Absolem – LES YEUX GRANDS FERMÉS : croire en sa vision.

Les yeux grands fermés : le nouveau projet d’Absolem, intégralement produit par DeeEye, est sorti le 29 mars dernier. Actif depuis 2018, l’artiste liégeois libère ici son cinquième opus, un disque sincère et authentique, qui s’aventure avec de nouvelles ambitions musicales, sur le chemin emprunté par son EP Leur Dire en 2022.

Digne représentant de l’école belge, Absolem avait su convaincre, dès ses premières sorties, par des qualités techniques incontestables. Chez Dype en 2020, son EP Toxcity résonne déjà en playlist, et nous échouons de peu à rencontrer l’artiste pour des contraintes d’agenda. Si je suis pour ma part à l’époque, séduit par la forme, sa musique échoue à me toucher complètement, avec un habillage et une écriture que je trouve parfois trop impersonnels. Mais en 2022, il délivre un EP de 5 titres sobrement intitulé Leur dire. Sans rien céder à la qualité de ses rimes, Absolem s’y montre plus sincère, ouvrant la porte à ses errances personnelles et à des formes de vulnérabilités. Les productions épurées de DeeEye se révèlent en être le parfait écrin.

Porté par des retours positifs, le binôme revient en 2023 avec Balle d’argent, une mixtape de 14 titres, prolongée à 20 par une réédition. On y retrouve un rappeur qui semble avoir fait la synthèse de ses forces, entre exercices de style et récits intimistes, accompagné par près de 10 invités pour un tracklisting particulièrement varié. Il aura fallu quelques mois seulement au duo belge pour nous proposer de le suivre à nouveau sur ce projet de 10 titres au parfum de spontanéité.

Lorsque se présente ainsi, à l’aube de cette sortie, l’opportunité de rencontrer Absolem, Dype la saisit et accepte “Les yeux grands fermés”. Nous nous donnons alors rendez-vous dans un café parisien. Le jour venu, j’ai la surprise de trouver DeeEye en sa compagnie. Je me réjouis déjà de pouvoir discuter avec celui qui compose la musique d’Absolem. Il est 14h et le rappeur, fidèle à sa Belgique natale, commande un demi d’IPA. L’entretien peut ainsi commencer.

shoot by @_velage

Xavier : Après 4 EP au total depuis 2018, tu as sorti Balle d’argent début 2023, puis la réédition à l’automne 2023, et entre ces deux dernières sorties, tu as connu une apparition sur High & Fines Herbes La Mixtape – Volume 2 – Saison 4, et de gros concerts comme aux Ardentes ou à L’Ancienne Belgique. Est-ce que toutes ces choses ont marqué un tournant pour toi ?

Absolem : Ouais clairement, en fait déjà avec le projet qui précédait Balle d’argent, donc Leur dire, j’ai remarqué qu’il y avait une meilleure connexion avec le public et quand je suis arrivé avec un projet 14 titres, dont 7 featurings et certain un peu plus connus que d’autres, j’ai remarqué un avant / après. Ça a clairement mis de la lumière sur moi, et beaucoup de gens surtout en France, ont vu le nom d’Absolem passer et m’ont découvert via le projet Balle d’argent. Et en termes de concerts on a dû attendre un an, j’ai pas vu les retombées de Balle d’argent directement après. Certes on avait déjà des interviews à Paris et des trucs un peu plus cools qui se passaient en amont, mais on va dire que c’est à partir de la réédition que j’ai vraiment vu les retombées du projet, et les dates de concert qui arrivaient. Je pense que les gens du milieu se sont pris Balle d’argent, et quand ils ont vu la réédition et qu’un autre projet arrivaient, ils se sont dit, il est dans une bonne forme, il est en train d’envoyer, donc peut être que ça les a rassuré. Du coup j’ai commencé à avoir pas mal de propositions de concerts, de featurings, des trucs comme ça, donc clairement Balle d’argent c’est le tournant.

Xavier: Tu reviens avec un projet très spontané, sur lequel tu sembles plus libéré. À quels niveaux s’exprime cette liberté ?

