Synopsis : Samuel part s’isoler dans son chalet au cœur des Alpes italiennes. Une nuit, une jeune femme se réfugie chez lui, piégée par la neige. Elle est afghane et veut traverser la montagne pour rejoindre la France. Samuel ne veut pas d’ennuis mais, devant sa détresse, décide de l’aider.
Il est alors loin de se douter qu’au-delà de l’hostilité de la nature, c’est celle des hommes qu’ils devront affronter…
Film de genre à la française
Disons-le dès à présent, ce premier film réalisé par Guillaume Renusson est une réussite. Et ceci en premier lieu car il assume et défend un véritable film de genre. À savoir un film de traque aux accents western. Le cow-boy c’est Samuel (superbement interprété par Denis Ménochet), au bord de l’anéantissement, errant dans les massifs enneigés des Alpes. Ce père acculé dans l’impasse du deuil fait la rencontre de Chehreh (interprété par Zar Amir Ebrahimi, auréolée du prix d’interprétation pour Les Nuits de Mashhad), une exilée afghane. Celle-ci est en errance également, en exode plutôt, dont le deuil du pays natal fait écho à celui de Samuel. Ainsi entre ces deux protagonistes va s’instaurer une dynamique de salut par le fait même de cette rencontre, de cet écho. En effet, Samuel ne va pas sauver héroïquement une demoiselle en détresse mais bien plutôt être sauvé par cette relation d’entre-aide et par cette femme qui peu à peu prend pour lui les traits de l’être qu’il a perdu ; et ceci jusqu’à une fameuse scène où cette identification dépassera le stade symbolique – mais pas de la façon dont vous le pensez. Par qui sont-ils traqués ? Non par la police des frontières mais par des locaux. Improbable écho à As Bestas pourtant tourné après Les Survivants. Ce sont de jeunes gens traduisant leur ressentiment en haine. Lambdas. Aux visages passe-partout. Guillaume Renusson a clairement défendu en conférence de presse presse que c’était une intention de réalisation que de montrer ces traqueurs comme étant des gens normaux et pas comme des néo-nazis au crâne rasé (quand bien même ceux-ci existent bel et bien). De fait, il est plus « glaçant », pour usiter ses mots, de voir des êtres humains banals sombrer dans la violence plutôt qu’une caricature parfois facile et clairement identifiable (et donc rassurante).
Les atours du western se retrouvent de surcroît dans la tension lancinante qu’entretiennent certains dialogues, ou encore dans ces vastes espaces vides montagneux. Paysages par ailleurs très bien mis en valeur par le réalisateur français. De jour comme de nuit. La montagne devenant quasiment un personnage à part entière du long-métrage, imposant sa dureté atmosphérique aux autres protagonistes. Apogée du film western dans une des dernières séquences du film – qui en est son point culminant de violence – où l’action se déroule dans une petite station de ski totalement désertée. Station prise d’assaut par les traqueurs. Cette séquence est l’apothéose brutale d’un dialogue impossible entre les traqueurs et les traqués.
« Je voulais partir d’une expérience concrète »
Le second élément permettant la réussite de cette œuvre alpine est comme l’a dit Guillaume Renusson lui-même, le fait qu’il soit parti d’« une expérience concrète ». En effet, la tare que l’on peut parfois reprocher au ” cinéma social ” français est bien entendu son côté moralisateur, thétique, qui confine ainsi avec un idéalisme hors-sol – paradoxe terminal d’un réalisme naïf. Il y a quelques années, le jeune réalisateur français a commencé à filmer en réalisant des courts-métrages avec des exilés afin qu’ils puissent ainsi se raconter. Il a dès lors été frappé par le deuil, par l’arrachement au pays natal inhérent à ces récits mais également par la dimension de traque, voire de chasse à l’homme subit par ceux-ci. Il s’est également rendu dans les Alpes et a pu constater la situation extrêmement tendue ; entre friction et entraide parmi les locaux mais surtout, ces massifs montagneux où errent des fantômes en exil, glaciers sublimes devenus des cimetières. Images profondément marquantes, que Les Survivants réussit à mettre en lumière. Ainsi Guillaume Renusson part bel et bien d’une expérience concrète du monde (l’exil, la traque) au sein d’un espace concret (les Alpes). Mais cette expérience sera traitée depuis le genre. Qu’est-ce que permet ce lieu objectif qu’est la frontière franco-italienne ? Un film de survie, un film sur l’hostilité et la traque. Ainsi l’on voit bien cette continuité entre l’expérience concrète existentielle (mais aussi politique) et le genre cinématographique ; nous le signalons car trop souvent perdure des cloisonnement superflus, des frontières abstraites entre genre/fiction et réalisme/documentaire etc… Ainsi le réalisateur français se montre efficace, sobre et son film, passionnant.
Pour finir, un petit mot peut-être pour les acteurs et actrices. Denis Ménochet, superbe comme souvent. À la limite de l’abîme et lâche d’abord, puis lumineux et violent ensuite ; toujours ambivalent. Extrêmement touchant et sensible. Sa carrure massive et son souffle lourd et ostensible lui donnent une humanité tangible. Zar Amir Ebrahimi, superbe également, sauveuse et traquée à la fois. Toujours active et forte, jamais simple victime atone. Toujours aux aguets, comme il sied à quelqu’un ayant l’habitude d’être chassé, trompé. Mais c’est avant tout dans leur duo, dans le reflet réciproque de leur regards que ces acteurs se subliment. Un jeu et une relation épurée, sans emphase ; tout comme le long-métrage de Renusson.
Foncez le voir ! Il sort le 4 janvier.
Post-scriptum : Encore une superbe année pour le cinéma de genre français. Et oui ! contrairement à ce que certains semblent pérorer, il est en réalité très riche. Rattrapez votre retard si cela n’est pas déjà fait avec – dans des registres différents certes – Les Cinq Diables de Léa Mysius ou encore Falcon Lake de Charlotte Le Bon.