Disséquer les identitaires : rencontre avec François Bégaudeau

Cette interview a été menée par Jean Fumoleau et Nicolas Cadot.

L’an dernier, François Bégaudeau, écrivain, critique littéraire, scénariste et réalisateur, sortait Notre Joie.  Un soir,à Lyon, un jeune homme d’extrême droite, M, se présente à Bégaudeau comme “fan” de lui et lui propose un verre. Il accepte, piqué par la curiosité de son adhésion. Au fil des bières et des échanges, il constate rapidement que rien ne les relie, que tout les sépare. Les valeurs, le vocabulaire, les idées. Puis il va longuement s’interroger sur M, restant en contact avec lui pendant presque 2 ans. L’auteur nous propose donc des réflexions autour de la mouvance identitaire renaissante, de quoi elle se compose, sur quoi elle repose, ce qui la nourrit et la rend possible. 

A l’occasion d’un passage à Nantes nous avons rencontré François Bégaudeau et creusé avec lui la question identitaire, les méandres de l’extrême droite en France, et bien d’autres choses encore. 

Si on prend un peu de manière très terre à terre la question identitaire pour toi, on pourrait trivialement la résumer au fait que ce n’est pas un sujet. Ainsi, après la rencontre avec M et avant de débuter la rédaction de Notre joie, t’es-tu posé la question d’accorder plusieurs mois de travail pour écrire un livre qui traite de cette question ?

C’est vrai que c’est toujours un peu dangereux de construire un livre sur une idée dont on n’arrête pas de dire qu’elle est vide. Néanmoins il y a deux choses qui me sauvent je pense, notamment que le livre parle de plein d’autres choses, car 300 pages sur les identitaires jamais de la vie. Ici l’idée c’est de partir de lui, M, puis d’étendre le sujet, d’ailleurs la deuxième partie est plutôt sur la gauche, plutôt sur mon camp. En fait mon but, un peu pervers, était de partir de M pour tranquilliser le lecteur bourgeois et au bout du compte de retomber sur lui et dire finalement, écoute, entre toi et M ce n’est pas si différent. 

Fondamentalement si on regarde l’idée de l’identité, elle n’a pas de sens, elle n’a pas de contenu, après, il se trouve que pleins de gens l’ont en tête. C’est comme quelqu’un qui penserait qu’il y a des reptiliens sur la planète, à priori je n’y crois pas, mais c’est intéressant de décortiquer comment le mec en arrive à croire à ça. Les reptiliens ne sont pas réels, mais c’est très réel que des gens y croient. On pourrait dire la même chose de la religion, c’est à dire ne pas croire en Dieu, mais en même temps trouver intéressant d’analyser le fait que certains arrivent à y croire. 

J’essaye d’analyser un cerveau avec M. Après il se trouve également que ces idées connaissent de plus en plus de popularité. Et des personnes adhérant à ces idées j’en rencontre de plus en plus de gens, des mecs surtout, il y a un truc très masculin là-dedans. Il y a 40 ans ils auraient été de gauche radicale ou anarchiste et aujourd’hui ils mettent leurs contestations à l’extrême droite, chez les identitaires donc je pense qu’il y a quelque chose à creuser, ce n’est que pas trois gugus dans leur cave ils représentent beaucoup de personnes.

Concernant la question de l’identité, eux,  la renvoie à quelque chose de vide, sans contenu, néanmoins cette question peut être belle sur le plan philosophique, on peut penser à Deleuze ou à Foucault, notamment les identités mouvantes. 

Si on rentre dans le détail, autant que je peux connaître ces deux penseurs, ils l’ont pensée mais de façon critique surtout. Le concept central de Deleuze est une réponse à l’opposé de cette question car il pense le devenir. Le devenir c’est la mobilité, être toujours en mouvement, en transformation. Ils ont beaucoup mis en avant la mobilité du sujet, le fait qu’on soit des coquilles vides et qu’on se construise. Je suis assez sec dans le livre avec ça,  car d’un point de vue philosophique et même tactique je suis sur une réfutation totale du mot. Parfois on tente de le sauver en le gauchisant, mais on lui adjoint des choses contre nature. A gauche on dit souvent que ce qui n’est “pas bien” c’est les identités figées, donc nous on va mettre en avant les identités plurielles. Mais identité, si le mot a un sens, c’est être le même tout le temps, c’est bien ça que revendique les identitaires. Dans l’identité française, européenne, la race blanche, l’identité chrétienne, eux sont pour la fixité, la permanence des choses. Moi je pense qu’à ces gens là il ne faut pas opposer l’identité plurielle, mais dire  l’identité ça n’existe pas. Je suis pour une réponse radicale, le mot n’est pas sauvable, parlons d’autre chose. La lutte des idées c’est aussi d’imposer ses propres mots et ne pas prendre ceux de l’adversaire. Si on commence à parler d’identité, de toute façon on a perdu.  Je propose une hygiène claire, identité on enlève.