Absolem : Bah moi je l’ai ressenti surtout pendant la création, c’est-à-dire que, vu que j’avais fini la réédition de Balle d’argent pendant l’été, j’avais deux mois avant que la réédition sorte, et donc là, on s’est mis à faire de la musique avec Dee Eye, avec un peu en esprit en mode “bon bah là on sait pas vers où on va, mais on a le temps pour faire de la musique, alors faisons de la musique”, et là, ça a été les sessions les plus rapides, les plus efficaces, et une DA s’est créée naturellement. On n’a pas fait énormément de sons, il n’y a pas eu beaucoup de déchets là-dedans. Donc, franchement, tout s’est fait assez vite et je pense que c’est vraiment le fait de faire de la musique sans objectif précis qui nous a permis d’aller aussi vite.

shoot by @_velage

Xavier: Qu’est-ce qui délimite votre processus créatif ? Est-ce que vous faites ces 9 titres et vous arrêtez quand vous trouvez une certaine cohérence ?

Absolem : Dans la liberté, déjà, il n’y avait pas forcément une recherche de featurings un peu « business » même si on ne fait aucun featuring business. Il y avait un peu le côté, ok, on sort un projet, est ce qu’on ramène un, deux, trois featurings et si oui qui ? Et en fait, on a fait un morceau avec Jeanjass d’une manière naturelle parce qu’il a kiffé l’instru qu’on avait faite, donc je lui ai proposé de sauter dessus, et à part ça on s’est dit y’a même pas besoin d’autres featurings, le projet il est très bien comme ça.

Xavier : Je profite de ta présence, Dee Eye, pour parler de votre collaboration et de ton travail sur la musique. En regardant les crédits des clips, on voit que t’es présent dans la réalisation (le tout dernier clip) le graphisme, le stylisme ou encore les idées, est ce que t’es impliqué dans tous les compartiments de sa musique ?

Dee Eye : Ouais, en gros pour retracer rapidement le truc, je travaille avec Abso depuis 2017, et j’ai produit tous ses projets entièrement. Depuis le début, il y a une vraie recherche ensemble de faire évoluer Abso en tant qu’artiste, moi j’évolue en tant que producteur, et on s’apporte mutuellement. Mais avant on s’occupait que de ça, moi je faisais les enregistrements, les prods, mais on allait mixer ailleurs, master ailleurs, clipper ailleurs, j’étais pas impliqué à fond là-dedans. Depuis 2 ans, on a arrêté de travailler avec l’équipe avec laquelle on travaillait et on a tout pris à deux, parce qu’on s’est rendu compte en fait qu’après Leur dire, que défendre notre vision du début à la fin, moi j’avais le sentiment que c’était la meilleure chose à faire pour arriver à ce qu’on voulait[…]. On s’est lancé le défi de faire Balle d’argent 100% à deux, donc un peu à l’effigie d’un label quoi. Moi j’ai pris une plus grosse part du côté management, on s’échange un peu les tâches à certains moments, maintenant le truc, c’est que moi de manière générale, je touche un peu à tout.

Xavier: J’ai le sentiment qu’après Leur dire, votre couleur musicale s’est dessinée un peu plus précisément.

