Après avoir délivré deux EP, Fuseau Horaire et Vestiges respectivement en 2017 et 2018, Affroh revient en 2020 avec Gratte-Ciel, son nouvel album qui sortira à la fin du mois de mars. Depuis 3 ans le rappeur développe un univers musical travaillé et étoffé, superposant les pierres d’un édifice qu’il construit patiemment. Avec une proposition artistique authentique et originale il nous tardait de le rencontrer. On est donc allé discuter avec lui pour à la fois revenir sur ses débuts, mais aussi tenter de comprendre comment il a pensé et réalisé Gratte-Ciel.
Il y a un âge charnière. Ce moment révélateur où tu découvres la musique et que tu prends la décision d’en faire. C’était quand pour toi?
J’ai commencé à écouter du rap à ma période collège jusqu’au moment où j’ai vraiment aimer ça à tel point que j’ai commencé à écrire. Quand j’étais petit mes parents avaient des disques de I Am et NTM et puis avec la télé je commence à tomber sur les clips d’Eminem, 50 cent, Jay-Z, ça c’était vraiment le début. Ensuite aux alentours de 14 ans je commence vraiment à creuser en écoutant Booba, l’Entourage, mais aussi pas mal de rap ri-cain comme A$AP Rocky, Kendrick Lamar ou encore Lil Wayne. Donc à force d’écouter tout ça, je commence à gratter, au début c’était pas fameux tu t’en doutes bien. En allant vers cet exercice j’ai commencé à vraiment kiffer l’écriture, essayer de faire des phrases un peu construites, parfois un peu compliqué à capter, j’racontais ma vie, mes histoires de gosse de 14/15 ans.
Comment as tu commencé à te connecter, à te procurer des instrus et rencontrer d’autres rappeurs?
Ça a été très très vite les types beats, j’ai rodé ça hyper tôt. J’ai commencé à me faire mes petites playlist, puis après j’ai rencontré des beatmakers par le biais d’autres potos, de là j’ai aussi rencontrer mes potes avec qui je rappe aujourd’hui. Au début je m’appelais Yung BRD, mais j’ai tej’ ça très rapidement pour prendre Affroh, un mélange entre mes noms de famille et mon deuxième prénom.
On arrive à l’âge de 16 ans, c’est finalement là que tu commences plus sérieusement à envisager la musique?
C’est ça, j’ai eu assez rapidement du matos pour m’enregistrer et de là, à force de t’exercer tu commences à travailler vraiment ta voix. Jusqu’ici je freestylais, je rappais, mais là t’apprends réellement à connaître ta voix et c’est ce qui m’a amené à enregistrer mon tout premier projet en 2017, Fuseau Horaire.
C’est quoi la genèse de ce projet? Comment l’as-tu abordé?
Pour le coup ça s’est fait hyper naturellement. Je l’ai conçu un peu comme une mixtape, j’enchaînais les sons, parfois sur des types beats, parfois sur des prods de potes à moi. C’est aussi là que je commence à toucher à la compo. Au final j’ai rassemblé tout ça, j’ai utilisé une photo que j’avais prise au bled, je l’ai passé sur photoshop et j’ai balancé ça sur Haute Culture.
Tu as réussi à construire un univers musical sans vraiment de limites, très polyvalent mais aussi très visuel, comment le définirais-tu et comment l’as-tu travaillé?
Déjà mon univers musical pour le définir un peu, je l’envisage comme très large par ce que j’ai plein d’influences musicales. Je le vois aussi comme pas totalement figé au sens où je kiffe tout le temps le remettre en question, chercher de nouvelles choses. Quand je fais du son je visualise des couleurs. De base avant même de commencer à rapper je faisais du chant, j’ai aussi fais un peu de guitare et de piano ce qui je pense m’a permis d’enrichir ma musique. Quand j’ai commencé à faire du rap j’étais vraiment dans l’idée de kicker, et assez rapidement j’ai essayé de faire des mélodies et je me suis dis autant essayer de pousser dans ce délire. J’aime pas forcément tourner en rond, l’idée c’est d’essayer de toujours tester de nouvelles choses. Mais tu vois le chant c’est pas une fin en soi, sur le projet qu’arrive en mars il va y avoir un juste milieu entre le fait de rapper et le fait d’avoir des mélos.
En 2018 tu sors ton deuxième projet, Vestiges, comment l’as-tu envisagé vis à vis du premier? Avec qui as-tu travaillé et par quoi/qui as-tu pu être inspiré?
Je voulais une couleur musicale très précise là où Fuseau Horaire était bien plus une carte de visite. Y’avait pas mal de thèmes prédominants. Ensuite je l’ai fait quasiment en duo avec Akazera, un très bon pote à moi qu’est beatmaker et avec lequel je voulais travailler depuis longtemps. Honnêtement il sait tout faire, à un point hallucinant. Il peut s’adapter à énormément de vibes. Il est hyper méthodique dans ce qu’il fait et archi talentueux, que ça soit à Nantes où ailleurs je connais pas d’autres mecs qui sont capables de faire ce qu’il fait. Après au niveau de la démarche j’ai voulu amener quelque chose de bien plus carré et abouti. Quand j’ai bossé sur cet album j’écoutais pas mal ce qui se passait à Toronto, genre PARTYNEXTDOOR, The Weekend, Torry Lanez, j’étais vraiment dans une période où ça me touchait, ce qui est le moins le cas aujourd’hui.
