1/ MEMORIA – APICHATPONG WEERASETHAKUL
Synopsis : Jessica, une cultivatrice d’orchidées va à Bogota rendre visite à sa sœur malade. Elle devient amie avec Agnès, une archéologue chargée de veiller sur la construction interminable d’un tunnel sous la cordillère des Andes ; et elle devient aussi amie avec un musicien, le jeune Hernán. Mais, toutes les nuits, elle est dérangée dans son sommeil par des bruits étranges et inquiétants…
Sidération totale devant cette nouvelle œuvre du génie thaïlandais. Une séance mémorable tant le réalisateur a poussé les possibles sensoriels jusqu’à l’hypnose. C’est l’immense talent du cinéaste, de nous emmener dans des recoins invisibles à l’œil nu, et pourtant, de toujours nous faire ressentir une présence. C’est dans ce plan long, qui dure, que se crée la magie. Et dans un son, inoubliable, que se crée le trouble. Quel est ce bruit étrange et pénétrant qui vient déstabiliser Jessica, interprétée par Tilda Swinton ? Dans une séquence qui restera dans les annales, Jessica cherche à isoler ce son qui l’obsède à l’aide d’un mixeur. Se joue alors le découpage méthodique de cette quête mystérieuse. Cette aventure se finira dans les confins de la forêt colombienne, où des vies antérieures et des mémoires passées viennent se calquer sur notre réel. Jusqu’à une nouvelle scène démente, venue d’un autre monde. Un choc absolu dont on ne s’est toujours pas remis.
2/ BENEDETTA – PAUL VERHOEVEN
Synopsis : Au 17ème siècle, alors que la peste se propage en Italie, la très jeune Benedetta Carlini rejoint le couvent de Pescia en Toscane. Dès son plus jeune âge, Benedetta est capable de faire des miracles et sa présence au sein de sa nouvelle communauté va changer bien des choses dans la vie des sœurs.
Complètement fasciné et conquis par Benedetta, interprétée avec brio par Virginie Efira. Allant au-delà des espérances et des attentes placées en lui, ce film réussit à placer le curseur du trouble à une limite géniale : la jonction du guignol et de la foi pure. Voilà donc un film hybride, aussi trivial que retors à tous les niveaux. Paul Verhoeven a toujours su renverser et transgresser ses images, ce qui a eu comme conséquence pour le public et une partie de la presse, la fâcheuse tendance à mépriser ou sous-estimer ses films. Parce que le cinéaste filmait la frontière entre le bon et le mauvais goût, entre le kitsch et l’arty, entre le grotesque et le sublime.
La foi suprême de Benedetta dérange parce qu’elle contraste avec la foi polie des autres sœurs du couvent. Sa ferveur et la possibilité de miracles engendrent le doute au sein de cette communauté. Faut-il croire oui ou non à ce que la parole de Dieu se répande concrètement en Benedetta ? Alors que cette parole est bien souvent métaphorique, abstraite même, Benedetta clame que Jésus parle en elle. Se joue alors le trouble qu’on peut associer à une fameuse partie de la littérature russe: celle du Grand Inquisiteur dans le roman Les Frères Karamazov de l’écrivain Fiodor Dostoïevski. En l’ultime sacrifice du Christ contraste l’attitude des hommes, leurs faiblesses, leur avarice, leurs péchés et leur confort, qui préfèreront toujours suivre un leader fort et charismatique, bien que manipulateur, qu’un nouveau Christ, même s’il partageait les mêmes traits que Jésus lui-même. C’est alors tout le jeu de dupe entre le système clérical, hypocrite et parasite ; le système des sœurs, soumises au diktat des hommes et aux lois de l’Eglise ; et Benedetta, électron libre qui propagerait une parole christique rétablie et renverrait aux deux systèmes précédents leur inconfort.
A cela, Verhoeven rajoute une couche non moins polémique, celle de la sexualité de Benedetta. Si elle rêve de Jésus et a son image imprégnée en elle (image par ailleurs volontairement clichée et grossière du Christ blanc, représentée dans quasiment toutes les icônes de son temps), Benedetta a une attirance pour Bartolomea auxquelles se suivront des relations sexuelles. Du lesbianisme dans l’Eglise Catholique, en voilà une polémique en devenir. Mais la grande force du film est de ne pas en faire un sujet non plus, la sexualité ici est assumée et revendiquée comme normale. Benedetta sépare l’amour de Jésus, son époux, et son plaisir charnel. La force et la foi qui la guident ne l’éprouvent aucunement d’une quelconque honte. En voilà une grande idée, qu’une foi, n’importe laquelle, autoriserait n’importe quelle sexualité, parce que cette foi, cette spiritualité sincère, est tout ce qui importe. Que la foi et l’intime sont à séparer, que l’esprit et le corps peuvent être séparés, que l’on peut être pieux et jouir à souhait, que l’on peut aimer passionnément comme désirer ardemment. Grand cinéaste féministe. Chez lui, les femmes savent ce qu’elles veulent et ne s’en cachent jamais.