DeeEye : En vrai ça a été un peu entre guillemets, une révélation, dans le sens où Leur dire c’est des morceaux qu’on avait fait 1 an, 1 an et demi avant. La démarche, c’était qu’Abso s’ouvre un peu plus, parle un peu plus de lui. Il y avait un peu des échos comme « Abso il rap super bien, il est super chaud, mais c’est qui Abso? » Notamment avec l’aide de Caba et Jass qui m’avaient susurré un peu ça à l’oreille. J’en ai parlé à Abso, je lui ai dit « vas-y viens, on essaye».[…] Leur dire c’était des morceaux plus sincères. Et puis on a laissé ça de côté parce qu’on s’est dit, nan mais le rap ça revient, il faut faire une grosse mixtape de rap, que tu prouves aux gens que tu sais rapper, que tu mérites ta place. Et donc on était en train de taffer là-dessus, ce qui est devenu Balle d’argent finalement, mais ça faisait déjà un petit temps qu’on pensait à ça. Et un jour, j’ai réécouté ces morceaux parce que je les avais dans mon téléphone par hasard – ces morceaux qui ont fait Leur dire – et je me suis dit ils sont quand même bien ces morceaux, il y a de l’émotion et tout. Donc on en a parlé à notre manager, parce qu’on avait le même manager, moi en tant que producteur, et lui en tant qu’artiste, et il a fait « ouais j’sais pas les gars, nan ça va pas le faire etc ». Et puis je me dis nan mais en vrai on va le faire, mais juste on mettra pas de budget, c’est moi qui mix, alors que je mixais pas avant, je me dis c’est moi qui mix les maquettes, elles sonnent bien on fait un petit master, on fait un clip vite fait et puis c’est bon tu vois. On se prend pas la tête et au final c’est clairement là qu’il a commencé à se passer un truc, où je pense que les gens ont été touchés par Abso qui s’ouvre, et par la sincérité qui s’en est dégagée, donc ça a été un peu un moment charnière ce projet, pour tout ce qui a découlé.

Absolem : Ouais, pour résumer c’est vraiment : certains avis extérieurs nous disent nan il faut pas balancer ce projet, et nous on dit les gars il faut balancer ce projet en fait on le sent bien. On l’a fait ça s’est très bien passé. On s’est dit qu’en fait, si on avait écouté tous les avis extérieurs, on aurait pas fait ce choix, et quand on s’est juste écouté à deux, on l’a fait et ça a très bien marché, donc est ce qu’on continuerait pas comme ça ? Et en fait c’était la solution. Il faut prendre des risques de temps en temps et tu vois ce que ça donne.

Xavier: Finalement il faut croire en sa vision.

Absolem: Exactement, Leur dire c’est croire en sa vision.

Xavier : Sur Les yeux grands fermés, il y a toujours cette pâte mélancolique et boom bap, mais aussi des morceaux aux influences trap et UK comme avec Femmes des années 80 et sa rythmique jungle sur la fin. Sur Balle d’argent on retrouvait déjà un morceau aux accents Jersey. Est-ce que c’est un challenge de garder une cohérence dans la couleur du son, malgré cette variété d’influences ?

Absolem : Nous ce qu’on aime bien c’est pousser la musique au maximum tout en gardant ce qu’on aime faire, c’est-à-dire du bon rap. Pour donner des référents pas qu’on a suivi mais en tout cas le type de rappeurs qu’on aime bien dans cette démarche la, dans les plus gros y’a du A$AP Rocky, du Slow Thaï, du Mac Miller, tu vois des gens qui restent fidèles à leur truc mais qui hésitent pas non plus à amener des propositions originales, tout en gardant leur essence et tout et même c’est des gens qui ont des visions un peu originales, tu sens que les projets c’est aussi des projets faits pour la culture, et qu’il y a totalement une démarche musicale d’abord avant quoi que ce soit tu vois.

shoot by @_velage

Xavier: Au début de la création d’un morceau, le choix de partir sur un style plutôt qu’un autre, il part de vous deux ?

Dee Eye : On va dire que de manière générale c’est un peu moi qui mène le truc dans le sens ou Abso c’est pas spécialement un rappeur qui va venir avec l’idée précise… Enfin fût un temps c’était ça, mais au fur et à mesure on a développé notre couleur et on s’éparpille moins. Genre à l’ancienne il pouvait venir et me dire “j’ai écouté ce morceau vient on fait un truc comme ça”, alors j’étais un peu là en mode “c’est surprenant ça ne te ressemble pas trop mais vas-y pourquoi pas”. Et donc on a fait beaucoup d’essais ratés, on a beaucoup d’enfants morts, et aussi des enfants qui sont sortis et qui auraient peut-être jamais dû sortir.

Absolem: Ouais des enfants qu’on renie maintenant !