« Les grattes-ciel représentent pour moi le futur d’une manière générale. Deuxièmement j’y vois toute la connotation matérielle, c’est à dire l’argent, le paraître, toutes les choses matérielles auxquelles on s’accroche et dans lesquelles on espère trouver une forme de bonheur. Enfin je vois le gratte-ciel comme un aboutissement, le terme ciel au sens spirituel »
En mars tu vas sortir Gratte-Ciel, ton troisième projet. Qu’est ce que tu peux nous en dire? Comment l’as-tu construit, avec qui l’a-tu travaillé, où l’as-tu enregistré? Comment vas-tu le promouvoir?
C’est une idée que j’ai déjà depuis longtemps. Je voulais amener des nouveaux points de vue, des nouvelles interprétations, des nouvelles couleurs. Gratte-Ciel va être très différent de Vestige. J’en suis vraiment fier car ça m’a pris énormément de temps, un travail d’un an et demi, avec beaucoup de réflexions et de doutes, mais j’ai réussi à aller exactement là où je voulais. Ça va être un album assez sombre. Sombre au sens où les thèmes que je vais aborder le seront. La logique de ce projet c’est d’essayer d’amener une couleur qui soit assez inédite, pour moi y’a de ça dans le titre au sens où les grattes-ciel représentent pour moi le futur d’une manière générale. Deuxièmement j’y vois toute la connotation matérielle, c’est à dire l’argent, le paraître, toutes les choses matérielles auxquelles on s’accroche et dans lesquelles on espère trouver une forme de bonheur. Enfin je vois le gratte-ciel comme un aboutissement, le terme ciel au sens spirituel, et donc essayer d’attraper cette chose qui nous dépasse. Le mélange de ces idées là font mon projet. Je parle de ma ville, du regard des gens, des relations qui parfois partent en couilles, plein de choses mais tout en les abordant avec subtilité. Je vois vraiment ça comme une ascension inconnue, tu ne sais pas vers quoi tu te diriges, y’a peut être l’ambition d’y trouver un équilibre de vie. Mais au fil du projet tu captes que c’est tout sauf ça. En 9 titres t’as finalement une sorte de dé-construction de l’ascension, j’irais pas jusqu’à parler de storytelling mais les morceaux suivent une logique. Sur la question avec qui j’ai travaillé, y’a deux feats, un avec B-Yoh du Arkham City Gang et l’autre avec Maltes et 24Kara eux aussi du Arkham City Gang. Côté compo y’a une prod d’un gars qui s’appelle Phasekid1999 et une deuxième en co-prod, mais aussi une prod d’un un gars qui s’appelle Güms, une d’Akazera et enfin une de Nonack. Toutes les autres prods c’est moi. C’était pas inscrit dès le début que j’allais vraiment tout faire tout seul, ça s’est fait assez naturellement au final mais j’en suis fier. Je l’ai essentiellement enregistré chez moi, dans ma chambre. Vis à vis de la promotion de l’album, il sera disponible sur toutes les plates-formes de streaming. Y’aura aussi des clips et l’album en lui même sort si tout se passe bien fin mars.
Ce thème, que tu présentes comme récurrent dans Gratte-Ciel, cette notion de l’apparence et surtout celle de paraître, comment tu te positionnes vis à vis de ça?
C’est à la fois un truc que je néglige mais aussi auquel je participe, avec lequel je suis obligé de jouer. Je pense que c’est le cas de tout le monde. Faut juste savoir prendre du recul, de mettre de la distance sur ce que tu montres. Ça me gave mais faut savoir vire avec. La manière dont je l’aborde dans le projet c’est à la fois à la première personne mais aussi en tant que spectateur. Il faut savoir ce que tu montres de toi aux gens, c’est important. Je pose mon regard mais honnêtement je suis pas dans le truc de faire la leçon aux gens. C’est le point de vue de quelqu’un, qui vit dans une ville et qui est confronté à certains trucs. J’essaye quand même de mettre de la distance avec ce que j’écris, non pas ce que je dis n’est pas vrai, au contraire, mais j’aime jouer sur les interprétations. Tu peux vivre un truc mais l’interpréter d’un milliard de manières. D’un morceau à un autre je peux parler de la même chose mais l’exprimer complètement différemment.
C’est pour ça que t’es très discret sur les réseaux sociaux?
Exactement. C’est pas mon délire d’être tout le temps avec mon bigo et cetera, Après bien évidement que c’est kiffant quand t’es avec tes potos de prendre ta petite vidéo et la poster, mais en vrai de vrai je préfère montrer 1/10 de ma vie sur les réseaux. En plus de ça je traîne avec des gars qu’ont le même mental que moi donc ça joue aussi je pense.
On arrive à la fin de notre entrevue, tu voudrais rajouter quelque chose?
Le projet Gratte-Ciel arrive fin mars, allez écouter ça fort, enjaillez vous dessus et kiffez bien. Merci i-t-w, c’était fort.