Très tôt dans le livre, tu vas rapidement mettre en exergue qu’ils pensent (les identitaires) par le biais d’idées sans jamais s’ancrer dans le réel.

Il faut prendre des exemples précis, je pense qu’ici c’est la clé. On dit souvent des gens d’extrêmes droites on en fait une réfutation morale, je n’aime pas trop ce terrain. Je vois surtout que, et notamment chez M, les idées gouvernent le monde et au sein de celles-ci les mots en “isme”, donc il va par exemple dire : le “sans frontiérisme”.Alors ça veut dire quoi ? Des gens se réuniraient pour haïr les frontières ? Ça ne se passe pas comme ça la vie. C’est une erreur fondamentale de M de considérer que des idées s’affrontent. Pour moi la vraie lutte c’est des marchands qui tentent de s’étendre face à des gens qui tentent de résister, point. Si demain la France devenait une dictature nazis, et que des anarchistes italiens qui auraient prit le pouvoir,  envahissaient la France pour la libérer du nazisme, dans ce cas-ci je suis pour l’envahisseur, inversement quand je vois que l’union européenne nous impose de démanteler notre système social je suis pour le souverainisme national, pour être clair il n’y a pas d’idées générales là-dessus.Selon des situations on sera plus ou moins pour protéger un territoire ou pour qu’il soit assailli. M ne prend jamais au cas par cas, il fait de grandes généralités.

 C’est un point commun qu’ils ont avec les libéraux, quand on se réfère à toute la pensée de l’omo oeconomicus, tous les salariés, les non-salariés, sont pris de façon extrêmement générale, comme tous étant des êtres irrationnels, ne pensant qu’à leurs propres intérêts. 

Il faut être honnête, nul n’est exempt de généralisations, moi aussi parfois j’en fais, quand je dis “le capitalisme” s’en est une mais il faut tenter constamment de l’exemplarifier.  Quand je dis “au bout du compte dans l’histoire du 20e siècle des mouvements d’extrêmes droites anti-libéraux, ont été à chaque fois les alliés du capital” c’est une généralité, ensuite je prends des exemples, Mussolini, Hitler, Bolsonaro ou encore Pinochet. Les généralités c’est intéressant d’en avoir, la pensée fonctionne aussi comme ça, simplement la politesse de celle-ci va être de prendre des cas précis. J’ai beaucoup débattu depuis un mois avec des mecs de droite, des autoritaires, à chaque fois j’arrive à les prendre au cas par cas. C’est comme l’insecticide pour un insecte, ça ne manque pas. 

Sur ce sujet-ci, de rapprocher une idée du réel, tu donnes un exemple, celui de la plainte judiciaire, où tu dis qu’on ne peut pas s’attacher à cette finalité mais plutôt de quoi elle résulte, qu’on devrait mettre en avant le système qui la produit plutôt que la plainte elle-même. 

C’est compliqué. Ce sont des hypothèses de pensée. Ce sont des questions qui se sont beaucoup posées dans la scène de l’émancipation raciale et de genre, sur des faits qui ont beaucoup eu recours à la justice. On doit se positionner. Est-ce que c’est vraiment émancipateur de se référer à la justice? Encore une fois c’est du cas par cas. Il faut voir ce que produit la scène du procès elle-même. Il y a un exemple très connu dans la scène de l’émancipation féminine : un procès politisé et dont la politisation a produit des résultats. C’est le fameux procès de Bobigny en 1972 où une femme était mise dans le box des accusés pour avoir pratiqué un avortement clandestin. Gisèle Halimi, grande avocate, a décidé de faire de ce procès une scène politique pour que ce jugement vaille pour toutes les femmes se faisant avorter clandestinement à l’époque. Et ce procès a été un jalon fondamental qui a mené à la loi 2 ans plus tard. Si on arrive à ce que le procès devienne un exemple général, alors oui le procès peut être un outil politique. Et parfois non. Je trouve toujours étrange d’un point de vue anarchiste de dire d’un côté que le système judiciaire est corrompu et bourgeois, qu’il existe une justice de classe, or on y a recours. C’est l’une des problématiques du comité Adama aujourd’hui, bien que je pense qu’ils y ont réfléchi. 