Dee Eye : Mais après, tu vois pour l’exemple de femme des années 80 et le côté jersey moi c’est juste parce que, voila, je ne pense pas être un producteur qui est dans la tendance, et j’ai pas envie de l’être, mais il faut vivre avec son temps et notamment Jeanjass avec qui je travaille beaucoup lui, il me pousse à apporter ce côté plus moderne parfois dans mes prods. Et en vrai, là, on s’est dit : le morceau est bien, mais à la fin il y a un truc qui ne va pas trop. Et puis je me suis dit qu’il fallait un truc différent, et puis c’est venu un peu comme ça. […]En fait maintenant la démarche c’est vraiment plus : faire de bonnes chansons, plutôt que “viens, on va faire ci on va faire ça”. […] Et au final, c’est un projet où on aurait pu dire “ouais il faut un peu de ci, un peu de ça”, mais au final je pense qu’on n’a jamais fait un projet aussi cohérent en réfléchissant aussi peu à essayer de le rendre cohérent. Donc c’est peut-être ça la solution.

J’ai une patte “old school” c’est vrai, mais quand je fais un boom bap c’est jamais genre “viens on fait un boom bap”, c’est quand j’écoute la mélodie que j’ai composé que je vais trouver évident de mettre une batterie comme ça, et si ça doit être un boom bap, ce sera un boom bap. Et si au final, je me dis qu’un boom bap c’est un peu chiant, alors que ça aurait été trop stylé avec une autre mélodie, je cherche un petit twist qui va rendre le truc intéressant. Comme disait Abso, moi j’ai envie d’apporter quelque chose à la musique, d’apporter quelque chose de nouveau, je n’aime pas faire tout ce qui se fait, et je n’aime pas faire comme les autres.

Xavier : Toujours à propos de spontanéité, Absolem disait il y a quelques mois en interview que le fait de composer, écrire et enregistrer en quelques heures était un peu votre nouveau process, est ce qu’il y a un morceau qui fait exception à ça dans le projet ?

Absolem : Non, pour tous les morceaux, soit on avait la totalité, soit le couplet et le refrain. Pour tous les morceaux du projet, ça part d’une bonne idée, on travaille dessus et on arrive à quelque chose d’assez concret à la première session.

DeeEye: Il y a quand même eu pas mal de morceaux où, là où avant on avait peut-être plus tendance à se dire : tant qu’on n’a pas le truc parfait on n’y va pas, on ne se lance pas. Maintenant, c’est plus : si t’es inspiré, “let’s go”, on pose quelque chose, et dans trois jours peut- être qu’on se rendra compte qu’on doit changer quelques mots ou quelques trucs parce que c’est trop compliqué ou pas assez efficace.

Absolem : En tout cas le but est d’attraper un premier jet, et d’attraper un truc spontané, et après on revient dessus si jamais. Mais par contre femme des années 80 on a tout fait le jour même, à part la batterie à la fin, et c’est vraiment arrivé très vite.

shoot by @_velage

Xavier : On retrouve JeanJass pour le titre Hors de moi. Je voulais en profiter pour discuter de votre rapport à l’écriture. On ressent chez toi, et notamment depuis Leur dire, une volonté de simplifier ton écriture au sens noble, avec une dimension plus sincère et aérée, où l’obsession de la technique cède de la place à l’envie d’être juste dans les mots. JeanJass a déjà dit avoir évolué lui aussi vers une simplification de son écriture, est-ce que ça fait partie des raisons pour lesquelles tu l’invites ?