Très grand film moderne qui déjoue les images préconçues et use malicieusement de son impureté pour en soutirer une œuvre d’une grande puissance dramaturgique, en plus d’être plein de drôlerie et de noirceur. C’est aussi la marque des grands films, de ne pas trop se prendre au sérieux.
3/ WEST SIDE STORY – STEVEN SPIELBERG
Synopsis: Dans les années 1950, deux bandes de jeunes s’affrontent pour le contrôle d’un quartier défavorisé de l’Upper West Side en pleine gentrification. Il y d’un côté les immigrés portoricains des Sharks, dirigés par Bernardo et de l’autre les Américains des Jets, avec Riff à leur tête.
Sensationnel West Side Story, nouvelle preuve de la virtuosité et générosité de Spielberg, toujours enclin à infuser de la pure magie dans sa mise en scène, autant qu’à creuser un certain vertige: celui d’un monde déliquescent, miroitant sa propre fin. Il fallait une certaine audace pour réaliser le remake d’un classique légendaire du cinéma américain, réalisé en 1961 par Robert Wise. Mais rien n’est trop grand pour le génie américain, réussissant à réinventer le musical de Leonard Bernstein et Stephen Sondheim, à délivrer des séquences hallucinantes de fluidité et de merveilleux, à enchanter un monde factice, en déclin, malade de sa division. Comme dans ses grands drames, Spielberg parcourt son récit de superbes visions fantômales. On pense souvent à lui pour ses gros blockbusters, il y a pourtant dans son cinéma une certaine inquiétude, comme si son regard d’enfant sautait dans le grand bain à chaque film. Entre l’excitation d’un nouveau monde à découvrir, et la crainte d’une violence en devenir.
4/ THE POWER OF THE DOG – JANE CAMPION
Synopsis: Originaires du Montana, les frères Phil et George Burbank sont diamétralement opposés. À eux deux, ils sont à la tête du plus gros ranch de la vallée du Montana. Une région, loin de la modernité galopante du XXème siècle, où les hommes assument toujours leur virilité. Lorsque George épouse en secret Rose, une jeune veuve, Phil, ivre de colère, se met en tête d’anéantir celle-ci. Il cherche alors à atteindre Rose en se servant de son fils Peter, garçon sensible et efféminé.
Complètement happé par ce faux western aux échos multiples. La mise en scène est si belle, élégante, ardente, qu’elle dupe aussi, renforce chaque minute qui passe d’un doute, d’une ambiguïté, d’une autre lecture. La récompense finale y est totale, bien que renversante. Le film m’a même mené en bateau jusqu’à sa dernière image. La sensualité deployée par Jane Campion est obsédante, la cinéaste renverse toutes les idées reçues sur la virilité et ce que c’est que d’être un homme, un vrai. Un grand film sur la tendresse réprimée par la doxa viriliste.
Disponible sur Netflix.
5/ PROCESSION – ROBERT GREENE
Synopsis: Six hommes victimes d’abus sexuels de la part du clergé catholique s’affranchissent des traumatismes de leur enfance en créant des courts-métrages qui s’en inspirent.
Immense. Peu de mots face à cette vague d’émotions. Procession est important car il remue beaucoup de choses. Réalisé par Robert Greene, déjà connu pour ses autres documentaires non conventionnels, ce travail est avant tout collectif et là est sa toute puissance. C’est avant tout un travail où l’on s’accompagne, où l’on se soutient, où l’on se protège coûte que coûte. Quand la création devient guérison, quand l’art est l’arme cathartique. Tout le processus de mise en scène est d’une puissance inouïe, le cinéma transforme le cauchemar, aide à déterrer, à accepter, à surmonter. Et l’émotion explose lorsque le cadre, le décor trouvé et l’acteur mis en place sont enfin dirigés par la victime. Elle prend le contrôle de ce qui l’a échappé toute sa vie. Chaque détail compte et ce n’est plus une simple victime, c’est un réalisateur qui s’exprime. Et au cinéma de faire jaillir une vision intime.