Ils disent qu’il y a un racisme d’Etat, s’il y a un racisme d’Etat c’est que la justice est raciste aussi, or ils vont avoir recours à celle-ci pour arbitrer la mort d’Adama Traoré. Il y a une contradiction interne. Finalement on décrète le système capable d’arbitrer, comme si on le pensait neutre.

Tu mets également un point d’honneur à rappeler qu’on met trop souvent l’accent sur le messager et non sur le message qu’il transmet.

Ce qui caractérise beaucoup ce périmètre politique, avec lequel d’ailleurs je fais des bonds, car sur le cas du livre je parle de Greta Thunberg mais c’est surtout Onfray que je pointe, c’est -à -dire que de M je suis déjà passé à Onfray. On a très vite glissé, car j’essaye de reconstituer un bloc convervateur finalement. C’est des gens qui sont pour la conservation de l’ordre social tel qu’il est. Nous avons une situation climatique qui appellerait à des changements radicaux, lesquels perturbent clairement l’ordre social. On est clairement nombreux à savoir que si on veut s’en sortir il va falloir aller emmerder le capitalisme. Et là apparaissent des intellectuels de garde, et Onfray en est. Si vraiment on rentrait dans ce débat-ci avec Onfray on pourrait le perdre assez vite, et montrer qu’on va devoir attaquer pas mal de choses. Onfray sait bien ça comme d’autres intellectuels de garde, donc que fait-il ? Il embrouille le débat, il attaque ce qu’il y a de pittoresque dans la thèse écologique, pas le sérieux, les statistiques, l’idéologie politique, on regarde la surface des choses, ou encore le messager. Greta Tunberg, arrive, il la discrédite. C’est la meilleure façon de ne pas parler du réel. C’est toujours la même chose. 

Comment peut-on sortir de ce non rapport au réel ? 

Honnêtement je ne suis pas optimiste, je pense que nous avons tous des réactions affectives, et qui font que quand quelqu’un préfère la falsification au réel, il y a quelque chose qui le satisfait davantage, presque de l’ordre de l’érotisme. Il semblerait que cette langue les satisfasse, cette façon de voir le monde aussi, alors ça c’est compliqué à guérir. Par exemple, prenons le racisme comme affect. On comprend l’affect raciste si on comprend la satisfaction que peut éprouver quelqu’un qui le porte. 

Il y a un plaisir de leur part dans le rapport au vocabulaire, à la langue raciste. C’est comme la puissance érotique des mots crues dans le sexe, qui procure une puissance de l’excitation.  Tu pourras toujours raconter de façon rationnelle à un raciste que son discours n’a pas de sens, que ce n’est pas les noirs et les arabes qui déséquilibre le corps social, que les vrais coupables ne sont pas eux, que ce n’est pas à cause des migrants que tu n’as pas de boulot mais à cause d’une donnée générale économique. Et au fond il le sait, simplement quelque chose l’excite dans le fait de désigner le migrant ou l’immigré de première ou troisième génération comme étant le coupable. On a à faire à quelqu’un qui ne veut pas lâcher sur son plaisir. 

M n’est pas simplement un identitaire, il se présente comme un fan de moi donc qui m’accorde une espèce de légitimité intellectuelle énorme, tu parles ! Ce soir-là je n’arrive à rien lui faire entendre. Voilà bientôt 2 ans qu’on communique de façon intermittente, il n’a pas bougé d’un poil. La France ça le fait kiffer, et je crois que je n’y peux rien. 

Est ce qu’il n’y aurait pas, à cause des conditions socio-économiques, un besoin fort de se raconter des fables ? 

