorable mais un sentiment de frustration émane de sa dramaturgie. Quelque fois la rétention d’émotions nuit, surtout lorsque l’installation du drame est si finement menée. Le cinéaste maîtrise parfaitement son sujet, le traite avec dignité et hauteur. Une envolée aurait parfait le tout.
JUDAS & THE BLACK MESSIAH (meilleur acteur dans un second rôle)
Un film de bonne facture. JUDAS & THE BLACK MESSIAH manque d’un souffle épique pour concourir dans la même case qu’un MALCOLM X. Shaka King ne dévie jamais de son scénario, résulte alors le risque de voir une tranche d’Histoire politique importante mais figée dans la précaution. Il y a également une filiation, notamment à travers la fascination morbide, avec le magistral western d’Andrew Dominik, L’Assassinat de Jesses James par le lâche Robert Ford. Sans le choc esthétique. En somme, tout est très bien exécuté, remarquablement joué et écrit mais il manque ce grain, ce plus qui élèverait ce film à un niveau plus ambitieux qu’une simple retranscription de faits. Un film de bon élève.
PALM SPRINGS
Rafraîchissant, drôle et tendre, PALM SPRINGS était bien la comédie de l’été. Un Jour Sans fin comme influence évidente dans le thème des boucles temporelles. Un duo à l’alchimie parfaite, malice d’un scénario impeccable et espiègle, émotion d’un forever & ever rêveur. Un crowdpleaser qui ressemble à un doudou à sortir dans les coups durs.
ONE NIGHT IN MIAMI
Premier film réussi de Regina King. Une nuit fictionnelle autour de quatre figures mythiques de la culture noire; l’occasion d’une parole politique sur laquelle flotte le poids et la responsabilité d’agir sur chacun d’entre eux. Et la part tragique à venir. C’est remarquablement écrit, le film repose beaucoup sur cette force de confronter des puissances en devenir. En cela, le scénario a de facto une part épique. En termes de réalisation, King en tire un huis-clos solide, soigne son esthétique d’une belle lumière nocturne et réussit assez bien à bloquer ses scènes de confrontation. Il y a même une certaine émotion à considérer ces figures comme des hommes avant tout. Le scénario nous le rappelle bien, des hommes noirs dans un monde de blancs. Plutôt une bonne surprise.
MA RAINEY’S BLACK BOTTOM (meilleur acteur)
August Wilson est un auteur puissant, essentiel dans le théâtre contemporain. Cette adaptation cinématographique de MA RAINEY’S BLACK BOTTOM provoque un ennui poli malgré les interprétations de haut vol du regretté Chadwick Boseman et de la toujours impeccable Viola Davis. Toute la puissance littéraire du texte est dilué dans un flottement de mise en scène, qui ne sait pas trop quoi filmer entre les moments forts. Si l’on comprend parfaitement l’intention de ce film, le résulte déçoit tant il ne dépasse pas l’exercice délicat de la transposition théâtre-cinéma.
I CARE A LOT (meilleure actrice)
Rosamund Pike prolonge son talent de femmes dangereuses et puissantes dans le divertissant I CARE A LOT, puzzle machiavélique capitaliste. Un film qui se complaît bien trop dans l’immondice de l’entreprise, ce qui a le désavantage fâcheux de détester son anti-héros. Être une femme puissante = Être une merde comme un autre. C’est l’adage que semble prendre certains films estampillés féministes dernièrement (cf. Promising Young Woman). Les femmes adoptent le même comportement toxique que les hommes, épousent le même système et voilà un film progressiste. Et c’est tout le paradoxe de ce film. Car il se suit sans déplaisir, le rythme est ponctué de rebondissements excitants, on veut voir où tout cela va nous mener mais un arrière-goût amer pimente le visionnage. On regarde bel et bien un thriller suffisant avec son matériau.