Tout ceci aurait pu être obscène si ce n’était pas fait avec la plus grande des tendresses, la plus grande des attentions et le plus grand respect. Tout ceci est un processus, et le temps est roi. Vraiment un très grand film, une œuvre d’amour inoubliable, une leçon fraternelle.
Disponible sur Netflix.
6/ BAD LUCK BANGING OR LOONEY PORN – RADU JUDE
Ours d’or au Festival de Berlin 2021
Synospis: Emi, une enseignante, voit sa carrière et sa réputation menacées après la diffusion sur Internet d’une sextape tournée avec son mari. Forcée de rencontrer les parents d’élèves qui exigent son renvoi, Emi refuse de céder à leur pression, et questionne alors la place de l’obscénité dans nos sociétés.
La comédie de l’année. Aisément l’une des séances les plus folles de 2021. Ce film de Radu Jude est une satire féroce, brûlante, énervée, grotesque et étrangement ludique d’une Roumanie absurde. Tout, de l’espace à la parole, est contaminé par la bêtise, l’ignorance et le mauvais goût. Brillant. Comédie divisée en trois parties, la 1ère partie est une errance presque documentaire suivant Emi dans un Bucarest envahi et contaminé par l’absurdité. Chaque plan de la ville possède un élément qui détonne, étrange, qui n’a rien à faire là. On a un regard extérieur qui analyse sa capitale pour ce qu’elle est: une ville qui aurait vendu son âme au libéralisme total. La 2ème partie est un abécédaire dément dans lequel le réalisateur s’amuse à décrypter son pays de A à Z. Leçons d’histoires et mitrailleuse en action. Le cinéaste ne rate rien, est complètement vénère et le rend bien. La 3ème partie est enfin le procès des parents d’élève envers Emi. Délicieux conflit où chacun en prend pour son grade, critique du conservatisme et de la morale religieuse, des pisse-froids et hypocrites. On ne parlera pas du plan final, complètement dingue.
7/ L’AFFAIRE COLLECTIVE – ALEXANDER NANAU
Synopsis: Après un tragique incendie au Colectiv Club, discothèque de Bucarest, le 30 octobre 2015, de nombreuses victimes meurent dans les hôpitaux des suites de blessures qui n’auraient pas dû mettre leur vie en danger. Suite au témoignage d’un médecin, une équipe de journalistes d’investigation de la Gazette des Sports passe à l’action afin de dénoncer la corruption massive du système de santé publique. L’Affaire collective suit ces journalistes, les lanceurs d’alerte et les responsables gouvernementaux impliqués, et jette un regard sans compromis sur la corruption et le prix à payer pour la vérité.
Deuxième documentaire et deuxième film roumain du top 10. Et c’est admirable, complètement bouleversant et choquant. Comment peut-on traiter sa population comme cela ? Cette affaire effraie par sa dimension horrifique. Il est question d’une politique meurtrière qui s’en sort. Et par meurtrière, comprendre par là qu’il n’y a pas d’armes, mais simplement des décisions politiques ahurissantes. Un documentaire monté comme un thriller, une enquête journalistique dingue, une radiographie d’un pays malade, corrompu et sans espoir. La fin est triste à en pleurer.
8/ ANNETTE – LEOS CARAX
SYNOPSIS : Los Angeles, de nos jours. Henry est un comédien de stand-up à l’humour féroce. Ann, une cantatrice de renommée internationale.
Ensemble, sous le feu des projecteurs, ils forment un couple épanoui et glamour. La naissance de leur premier enfant, Annette, une fillette mystérieuse au destin exceptionnel, va bouleverser leur vie.
Neuf ans après l’immense Holy Motors, le réalisateur revient avec un musical à l’audace inespérée. Aussi hanté qu’hantant, Annette paraît être plus intime que prévu, peut-être un film de repenti du grand cinéaste Léos Carax, décidément le poète-en-chef français du septième art. C’est en tout cas une proposition aussi imparfaite qu’euphorisante, folle et excessive, poétique et profane. Difficilement oubliable par sa générosité, son romantisme et ses images venues d’ailleurs. Cette histoire n’est ni plus ni moins qu’une affaire de regrets, de toxicité et de fantômes. Une vie d’artiste mené tambour battant, sans jamais trouver la paix intérieur, qui ira jusqu’à fausser sa perception de la vie, la vraie. Le personnage d’Adam Driver, grimé en Carax sur la fin du film, et qui délivre une performance exceptionnelle, n’aura de cesse de fantasmer une vie, de chercher à combler un vide, et in fine se repentir d’avoir fui ses responsabilités. Si Annette est bien au final une vraie petite fille, Henry McHenry est un Geppetto amer, esseulé et coupable. Un drame intense sous ses airs féériques.