Ça serait effectivement mon acte de foi matérialiste. Je ne pense pas que les mots puissent convaincre qui que ce soit, ou alors on prêche des convaincus. En revanche, les données matérielles, il me semble que c’est ce qui a fait émerger le vote des ouvriers vers l’extrême droite depuis 40 ans. Il y a eu un délitement du monde du travail, qui ne s’est plus vécu comme classe ouvrière, il s’est retrouvé isolé, et là il ne peut plus faire émerger une conscience de classe. C’est une autre matérialisation du travail qui finira par faire émerger celle-ci. Il y a une porte de sortie, c’est les mouvements sociaux, je crois à l’emballement d’un mouvement. L’état actuel du capitalisme nous laisse présager d’un sursaut populaire. 

Si les identitaires ne sont que dans l’affect, pourquoi tu discutes autant avec eux ? 

Évidemment je l’avoue, j’en retire du plaisir. La soirée avec M se passe bien, il fait beau, y a de la bière, des anarchistes qui m’insultent (rire), une super soirée quoi !  Mais même quand je discutais à 18 ans, je n’ai jamais considéré que j’allais les convaincre. Quand je discute de cette façon, je ne m’attend pas du tout à convaincre mon interlocuteur ou les spectateurs de son côté, par contre ça permet de clarifier des choses, comme ce qui nous sépare exactement, et ça c’est important. 

Typiquement dans Livre Noir, je pense que notre discussion  autour de l’immigration est importante. De sortir de ce cliché véhiculé envers la gauche, « nous on est pour l’accueil de l’autre » et cetera. Je crois que c’est important de leur rappeler qu’on est pas si con, on met pas de la poésie dans un truc qui est à sa base vraiment dégueulasse, c’est-à-dire la tragédie qui pousse des gens à quitter leur terre, et quiconque fait de la poésie avec ça est un connard. On a à faire à des prolos au cube, avec des familles meurtries, qui ensuite se font exploiter par des passeurs, se font violer quand c’est des femmes. Il est finalement question de raconter des parcours d’hyper-prolétaires. Personne n’est pour l’immigration en soit évidemment. Je ne suis pas pour que Mamadou du Sénégal quitte sa femme et ses enfants pour traverser le désert, puis termine à se faire exploiter dans une cuisine dans le 13e arrondissement à Paris. Après ça, effectivement quand des gens ont eu ce parcours-là, évidemment on les accueille, on ne leur remet pas un coup sur la gueule. S’il y a quelqu’un d’extrême droite qui regarde ça, évidemment il ne changera pas d’avis, mais peut-être que pendant un court instant, il se rend compte que les gens de gauche ne sont pas si cons. 

Tu pointes également dans Notre Joie, que tout ce qu’ils mettent en avant ( les identitaires ), comme les « zones de non-droit », sont finalement des fantasmes de leur part, ils veulent que ça se produise

Quand on parle autant de la guerre civile, c’est que ce n’est pas un repoussoir, forcément on est en sympathie avec cette idée. Ces gens en parlent avec un tel appétit, qu’on ne peut que voir que c’est une perspective qui les excite. Je le dis également à propos des flics et de la fameuse affaire de Whatsapp, c’est très audible dans ce cas-ci, on voyait bien qu’ils n’attendent qu’une chose, c’est à dire de pouvoir faire n’importe quoi en banlieue. 

Très tôt dans le livre, tu énumères les points que convoquent l’extrême droite, tu évoques brièvement Napoléon. Plus largement, comment analyses-tu le fait que scolairement on pense et on étudie l’Histoire par le biais de grandes figures et qu’on met complètement de côté l’Histoire des masses ? 

Les gens de droite vont au contraire considérer qu’on étudie pas suffisamment les grands personnages. De mon côté, je défendrai plutôt ton point de vue. En tout cas on a une Histoire très centrée sur les grands événements, les grandes figures et moins sur les mouvements de masse. On ne fait pas suffisamment l’Histoire des grands mouvements de manière générale à l’École. Les gens qui veulent préserver la patrie et l’ordre social s’intéressent peu à la vérité, ce qu’ils veulent c’est du panache, du romanesque. Ils veulent vivre comme dans un roman. Ils veulent du grand. Expliquer la Révolution française par la hausse du prix du blé ce n’est pas romanesque, c’est matériel. Ils préfèrent dire que le peuple se soulève, d’un seul coup, au nom des idéaux (rire). Pardon mais c’est pas comme ça que ça se passe. Ils préfèrent le roman à la vérité. A l’école, viendrait s’ajouter une seconde épaisseur :  le roman national. Donc à la fois on veut une Histoire romanesque, mais en plus positivée, donc l’Histoire ne sert pas à énoncer la vérité des faits, mais à former de bons français et donc leur donner la notion de fierté, d’où leur haine de ce qu’ils nomment « l’Histoire de la repentance », c’est à dire la colonisation, l’esclavage. Là pour moi ils affichent quelque chose de complètement disqualifiant, ils ne sont pas à la recherche de la vérité, leur enjeu prioritaire est de préserver l’ordre social, préserver l’unité de la patrie.