Absolem : Le parallèle est intéressant, je ne l’ai pas invité parce qu’il a simplifié son écriture au sens positif, mais c’est clair que c’est ce qui fait que son écriture me parle à fond et que j’aime ce qu’il fait. Mais pour Hors de moi c’est plus dû au fait que Jeanjass vient parfois au studio travailler avec Dee Eye, et donc il écoute les maquettes, les mix, et donne un regard et un avis de loin. Du coup, il dit parfois “ah ce morceau là, c’est chaud”, ou il propose une idée ou autre. Ce jour-là on lui a dit : écoute on a fait ces prods là hier. Moi j’avais enregistré une topline, et il a dit “ah celle-là c’est chaud”. J’ai vu que ça l’enjaillait, que ça le motivait, donc ça a été très naturel, je lui ai dit : gros si t’es chaud, moi j’ai juste une topline j’ai encore rien écrit, il est encore temps de sauter dessus ! Le lendemain, il est passé au studio, il avait son couplet, comme un Monsieur professionnel. Quand il est arrivé, je me rappelle que j’étais en train de faire mes courses, et j’ai eu un appel de Dee Eye qui m’a dit « bon on a le couplet de Jass, sur la topline il a mis des paroles, donc quand tu rentres viens on fait ça ». C’est très naturel, très spontané, c’est cool. Il y a mes morceaux qui avancent quand je pars faire mes courses, c’est génial, ça m’arrange comme dirait l’autre. En tout cas c’est un beau parallèle, je pense que j’ai une écriture qui se rapproche de celle de Jean Jass dans ce que tu dis, dans la démarche, pas trop alambiqué, pas trop “j’essaye de faire du monocycle en jonglant avec des trucs en feu” pour montrer je ne sais quoi. Avant c’était plus le schéma de rime qui m’amenait à essayer de placer des idées, maintenant c’est l’idée qui me parle.

Xavier: C’est le fond qui guide la forme.

Absolem: Exactement, donc je pourrais même faire un texte sans rimes, si le texte est bien je pourrais le sortir. J’en ai plus rien à foutre des rimes. Avant il y avait des moments où je passais plusieurs heures pour écrire un quatre mesures, en fait j’aimais plus écrire de cette manière-là du tout, et y aller en mode : on y va tout droit, ça m’a fait beaucoup de bien.

Xavier: Toujours à propos de ta spontanéité, sur Soundcloud 2017, on a l’impression que tu fais un peu d’impro, et tu fredonnes au début du morceau. Est ce que c’est une sorte d’échauffement qui n’est pas prévu que tu as gardé, ou que tu mets volontairement pour accompagner le côté spontané du projet ?

Absolem: C’est le seul morceau du projet que j’ai enregistré dans ma chambre et pas dans la cave, où j’ai aussi un petit micro et une carte son. Dee Eye faisait une session avec Kurdy, un gars à nous, du coup je me suis dit que j’allais aller dans ma chambre tester un truc. La petite mélodie un peu fausse du début, c’est juste moi qui lance la prod et qui cherche un truc. Et c’est venu, j’ai eu cette mélodie où je ne mets pas de paroles, et puis après j’ai eu le flow direct.

Dee Eye : C’est une prod que j’ai sorti sur Soundcloud en 2017 c’est pour ça qu’elle s’appelle comme ça. C’est une prod que j’ai fait il y a longtemps, et en fait je la kiffe ! J’ai toujours ça avec des morceaux, même si je les ai faits il y a 10 ans, quand je trouve qu’ils sont vraiment bien, je me dis “j’aimerai bien qu’ils aient une vie”, et là un jour on avait fait un morceau et je me disais : ça peut être stylé de faire une outro à ce morceau. Un peu comme Jeanjass ou Alchemist font beaucoup, genre de mettre un sample à la fin d’un morceau, qui n’a rien à voir avec. Pour un peu clôturer le truc. J’ai fait ça, et je me suis dit que j’allais pas le mettre tel quel, donc je l’ai “stretch”. Je me suis dit, il y a trop un délire, je l’ai fait écouter à Abso, et je lui ai dit : franchement, je te verrai trop faire un truc là-dessus.

shoot by @_velage

Xavier: Il y a un thème qui revient à nouveau dans ce projet, c’est celui de la réussite. Tu évoques notamment les contradictions qu’elle engendre. Dans l’intro tu dis “j’suis dans le train, en train de me dire qu’il faut prendre le train en route, pour ne plus devoir reprendre le train”. Est-ce que tu vis des contradictions dans le fait d’être reconnu par certaines personnes, et en quelque sorte une “célébrité”, alors que t’es toujours en train de prendre le train, et que tu vis dans une réalité économique sans doute différente ?

