Etre auditrice de JPEGMAFIA n’a pas toujours été une tache facile. C’est en tout cas une de celles qui n’est pas synonyme de paisibilité. Le rappeur a d’ailleurs façonné son identité dans le rap par la complexité de ses sonorités, la rudesse voire la brutalité de son approche qui semblait n’en avoir parfois que faire de la présence d’un public. Quitte parfois à se perdre, quitte aussi à ce que l’auditeur se détache de son cheminement, un peu comme s’il était la moitié toxique de la relation et qu’on était pas toujours assez fort pour lui faire face. Il fallait une certaine solidité et une certaine sérénité pour se lancer dans un projet de JPEGMAFIA tant tout est intense. Entre noise, punk, rap et autre expérimentations, il fallait être prêt à remettre beaucoup de préconçus en question pour comprendre ce qu’essayait de livrer JPEGMAFIA. C’est donc d’autant plus étonnant de retrouver sur cet EP2! un sens de la mélodie comme on l’a rarement connu aux cotés de cet homme, se laissant aller brillamment pour la première fois plus à la nostalgie qu’à la colère sourde.
EP! était sorti en Novembre dernier et cette suite n’en est absolument pas une. L’état d’esprit est différent, la direction est opposée et c’est un signe d’intelligence probant de celui qui avait peut-être du mal à sortir d’un univers abrasif qu’il avait déjà créé et arpenté tout au long de sa carrière. Sur Veteran, sans doute son meilleur album sorti en 2018, il avait déjà laissé timidement paraitre une curiosité pour des sonorités plus instrumentales, plus soucieuses du confort de l’auditeur comme le titre d’introduction le laissait entendre. Cependant sa discographie semblait suivre un cheminement logique qui aurait du mener au chaos et il est donc d’autant plus fascinant de voir le rappeur nous emmener tout autre part. Sans doute est-ce la meilleure période possible et peut-être la seule qui puisse permettre de trouver une facette de soi que l’on aurait à peine imaginée dans un autre contexte.
Le context pour lui consistera à s’enfermer pendant quatre semaines dans une pièce pleine de synthés et essayer de retranscrire à la fois la perdition d’un monde qu’on ne comprend plus et la sienne. JPEGMAFIA compose, produit et performe lui-même tout au long de ce projet à l’exception notable d’une co-production de James Blake sur le titre PANIC ROOM!. Etonnement c’est donc plus ou moins un album de développement personnel dans le sens où il est la traduction d’un cheminement interne dont les conclusions sont ces expérimentations. Equilibre psychique, désillusions, rancoeurs, pardon, fierté notamment noire tout est abordé avec une raison et une fluidité qu’on ne lui connaissait pas.
JPEGMAFIA a non seulement composé et produit différemment mais il pose aussi de façon beaucoup plus posée, comprenant enfin qu’il n’y pas besoin de parler fort pour se faire comprendre, au contraire. FEED HER! ou THIS ONES FOR US! trouvent donc un élan dans une voix à l’écoute de la mélodie plus que de ses pensées, oscillant entre chant, autotune et se positionnement plus près du chuchotement parfois que des excès auxquels il nous avait habitué. A l’écoute et la réécoute de cet EP, il devient évident qu’il n’aurait pu y avoir personne d’autre que lui-même, seul, pour le construire. Sans tomber dans la description de son cheminement personnel, il dit tout de la réflexion qu’il a mené sur lui-meme et son travail, donnant une entièreté magistrale au projet. La musique de JPEGMAFIA ne s’ouvre pas pour autant au dialogue. Il communique ses états d’âme et d’esprit sans question ouverte, sans recherche de réponse, il livre ses conclusions comme des états de faits.
Si on aime autant l’autotune c’est qu’on aime la mélancolie. Sur une des plus belles productions de cet EP à mon sens, KELTEC!, Peggy allie cet autotune à une boucle terrassante mais énergique mêlant batterie, synthés et vocodeur pour un morceau hors du temps. En écho avec FIX URSELF! juste avant, l’intimité du projet rejaillit dans toute sa sincérité. Il se laisse aller à aborder les termes du body shaming (“Every morning I body shame, I can’t stand my face“), des échecs amoureux (“My success killing all of my exes“), la solitude (“I’m alone, I’m at my best“) tout en laissant une touche d’humour à son statut toujours relativement mineur (“I think they’re scared of me, my bitch is so gorgeous“). Ce titre à l’ouverture si grandiloquente et aux 808 gracieuses est d’ailleurs une de ses plus belles preuve de la maitrise de ce nouvel univers.
Il faut beaucoup d’intelligence pour produire un tel projet. Humaine et musicale. JPEGMAFIA l’a toujours eu mais il semble aujourd’hui avoir réussi à la dompter pour qu’elle continue à le faire évoluer. EP2! est un projet empli de poésie maladroite, à l’image d’un certain nombre d’entre nous qui comme lui, préfèrent s’isoler. C’est un projet du nouveau monde peut-être, c’est en tout cas clairement ce qui s’ouvre avec JPEGMAFIA et cette fois on sera très attentif à l’y suivre.