Qu’est-ce qui selon toi a rendu possible ce renouveau identitaire ? 

C’est une fusée à plein d’étages. Je vais toujours mettre en avant la causalité matérielle. Dans les années 50 l’ouvrier se voit d’abord comme ouvrier, il vote communiste, très massivement. Ensuite il y a un démantèlement de la classe ouvrière en tant que classe, ça c’est vraiment le point de départ.  Après il y a des causalités plus conjoncturelles, tenant à des phénomènes : à la circulation des idées en elle-même. D’abord dans les médias qui sont en grande partie des fabriques d’opinion et qui sont tenus par la bourgeoisie. 

Ces bourgeois ont eu tout intérêt à mettre en avant les problématiques identitaires et culturelles. La bourgeoise macronienne adore Zemmour par exemple, il place le débat sur la France et ses pseudos problèmes, et en attendant on ne place pas le débat sur la seule chose qui inquiète la bourgeoise, c’est à dire les classes. Les fascistes ont toujours été les alliés objectifs de la bourgeoisie pour ça. Là où les prolos auraient pu cibler la classe dominante qui les exploite, ils ciblent les arabes et les noirs.  Les médias, les intellectuels conservateurs vont beaucoup mettre en avant les problématiques identitaires. Des gens comme M regardent la télé et n’entendent que ça. 

Enfin il y a un troisième élément qu’on sous-estime, c’est internet. M a 25 ans, et a été formé sur internet. Les fachos y ont été les premiers, Soral exemplairement. Soral est la première star intellectuelle en France. M tombe sur Soral, il boit du Soral et il se construit comme ça. 

Dans la seconde partie du livre qui se nomme La Boussole, tu règles en quelque sorte tes comptes avec ton camp, en replaçant au centre la question sociale. Pourquoi jugeais-tu important d’y consacrer la moitié de Notre Joie ?

J’avais fait le tour du propriétaire du bloc conservateur donc là je voulais me rediriger vers la perspective de la gauche, nous, on fait quoi maintenant ? Donc revenir à la base, reprendre les choses à zéro. Je voulais remettre à nu les gestes théoriques et analytiques de la gauche et pour moi la base, c’est la scène sociale et la scène du travail. C’est d’abord notre position sur le marché du travail qui détermine notre vie sociale et donc notre vie de citoyen. Quelle que soit ta situation, même quand tu es chômeur, surtout quand tu es chômeur. Un chômeur c’est quelqu’un qui pense toute la journée au boulot qu’il n’a pas, au boulot qu’il pourrait avoir,  à Pôle Emploi qui l’appelle tous les mois pour savoir s’il cherche. Le travail c’est ce qui conditionne la rémunération, et celle-ci conditionne 90% de la vie sociale, à savoir le quartier où j’habite, le logement dans lequel j’habite, ce que je mange, comment je me déplace, où je pars en vacances. L’ensemble de ma vie sociale est conditionnée par combien je gagne, donc il me semble que c’est ça qu’il faut mettre en avant. Je pense qu’un vrai candidat de gauche aux présidentielles, c’est quelqu’un qui refuserait dans les débats de parler de tout ce qui n’est pas 2 choses : comment on se loge et comment on se nourrit. Ça paraît très réducteur mais je suis convaincu qu’il faut le réaffirmer. Ce qui n’empêche pas de s’intéresser à un tas d’autres choses, les formes d’émancipation, le racisme, l’éducation. Mais notre valeur sociale est aujourd’hui associée à notre valeur marchande, c’est ça le grand drame. Nous sommes obligés de nous marchandiser. Il faut faire en sorte que ce qui me fait bouffer est proche de ce qui moi m’importe, voilà la réelle émancipation.