9/ THE CARD COUNTER – PAUL SCHRADER
Synospis: Mutique et solitaire, William Tell, ancien militaire devenu joueur de poker, sillonne les casinos, fuyant un passé qui le hante. Il croise alors la route de Cirk, jeune homme instable obsédé par l’idée de se venger d’un haut gradé avec qui Tell a eu autrefois des démêlés. Alors qu’il prépare un tournoi décisif, Tell prend Cirk sous son aile, bien décidé à le détourner des chemins de la violence, qu’il a jadis trop bien connus…
Proche de First Reformed dans son écriture sèche, ses thématiques et sa douceur finale, The Card Counter est une nouvelle réussite stylistique de Paul Schrader. Un récit impressionnant sur le trauma et le grand bluff américain, avec un sujet tabou et très peu raconté, brillamment mis en scène, aussi inventif que proche de l’abstraction. Ce grand cinéaste tire à vue et n’hésite jamais à écharper le rêve américain. Ses lieux sont vidés et vides de sens, mais le réalisateur trouve toujours quelques envolées romantiques.
10/ A L’ABORDAGE – GUILLAUME BRAC
Synopsis: Paris, un soir au mois d’août. Un garçon rencontre une fille. Ils ont le même âge, mais n’appartiennent pas au même monde. Félix travaille, Alma part en vacances le lendemain. Qu’à cela ne tienne. Félix décide de rejoindre Alma à l’autre bout de la France. Par surprise. Il embarque son ami Chérif, parce qu’à deux c’est plus drôle. Et comme ils n’ont pas de voiture, ils font le voyage avec Edouard. Evidemment, rien ne se passe comme prévu. Peut-il en être autrement quand on prend ses rêves pour la réalité ?
Petite bulle rohmérienne, le film d’été parfait. Il se dégage de ce film drôle et touchant une ambiance apaisée, romantique et libre. Une comédie épicurienne populaire où l’on ralentit le temps, où l’on se rencontre, où l’on tombe amoureux. L’envie de partir en vacances n’a jamais été aussi forte.
11/ DRIVE MY CAR – RYUSUKE HAMAGUCHI
SYNOPSIS : Alors qu’il n’arrive pas à se remettre d’un drame personnel, Yusuke Kafuku, acteur et metteur en scène de théâtre, accepte de monter Oncle Vania dans un Festival, à Hiroshima. Il y fait la connaissance de Misaki, une jeune femme réservée qu’on lui a assignée comme chauffeure. Au fil des trajets, la sincérité croissante de leurs échanges les oblige à faire face à leur passé.
Une lente balade hypnotique, fascinante et profonde. Le meilleur film d’Hamaguchi après Senses et Asako I & II. La narration flotte sur une belle émotion sourde, sur un deuil regretté, sur un silence amer qui ne trouve pas de repos. Le cinéaste japonais réussit magistralement à bloquer ses scènes d’histoires contées, la récompense s’y trouve au bout des trois heures du film. Un chemin qui se mérite mais un chemin flamboyant de beauté. Le titre Drive My Car est une belle idée car le film raconte comment la survivance est possible si on se laisse à l’ouverture, à l’autre, comment on peut trouver un nouveau souffle pour un peu que l’on se laisse diriger. Belle mise-en-abyme du travail de metteur en scène.
12/ CAN’T GET YOU OUT OF MY HEAD – ADAM CURTIS
Synopsis: Comme beaucoup de documentaires précédents de Curtis, il explore et relie divers sujets tels que l’individualisme, le collectivisme, les théories du complot, les mythes nationaux, l’impérialisme américain, l’histoire de la Chine, l’intelligence artificielle et l’échec de la technologie à libérer la société de la manière dont les utopistes l’espéraient autrefois.
Près de huit heures ébouriffantes et passionnantes sur un monde qui n’arrive pas à réaliser ses rêves. Collages, archives, comme si Histoire(s) du cinéma de Godard était remaké par Curtis. Moins philosophique, plus sensationnel et émotionnel. Dans tous les cas, une revue euphorisante et bouillonnante intellectuellement.
