La sincérité chez Tyron Frampton

Souvent, les artistes qui utilisent leur nom civil comme nom de scène font preuve de transparence dans leur musique. L’évolution personnelle d’un artiste se calque sur son évolution musicale, Kendrick Lamar en est l’exemple le plus parlant. En 2016, il se détache de son ancien pseudo K-Dot pour se présenter sous son vrai patronyme. Ce changement subtil s’entend à travers sa musique et en particulier avec l’album DAMN.. Un album qui tourne autour de réflexions personnelles et de textes introspectifs sur “DUCKWORTH.” ou “FEAR.”. Kendrick Lamar nous propose des morceaux aux émotions très humaines en développant l’album sur des problèmes spirituels. Comme Isha, Médine ou encore Kanye West, d’autres optent aussi pour cette transparence ; la réflexion va plus loin que le style, on joue ici la carte de la sincérité. C’est dans cette sincérité que Slowthai a décidé de construire son deuxième album studio en utilisant son prénom comme titre, c’est aussi un moyen d’annoncer que ce projet sera plus intime.


TYRON est scindé en deux parties de sept titres chacune. La première, rassemble des morceaux énergiques ; titrés en majuscules qui rappellent un certain album de Kendrick Lamar. Sur ce premier bloc, Slowthai continue d’ériger des ponts entre punk et rap anglais, un travail qu’il avait déjà entamé avec son premier album Nothing Great About Britain. Puis, dans la deuxième partie, l’artiste de Northampton se montre plus sincère, vulnérable et introspectif.

En 2019, slowthai arrive à la cérémonie des Mercury Prize avec une fausse tête décapitée de Boris Johnson, puis, lors des NME Awards de 2020, il tient des propos sexistes auprès de l’humoriste Katherine Ryan. Ces attitudes de mauvais garçon ont suffi pour mettre Slowthai sous le feu des critiques. C’est dans une période un peu sombre que Skepta lui vient en aide et le rassure en lui expliquant que ces étapes lui serviront à nourrir son prochain album. On retrouve Skepta dès le deuxième morceau, “CANCELLED” est harmonisé par une flûte hypnotisante rappelant celle avec A$AP Rocky pour “Praise the Lord (Da Shine)”. Ce rapprochement n’est sûrement pas anodin puisqu’on retrouve Rocky sur le track suivant avec “MAZZA”. Mazza pour mazzalean c’est un mot (selon slowthai) qui désigne les personnes ayant des troubles d’attention. Ces dernières années, Slowthai s’est beaucoup rapproché du A$AP MOB, en intégrant le collectif new-yorkais mais aussi en signant sur le label AWGE d’A$AP Rocky. 


Slowthai et Escalope Viande Hachée 

 Avec “VEX” et “WOT” on ressent une influence du côté de Memphis aux 808 pesantes et textes macabres. Sur “WOT”, Slowthai arrive à capturer plusieurs énergies en quelques secondes. Un morceau réalisé dans un contexte singulier, lors d’un entretien avec Apple Music Slowthai raconte avoir rencontré Pop Smoke le soir où il a enregistré ce morceau, le même soir où Pop Smoke nous a quittés… “WOT” devait initialement accueillir A$AP Rocky mais le jeune Tyron a préféré rester seul, trouvant que le morceau avait réussi à capturer suffisamment d’énergies, en partie celle de Pop Smoke. Cette première partie de l’album se termine avec “PLAY WITH FIRE”, un début faisant penser aux productions de Tyler, The Creator, ce titre dénote l’ambiance des morceaux précédant et annonce un Slowthai plus calme pour la seconde partie. 

Là où les premiers morceaux sont stylisés en majuscules, les derniers sont en minuscules. Et c’est dans une énergie adoucie que l’artiste de Northampton est plus sincère avec ses émotions. Dès “i tried” slowthai revient sur son parcours et les moyens qu’il s’est donné pour se dépasser et être là où il est aujourd’hui. Accompagné de sonorités planantes sur “focus”, Slowthai continue d’argumenter qu’il est possible d’y arriver même si on vient de loin ou qu’on est entouré de mauvaises personnes. Cette deuxième partie semble avoir été importante pour lui, on y retrouve beaucoup d’introspection. Il revient sur sa célébrité avec le morceau “terms”, il exprime une prise de conscience avec “nhs”. Dans ce morceau, il revient sur le regard très occidental qu’on porte sur le système de santé publique. Là où on a tendance à tout prendre pour acquis, il a fallu une pandémie mondiale pour qu’on reconnaisse l’importance du corps médical. 

C’est dans ce rythme contemplatif que Slowthai dédie le single “feel away” à son frère disparu lorsqu’il était enfant. Un refrain assuré par James Blake et une production mélancolique de Mount Kimbie, ce morceau est idéal pour faire disparaître le spleen qui nous habite parfois. Le morceau est accompagné d’un clip tout aussi marquant. Slowthai inverse les rôles en se mettant à la place de sa partenaire, afin de montrer la brutalité de voir son compagnon partir lorsque l’on attend un enfant. Le message de cette épreuve trouve un lien avec ce qu’a connu Slowthai : il suffit de traverser toutes ces souffrances pour mieux savourer la beauté des choses. 

La pochette de Crowns & Owls recèle aussi plusieurs significations. On pourrait comprendre que la pomme qui s’est détachée de l’arbre est une référence à celle de Newton, mais selon Slowthai, elle signifie que tout ce qui monte finit par redescendre. Lors d’un long entretien avec Anthony Fantano, il revient sur le pommier qui représente l’arbre de la vie, et donc sa santé mentale. On peut également apercevoir l’oiseau bleu de Twitter dans les branches du verger. La synthèse de TYRON se trouve sur “adhd”. Dans une voix douce, Slowthai revient sur son hyperactivité avant de s’énerver vers la fin du morceau ; ce qui ne l’empêche pas de clôturer l’album avec un baiser.