Un virus couronné commençait à faire ses rondes en début d’année 2020 et, sur son chemin, paralysa entre autres à peu près tout le monde de la culture pendant le printemps passé. L’ouverture du festival de la jeune photographie européenne CIRCULATION(S) a donc été reportée de mars en juin. En plus d’être entièrement accessible en ligne, l’exposition est désormais ouverte « pour de vrai » aux visiteurs, dans le Centquatre – établissement artistique et culturel du 19ème arrondissement à Paris.
À l’occasion du dixième anniversaire du festival, y sont exposés 39 projets, réalisés par 45 artistes, qui représentent 16 nationalités différentes. Cette dimension internationale se manifeste notamment dans les œuvres elles-mêmes, qui emmènent le visiteur du Tadjikistan au Vietnam, en passant par la Biélorussie et la Laponie espagnole. La communication et la réflexion sur des problèmes et enjeux sociaux – caractéristiques de la photographie sociale – constituent des fils conducteurs pendant ce voyage, qui cependant offre aussi par moments une perspective contemplative face à des paysages et milieux improbables.
L’exposition est organisée en différents espaces consacrés à des thématiques particulières – « Ceux que l’on ne voit pas », « L’image à l’excès » ou encore « Le monde de demain ». Dans les différents « ateliers » du Centquatre sont alors explorés ces enjeux, en reflétant les origines et perspectives particulières des jeunes artistes, qui en large majorité sont nés après 1980.
Avant même de rejoindre un des ateliers, le visiteur se retrouve face à face avec des Boda Boda – chauffeurs de taxis-motos – qui posent devant les paysages de Nairobi. Les photographies de la série « Boda Boda Madness » sont le fruit d’une collaboration entre le photographe hollandais Jan Hoek et le créateur de mode ougando-kényan Bobbin Case, qui partagent une fascination pour les taxis-motos qui parcourent les rues de Nairobi. Interpelés par le contraste entre les motos customisées et les uniformes plutôt sobres des chauffeurs, ils sélectionnent alors sept chauffeurs afin de leur permettre de finaliser leurs personnages.
Le premier atelier est consacré à la question de l’invisibilité (« Ceux que l’on ne voit pas »), qui y est abordée par bien des spectres différents. Un de ces spectres est la série « Common people », qui explore l’anonymat où peuvent se voir relégués les homosexuels en Ukraine – pays d’origine du photographe Anton Shebetko.
Une série de portraits anonymes, disposés sur un mur entier – entassés, déchirés – aborde alors le refoulement d’identité que peut induire l’orientation sexuelle d’une personne, la condamnant ainsi à un anonymat qui résonne notamment dans le caractère éphémère des portraits sur le mur. En vue d’une hausse de 26% des témoignages d’agressions de personnes LGBTQ+ recueillis par l’association SOShomophobie entre 2018 et 2020, l’enjeu de marginalisation et de violence au sein de cette communauté semble être bien plus d’actualité en France aujourd’hui que pourrait le laisser entendre la distance géographique qui la sépare de l’Ukraine ou bien des « LGBT free zones » en Pologne.
Le dernier atelier est voué au topos de « L’image à l’excès », qui paraît particulièrement actuel à l’ère des réseaux sociaux, qui semblent participer parallèlement d’une véritable submersion de photos ainsi que d’un culte de l’image et rendent ainsi la question de notre rapport à celle- ci d’autant plus pertinente. Dans l’installation « The Afterimage », la réalisatrice italienne Chiara Caterina joue avec deux types d’archives : d’une part, des milliers de diapositives personnelles récupérées et accumulées par l’artiste et de l’autre, une masse d’informations graphiques, sonores et textuelles issues d’Internet. Le dialogue qu’elle se propose de mettre en scène entre ces deux archives pose alors des questions touchant à la place et la signification même – aujourd’hui – de la photographie et d’images personnelles.
Pourquoi et comment prenons-nous des photos ? Où les conservons nous et sous quelle forme ? Et comment notre rapport à la photographie et l’image elle-même en est affecté ? En parlant de ses polaroids, le réalisateur et photographe allemand Wim Wenders (Les ailes du désir, Paris, Texas) disait en 2017 que « ce n’est pas que la signification de l’image qui achangée – l’acte même de regarder n’a plus la même signification. Aujourd’hui, l’enjeu est de montrer, d’envoyer, et peut-être de se souvenir. L’image n’est plus l’enjeu essentiel. Pour moi, l’image étais toujours associée à l’idée d’unicité, à un cadre, une composition. En tant que telle elle avait quelque chose de sacré. Tout cette notion a disparue. » La photographie est morte, vive la photographie pourrait-on proclamer.
CIRCULATION(S). Festival de la jeune photographie européenne. Jusqu’au 9 août au Centquatre (5 rue Curial, 19ème).