Analyse des espoirs vaincus, regard sur les désillusions passées et les échecs démocratiques, pourquoi le fascisme est-il une séduction qui ne cesse de se répéter… Tout ceci sans qu’Adam Curtis n’y pose un constat définitif. Plutôt une invitation à toujours se remettre en question et espérer un monde meilleur, malgré tout. Ce grand puzzle pousse à ouvrir des dizaines d’onglets afin d’en savoir plus sur les différentes politiques menées au XXe siècle, il est un puits excitant de savoir et d’interrogation sur les systèmes qui nous gouvernent. La manière dont Curtis relie toutes ces histoires est ni plus ni moins que magistral, permettant une meilleure compréhension (appréhension?) du monde. Jusqu’à la prochaine révolution.
13/ SUMMER OF SOUL – QUESTLOVE
Synopsis: A l’été 1969, à la même période que les mythiques concerts de Woodstock qui se déroulaient à une centaine de kilomètres de là, le Harlem Cultural Festival de New York donnait lieu à une impressionnante série de représentations, et cela devant plus de 300 000 personnes. Largement tombée dans l’oubli, cette manifestation dont les images n’avaient jamais été diffusées revient aujourd’hui sur le devant de la scène grâce au travail accompli par le musicien, auteur-compositeur, DJ et journaliste Ahmir « Questlove » Thompson.
Documentaire exceptionnel. Summer of Soul (…Or, When the Revolution Could Not Be Televised) est un régal de chaque instant, communion musicale et politique d’un événement oublié dans l’Histoire. L’émotion est vive tant la vision de ces images donne une impression de découvrir un trésor immaculé. Questlove replace une pièce égarée dans le grand puzzle américain. L’occasion également de (re)découvrir des grands artistes.
14/ LE GENOU D’AHED – NADAV LAPID
Synopsis : Y., cinéaste israélien, arrive dans un village reculé au bout du désert pour la projection de l’un de ses films. Il y rencontre Yahalom, une fonctionnaire du ministère de la culture, et se jette désespérément dans deux combats perdus : l’un contre la mort de la liberté dans son pays, l’autre contre la mort de sa mère.
Passionnant. Un geste libre, radical et très intime d’un cinéaste enragé. Du cinéma vital pour un cri du cœur, une lumière sur l’épuisement d’un pays en faillite morale. Le cinéaste fait virevolter sa caméra au gré de la colère saine de son personnage. Récit d’un étouffement et d’une double crainte, celle de la censure et d’un deuil à venir. Ce que raconte Nadav Lapid n’est plus ni moins que son ressenti face à un gouvernement extrémiste et fasciste qui régit en Israël. Un Etat qui contrôle sa culture. La crainte de l’appauvrissement de son pays, de l’abêtissement de son peuple. Cette crainte, ce cri rappelle celui de Pasolini dans les années 70 envers l’Italie.
Le geste ici est plus moderne, cette caméra intérieure qui communique avec la psyché bousculée du personnage est étonnante. Elle déconcerte. La forme du film est même rebutante. La fureur peut submerger le spectateur, acculé par le doigt d’honneur de Lapid. Pour peu que l’on soit intéressé par ce qu’il se passe dans cette région du monde, cette œuvre paraît vite d’une grande importance. Compagnon du film de Radu Jude, dans la destruction méthodique de son pays.
15/ THE FRENCH DISPATCH – WES ANDERSON
Synopsis : THE FRENCH DISPATCH met en scène un recueil d’histoires tirées du dernier numéro d’un magazine américain publié dans une ville française fictive au 20e siècle.
A la fois l’un de ses plus flamboyants comme l’un de ses moins émouvants. The French Dispatch est inégal de fait par sa structure épisodique. Toutes les histoires ne se valent pas mais sa virtuosité et sa générosité sont telles qu’il reste un gros plaisir de cinéma. Wes Anderson en pur charmeur obsessif. Si son esthétisme est à son point culminant, on regrettera que sa part mélancolique soit plus diminuée pour ce nouvel opus. Mais la magie opère, notamment par une 3e partie exceptionnelle. Qu’un auteur atteigne un tel perfectionnisme et une telle maîtrise de son niveau est un cadeau pour le spectateur.
16/ UN HEROS – ASGHAR FARHADI
Synopsis : Rahim est en prison à cause d’une dette qu’il n’a pas pu rembourser. Lors d’une permission de deux jours, il tente de convaincre son créancier de retirer sa plainte contre le versement d’une partie de la somme. Mais les choses ne se passent pas comme prévu…
Mécanique implacable, écriture brillante et moderne sur la volatilité de la vérité, chaque point de vue corrompant et contaminant l’origine; sur le besoin constant de justification ou de mérite, qui incite à la mise-en-scène de soi pour réclamer. Asghar Farhadi semble avoir retrouvé la percussion et la force d’Une séparation, Ours d’Or inoubliable.