EN AVANT
Même quand un Pixar semble mineur, des flashs de virtuosité parcourent ses tentatives. Onward pourrait être considéré comme un film moins réussi et maîtrisé que les cadors du studio, pourtant, ce film réussit à émerveiller et surtout à émouvoir à l’envolée, imposant Pixar comme un conteur unique d’émotions. La partie finale, celle de la rencontre tant attendue, réussit à être aussi surprenante que bouleversante, les scénaristes prenant à contre-pied tout ce dont on pouvait s’attendre de cette fin décisive. Rien que pour cette scène d’une grande puissance émotionnelle, Onward est à considérer.
DA 5 BLOODS
Le dernier Spike Lee n’a ni la flamboyance de CHI-RAQ ni la force de propos de BLACKkKLANSMAN. Ce film est plus ambitieux mais est aussi plus confus, moins focus, assez disparate. Comme si il voulait s’attaquer à tout, très vite, sans rater une miette. Il y a une impression de précipitation, de gourmandise à être pertinent sur chaque scène. Et ça casse la fluidité et la pertinence du film. Un sujet est plus fort lorsqu’il s’attache à un ou deux thèmes, comme une thèse universitaire. Ça reste cependant un imposant bloc. Si c’est foutraque, il y a de quoi sentir la passion et l’énergie qui anime Spike Lee. Rien que pour son esprit combatif, DA 5 BLOODS est à voir mais montre bien comment son cinéma peut être à la limite du trop-plein.
SOUND OF METAL
Beau travail sonore, SOUND OF METAL est un film de sens porté par l’excellent Riz Ahmed. Le film peine parfois à trouver son ton, lancé sur plusieurs pistes (la musique, l’handicap, l’opération, l’addiction) jusqu’à atterrir vers son silence évident. Ce film reste une étude précise, réaliste et intéressante de la communauté sourde, aucun romantisme ou fantasme ici, Darius Marder fait de son héros un personnage entier, vrai et pugnace. Si le romantisme est écarté, le romanesque fait défaut.
DRUNK
Je m’attendais à plus fou, plus risqué, plus chaos. DRUNK suit finalement une trajectoire très attendue, très sage. Ça se suit sans déplaisir mais ça ne provoque rien. Une ligne droite prévisible. Une beuverie que Cassavetes a mieux filmé. Beaucoup de bruit pour rien donc, et une certaine hallucination collective quant à cette scène finale dont tout le monde parle et semble s’émerveiller. Si elle est chorégraphiquement belle, elle est la triste synthèse d’un film qui n’a pas grand-chose à dire et qui réussit à s’échapper par un tour de passe-passe.
WOLFWALKERS
Grande réussite que ce WOLFWALKERS, mon 1er Tomm Moore, qui transforme ce simple conte folklorique en une splendeur esthétique et un bijou d’animation. On nage dans les territoires Ghibliens. Nommé aux Oscars.
TIME
C’est sur Amazon Prime, un documentaire nommé aux Oscars à voir de Garrett Bradley. Le portrait bouleversant d’une attente interminable qui se concentre sur l’essentiel, l’amour et la foi, tout en révélant l’injustice d’un système carcéral inhumain. C’est beau et cruel comme le temps offre de l’espoir et comment on s’y rattache à corps perdus. Mais tout vient à point à qui sait attendre.
FIRST COW
Grand oublié, le chef-d’œuvre de Kelly Reichardt était dans mes rêves les plus fous le grand gagnant. Un autre coup de maître de la réalisatrice de Miami. FIRST COW est un film magistral qui assoit Kelly Reichardt comme l’une des cinéastes les plus douées du 7ème art. D’une simplicité folle mais d’une ampleur considérable, un film aussi doux que violent, aussi beau qu’amer. L’histoire universelle d’un rêve entre deux hommes, d’une entreprise hôtelière sur les côtes US. Mais voilà, ces deux hommes sont pauvres et n’ont pas les moyens de leurs modestes ambitions. L’un des deux a un réel talent de pâtisserie, et une vache vient de faire son apparition dans ce petit village d’Oregon du 19e siècle. First Cow est le récit tragique en creux du rêve américain, du capitalisme cruel, de la colonisation… Ce film me paraît être l’aboutissement thématique et stylistique de ses précédentes (magnifiques) œuvres. Un must-see absolu, un néo-classique.