BlacKkKlansman : biopic à l’esthétique seventies et contribution politique puissante

L’étouffement de George Floyd – une des plus récentes victimes de violences policières mortelles au sein de la communauté afro-américaine aux États-Unis – a déclenché à partir du mois de mai passé un embrasement dans le pays comme dans nombreuses autres sociétés occidentales, dont notamment la France. Depuis, aux États-Unis, les tensions entre partisans et militants pour la justice raciale d’un côté et forces de l’ordre ainsi que défenseurs auto-proclamés du « Law and Order » de l’autre, ne semblent que s’exacerber. Les affrontements quasi-continus entre ces deux camps sont attisés par un président qui semble fonder sa campagne électorale sur sa capacité de rétablir l’ordre et donc de réprimer violemment l’embrasement social qui traverse le pays – en refusant toute légitimité à la colère portée dans la rue ces derniers mois. 

Image des affrontements entre police et manifestants suite à l’hospitalisation de Jacob Blake, touché par quatre balles lors de son arrestation dans la ville de Kenosha, Wisconsin

À l’aune de ce contexte politique, le biopic de 2018 du réalisateur afro-américain Spike Lee (BlackKklansman : J’ai infiltré le Ku Klux Klan en français) – décoré du Grand Prix du Festival de Cannes de 2018 – paraît autant d’actualité aujourd’hui que lors de sa sortie il y a deux ans. Le réalisateur de Do the Right Thing (1986) et Malcolm X (1992) se focalise souvent dans ses œuvres sur la communauté afro-américaine et des questions sociales et identitaires que soulèvent son histoire ainsi que sa condition dans les États-Unis contemporains.

Le réalisateur Spike Lee au festival de Cannes de 2020 

À partir d’une vraie histoire, le président du jury du 73e festival de Cannes réussit à nouer dans BlacKkKlansman des éléments de comédie policière et de thriller haletant avec une contribution politique de grande actualité – le tout dans une esthétique fidèle à la fin des années 70 et notamment au mouvement de libération afro-américaine des Black Panthers (documenté par Agnès Varda dans le court métrage fascinant du même nom, disponible gratuitement sur Vimeo) et sur fond sonore réunissant James Brown, Bill Withers, Al Green ou encore Marvin Gaye. 

Dans BlacKkKlansman, un des leaders du Black Panther Party – Kwame Ture – est invité à une conférence organisée par l’union des étudiants afro-américains de la ville de Colorado Springs – au centre géographique des États-Unis. Lors de cette même conférence, débute la carrière de Ron Stallworth (joué par John David Washington) – premier policier afro-américain dans la police locale de Colorado Springs – qui se retrouve chargé d’infiltrer le meeting révolutionnaire. Aussitôt commence son tiraillement entre sa fonction en tant qu’agent des forces de l’ordre et son identité d’homme afro-américain et alors qu’il commence à scander « Black Power », entouré de bérets noirs (élément essentiel de la tenue des Panthers), le spectateur a du mal à distinguer le policier de l’individu Ron Stallworth. 

Ron au sein des membres de l’union des étudiants afro-américain de Colorado Springs

Ron parvient par la suite à surmonter en grande partie ce conflit en dédiant son rôle de policier à l’infiltration du Ku Klux Klan, qui comme il s’avère planifie un attentat sur la présidente de l’union des étudiants afro-américains, Patrice Dumas (Laura Harrier), que Ron Stallworth fréquente suite à leur rencontre à la conférence. Pour des raisons plus ou moins évidentes, Stallworth aura besoin de l’aide de son collègue blanc (et juif) Flip Zimmerman (Adam Driver) au cours de cette opération d’infiltration non sans risque pour les deux policiers, appartenant tous deux à des minorités ethnico-religieuses. 

Avec l’aide de son collègue Flip, Ron tente d’infiltrer le Ku Klux Klan 

Le conflit entre rôle de policier et identité afro-américaine, ne se laisse cependant pas entièrement résoudre, comme le révèle la réaction de Patrice lorsque Ron se voit contraint de lui confier son métier et par conséquent la raison de sa présence au meeting de l’union. C’est à ce moment que se cristallisent les tensions entre différentes conceptions de la lutte pour la libération, s’imprégnant à différents degrés dans les identités individuelles – « On peut parler d’autre chose que de politique ? » demande Ron, à quoi Patrice rétorque « Qu’est-ce qu’il y a de plus important ? […] C’est un travail à temps plein ».

Les conceptions de la lutte émancipatrice de Ron et Patrice se révèlent difficilement réconciliables

Enfin, c’est l’image créée du Ku Klux Klan qui révèle la finesse de Spike Lee à toucher des thèmes politiques sensibles tout en maintenant un ton ironique, qui se manifeste notamment dans la mise en scène tragi-comique d’une cérémonie des « chevaliers du Klan » ou encore une scène dans le lit conjugal d’un membre fanatique de l’organisation. 

Malgré de telles prises de distances comiques par rapport à une réalité sociale morne et contrariante, Lee ne semble à aucun point oublier le sérieux de la situation, dans un pays dans lequel des droites extrêmes composées entre autres de néonazis et de membres du Ku Klux Klan manifestaient ouvertement à Charlottesville en 2017, suite à quoi un participant conduit dans une foule de contre-manifestants, en grande partie afro-américains. La réaction du président Trump mettant à plan égal les deux groupes opposés lors de ces épisodes se révèle aussi choquante qu’inquiétante. 

C’est alors en une transition puissante que Lee noue l’intrigue du film avec l’actualité politique aux États-Unis, passant d’une scène de défilé de membres du Klan à des images de la manifestation à Charlottesville. Ainsi, il signe son excellent biopic avec un appel politique qui résonne tout aussi fortement aujourd’hui à l’aune des violences racistes toujours présentes et de la question de la lutte antiraciste tout aussi d’actualité – à (re)voir.