L’occasion pour le réalisateur de signer une nouvelle œuvre corrosive sur l’hypocrisie d’une société-image, d’une parole sainte érigée en vérité absolue, de la cruauté de toute tentative de rédemption, du cynisme du Bien dans un ordre en friche. Ce qui fascine dans cet héros, c’est que tout le monde a raison, tout le monde a tort. Ou plutôt chacun a ses raisons, chacun a ses torts. L’histoire va sans cesse faire des aller-retours entre ce que la société va valider ou accuser, les personnages passant d’héros à pariahs. Et à Farhadi de finir son film sur un magnifique dernier plan qui résume parfaitement le tout : Le beau geste est souvent invisible, n’a pas de besoin saint d’être reconnu pour faire de nous les êtres humains que nous sommes.
17/ NOMADLAND – CHLOE ZHAO
Lion d’Or au Festival de Venise 2021.
Synopsis: Après avoir tout perdu durant la crise économique mondiale de 2008, Fern, une sexagénaire, se lance dans un voyage à travers l’Ouest américain, vivant en tant que nomade des temps modernes dans une camionnette.
Errance bouleversante, Fern traverse les paysages américains en quête de réconfort. Histoire de fantômes obsédants, de deuil, d’une vie irrécupérable. Zhao filme les restes d’une crise économique terrible, qui en a laissé plus d’un sur le carreau. Déserts habités par ces néo-misfits, c’est la lumière posée sur ces visages marqués qui rend l’expérience, sensible. Pas de misérabilisme, il n’y a que la dignité qui dirige ce regard. Un des beaux moments d’émotions de 2021.
18/ LE DERNIER DUEL – RIDLEY SCOTT
Synopsis: Le film, qui s’ouvre sur le début du duel, est construit en trois flashbacks sur ce qui y a conduit : la vérité selon Jean de Carrouges, la vérité selon Jacques le Gris, la vérité selon Marguerite de Thibouville. En 1386, en Normandie, le chevalier Jean de Carrouges, de retour d’un voyage à Paris, retrouve son épouse, Marguerite de Thibouville. Celle-ci accuse l’écuyer Jacques le Gris, vieil ami du chevalier, de l’avoir violée. Le Gris se dit innocent.
Grand récit pour un grand Ridley Scott. The Last Duel est noir, violent et implacable sur le monde des hommes. Où la vérité n’a que peu de place dans la cour des bêtes, seuls la vanité et l’esbrouffe. Un film intelligent sur le regard et le point de vue, féministe sans être suffisant. Le cinéaste américain est très clair: Il y a eu viol et il n’y a pas de doute possible. La manière dont il met en scène les trois points de vue est brillant car le diable se cache dans les détails, et la vérité des hommes embaument, enjolivent la vérité. Ce qui est pris pour une invitation ou de la séduction est en réalité de la peur. Aucune complaisance chez Scott ou remise en question de la parole des femmes, il se place du côté de Marguerite. Et à la dernière séquence de rappeler que bien qu’il y ait une quelconque justice, It’s a Man’s Man’s Man’s World.
19/ MATRIX RESURRECTIONS – LANA WACHOWSKI
Synopsis: Thomas A. Anderson (alias Neo) ne se souvient plus de rien et mène une vie d’apparence normale à San Francisco. Il est le créateur d’une trilogie de jeux vidéo à succès… Matrix. Mais c’est un homme perturbé par d’étranges visions. Il se rend régulièrement chez un psychiatre à qui il raconte ses rêves étranges et qui lui prescrit des pilules bleues. Après la réapparition de visages familiers et en quête de réponses, Neo repart à la recherche du lapin blanc. Il rencontre un certain Morpheus, qui lui offre le choix entre rester dans la Matrice et prendre son envol.
Résurrections est l’œuvre de Lana Wachowski, en ça qu’elle est puissamment personnelle. Une vision sans concessions, passionnelle, drôlement méta et consciente de son impact, doigt d’honneur à tous ceux qui l’ont instrumentalisé et trituré, par idéologie puante, au fil des ans. Le film est en plus de ça un spectacle mesuré, humble. Il ne prétend être l’explosion et la démesure attendue. C’est un film romantique, sentimentale. Le pied n’en est que renforcé lorsque la cinéaste lâche les chevaux et s’adonne à de belles scènes d’actions.
De manière limpide, la réalisatrice se réapproprie son film, affiche clairement qu’il est le sien, son message est là, exposé au grand jour. L’amour toujours, l’ouverture, la fraternité, la bienveillance et allez vous faire foutre si ça ne vous va pas. Superbe tétralogie qui a toujours été l’une des sagas à la plus grande expérimentation visuelle. S’il est moins flamboyant que les précédents, l’image reste sujet à sa décomposition, son immatérialité et sa part factice. Lana Wachowski continue de nous proposer d’entrer dans un autre monde, son monde, et l’invitation y est de plus en plus séduisante.
20/ MADRES PARALELAS – PEDRO ALMODOVAR
Synopsis: Janis et Ana, deux femmes célibataires et enceintes par accident, sont sur le point d’accoucher. Elles se rencontrent dans leur chambre d’hôpital. Janis, photographe professionnelle, quarantenaire, n’a aucun regret. Ana, encore adolescente vivant chez sa mère actrice, est effrayée. Ces quelques jours à la maternité vont créer un lien étroit entre ces deux femmes.
Très émouvant par sa tendresse et son regard amoureux envers ses actrices, Almodovar rejoue sa note mélodramatique, parfois excessive mais toujours riche, en y ajoutant le trauma tabou de son pays: celui du franquisme. J’aurais préféré qu’il insiste sur cette partie tant elle est belle et puissante de catharsis.
21/ ONODA, 10 000 NUITS DANS LA JUNGLE – ARTHUR HARARI
Synopsis: Hirō Onoda ne veut pas mourir pour la patrie à l’inverse de nombre de ses jeunes compatriotes japonais. Ce trait de caractère lui vaut d’être repéré et sélectionné dans une section secrète de l’armée où il sera formé à la guérilla avant d’être envoyé dans les Philippines sur l’île de Lubang. Peu de temps après cette affectation, la guerre se finit. Pour le sous-lieutenant Onoda, replié dans le centre de l’île avec une poignée d’hommes, tous les signes de la défaite ne sont que des ruses des Américains. Il vivra près de trente ans dans la jungle avant de rendre les armes.
Très beau Onoda, Arthur Harari composant avec grand talent le cadre que s’est fixé ce soldat. Une guerre qui ne finit pas, une foi tenace, un temps trouble qui se perd au fil des pluies torrentielles et surtout une histoire d’amitié. Un film qui possède la grâce de l’Âge d’or et qui risque de s’imposer avec le temps, comme un classique.
22/ SPENCER – PABLO LARRAIN
Synopsis: En 1991, pendant ses vacances de Noël avec la famille royale à Sandringham House, dans le comté de Norfolk en Angleterre, Diana Spencer décide de mettre un terme à son mariage avec le prince Charles.
Pablo Larraín poursuit sa série de magnifiques biopics, ne cédant jamais aux sirènes de l’académisme. Spencer est un nouveau portrait sensoriel d’une femme piégée, étouffée, déjà condamnée. Et le film trouve grâce dans les micro-résistances d’une sublime Kristen Stewart.
Disponible le 17 janvier 2022 sur Amazon Prime Video.
23/ JULIE EN 12 CHAPITRES – JOACHIM TRIER
Synopsis: Le film narre les tribulations professionnelles mais surtout sentimentales de Julie, jeune trentenaire norvégienne, assaillie de questions et de doutes. Découpé en un prologue, 12 chapitres et un épilogue, le film montre la progression de l’héroïne à travers quelques événements, situations, conversations et faits marquants.
Comédie moderne, pétillante, fraîche, douce-amère. Julie En 12 Chapitres a une tristesse sourde en elle, le spleen d’une génération, la fougue du désir, le doute de l’avenir.
24/ THE VELVET UNDERGROUND – TODD HAYNES
Synopsis: Le groupe The Velvet Underground a créé un nouveau son qui a révolutionné le monde de la musique, devenant ainsi un des groupes de rock les plus vénérés au monde. Réalisé par l’éminent cinéaste Todd Haynes, « The Velvet Underground » montre comment le groupe du même nom est devenu une référence culturelle symbolisant un ensemble de contradictions : une musique à la fois intemporelle et représentative de son époque, à la fois littéraire et réaliste, et enracinée dans le grand art et la culture de la rue.
Todd Haynes a un talent fou. Son documentaire offre un kaléidoscope d’images et de sons, hommage à la profusion artistique d’un groupe en avance sur son temps. Au lieu d’une simple hagiographie, crainte de ces projets, le film est une autre expérimentation. Ainsi, le cinéaste met en scène la bulle artistique qui a réuni ces génies jusqu’à l’éclatement. Le montage d’Haynes est une ébullition, touché par les infinies possibilités qu’offraient leurs visions.
25/ SERRE MOI FORT – MATHIEU AMALRIC
Synopsis: Ça semble être l’histoire d’une femme qui s’en va.
Amalric imagine la vie des morts dans un dialogue endeuillé assez bouleversant. Serre Moi Fort est une réussite qui doit son souffle à son montage lyrique et sensoriel.
26/ OLD – M. NIGHT SHYAMALAN
Synopsis: Une famille en vacances découvre que la plage isolée où ils se trouvent les force mystérieusement à vieillir très rapidement, réduisant leur vie entière à une seule journée.
Shyamalan propose sa vision du temps qui passe à travers un thriller tenu, efficace et captivant. Old n’est certainement pas son meilleur film, mais un Shy mineur mange les autres avec appétit, tant il creuse jusqu’à l’os son sujet et n’hésite jamais à dérouler le fil de son imagination. Il y a au moins 2-3 grandes scènes d’effroi. Et une scène d’émotion particulièrement réussie qui remet à plat l’essentiel d’une vie. C’est dans ces moments que le cinéaste romantique fleurit.
27/ PIG – MICHAEL SARNOSKI
Synopsis: Ancien chef à Portland, Robin “Rob” Feld vit aujourd’hui seul en ermite dans une forêt de l’Oregon. Il y exerce le métier de chasseur de truffes. Lorsque son cochon truffier est enlevé, il doit retourner à Portland. Il devra alors se confronter à son passé.
Très émouvant, PIG rappelle à quel point Nicolas Cage est un bel acteur, unique dans le monde du cinéma. Un film étrange qui emprunte les codes du film noir dans un univers (culinaire) qui ne s’y prête pas. Recette toutefois réussie, où le deuil infuse chaque plan.
28/ COME TRUE – ANTHONY SCOTT BURNS
Synopsis: Les nuits de Sarah, une adolescente fugueuse, sont peuplées de cauchemars récurrents. À la suite d’une petite annonce, elle accepte de participer à une étude rémunérée sur le sommeil, mais s’aperçoit que les médecins y pratiquent de bien dangereuses expériences…
Une ambiance assez effrayante pour faire de ce Come True l’un des films d’horreur les plus intéressants de ces dernières années. Insomnies, paralysie du sommeil, ombres menaçantes, tests cliniques ; une peur universelle. Un cauchemar somnambule original et assez beau, porté par une belle soundtrack hypnotique.
29/ CRY MACHO – CLINT EASTWOOD
Synopsis: Mike Milo est une ancienne star de rodéo, devenu éleveur de chevaux au Texas après une grave blessure. En 1980, il est recontacté par un ancien patron, Howard Polk. Ce dernier lui demande de se rendre au Mexique pour ramener son jeune fils Rafael qui vit là-bas avec sa mère alcoolique. Un long voyage l’attend.
Cry Macho ne se regarde pas pour son histoire, fine et anecdotique, mais bien pour la persona d’Eastwood, apaisée, tranquille, marchant vers son crépuscule. L’acteur se couche, n’use plus de contreplongée, regarde l’horizon. Mineur certes, remplit de beautés c’est certain.
30/ THE NIGHT HOUSE – DAVID BRUCKNER
Synopsis: Beth vient récemment de perdre son mari. Elle vit désormais dans la maison qu’il avait construite pour eux, tout près d’un lac. Beth commence à avoir des visions d’une étrange présence. Elle va alors découvrir les secrets de son défunt époux.
David Bruckner retourne au poids du deuil (après Le Rituel, disponible sur Netflix) dans l’élégant et terrifiant The Night House. La mise en scène est intelligente et pleine d’idées, notamment dans la réalisation du vide dans un système architectural malin, le Mal se nichant dans les interstices et coins de cette construction. L’un des points forts d’un film d’horreur est de nous balader tout le long, gardant précieusement son mystère jusqu’au bout, c’est le cas ici. Et une des belles idées du film, l’imagerie du Styx, entre une maison rêvée et une autre condamnée.
Mentions honorables: Dune, Tromperie, Bergman Island, Les Olympiades, Gagarine, Petite Maman, Saint Maud, Malignant, Zeros & Ones, France, Zola, Shiva Baby…