Absolem : Ouais grave, c’est vraiment ça, là je suis dans un entre deux, où je commence à toucher un peu au train de vie de mec qui vit de sa musique, tout ce qu’il y a autour, et même un peu de célébrité à mon échelle. Mais je fais toujours ma vie comme d’habitude et ça m’est déjà arrivé des gens qui me disent “oh mais qu’est ce que tu fais là” ou “oh mais c’est toi qui fais ça”. On a fait des releases partys où par exemple, lors d’un pop-up store dans le magasin d’un pote, les gens étaient étonnés de me voir ramener des trucs, que je porte les platines, les boissons, etc. Ils nous voient mouiller le maillot comme si ce n’était pas nous les artistes, et les gens sont étonnés. Mais en fait c’est juste la réalité de la vie. Et c’est vrai que quand j’ai écrit cette ligne-là, c’était un jour où j’avais dû me lever super tôt pour reprendre un train et revenir faire du son à Bruxelles. Il y avait un train qui n’était pas passé, et je me disais : c’est quand même l’enfer de prendre le train tout le temps, il faut faire encore un peu plus d’argent, et bientôt on ira en voiture. Mais prenez le train ! C’est très écolo, c’est très bien.

Xavier: En plus tu as une phase sur l’écologie où tu dis que tu veux voir tout le monde boire et manger bio.

Absolem : Ouais c’est le plus important ! Si j’ai plein d’argent, je crois que je préfèrerais le mettre dans le fait de bien manger, et faire des choses intéressantes pour mon corps, mon âme et mon esprit, plutôt que manger des Macdos et rouler en Mercedes. Je préfère bien manger et ne pas avoir de Mercedes

Xavier: Pour te citer à nouveau, sur Slowmotion, tu dis : “j’aimerais changer de décor, mais autour de moi il n’y a pas de fond vert, et au-dessus de ma tête il y a un plafond de verre”. Tu parviens à raconter ton ressenti sans tomber dans l’écueil de la frustration, et c’est plutôt une source d’inspiration. Cela devient une des chansons les plus fortes du projet. C’est quelque chose que tu “conscientises” ?

Absolem: A fond, c’est un truc de.. si t’as pas les reins solides, il vaut mieux arrêter le rap. Il vaut mieux aller faire des études et faire quelque chose d’autre, mais le rap c’est un marathon, une grande course, donc si t’es vite découragé face à un échec, c’est la merde, tu peux pas, c’est bonne chance en fait. Dans le même morceau, je dis “ si t’y crois pas tes poignets vont finir par se casser, mais si t’y crois c’est le mur qui va finir par se casser”. C’est vraiment ça en fait, quand tu tapes dans le mur, si tu y crois vraiment il peut se casser, si tu n’y crois pas c’est sûr que tu vas te péter le bras.

Xavier: Est-ce que tu as l’impression de t’affranchir d’une certaine pression en sortant ta musique sans trop de calculs ?

Absolem: Oui de plus en plus, la démarche, c’est d’être soi-même, d’arrêter de regarder les autres, et d’être relax par rapport à tout ce que l’industrie impose. Chacun vit sa vie, si les autres marchent, si les autres ratent, c’est leur vie. Si je marche ou si je rate c’est ma vie c’est pas la leur. Donc c’est vraiment être relax avec soi-même, avec comment on se sent quand on fait de la musique, et avec ce qu’on veut montrer aux gens, et ce qu’on veut leur donner nous-même. Sortir un projet en se disant “ok pas besoin d’autres feats”, après Jeanjass on va pas se mentir c’est un bon feat mais c’est surtout un ami, mais c’était en mode : viens, on se fait plaisir, le projet nous parle, on envoie ça, et c’est pas grave si on ne fait pas exactement comme l’industrie voulait qu’on fasse.

shoot by @_velage

Xavier: Tu parles de ton rapport aux femmes dans ce projet. Tu dis notamment “il y a déjà le rap entre moi et elle”. Il peut y avoir des formes d’incompréhension et de solitude, dans le fait d’être dans une carrière d’artiste, tandis que ton entourage vit une vie plus “rangée”. Est-ce que ta musique a déjà pu nuire ou être incompatible avec des relations affectives ?

Absolem : Ouais totalement, ça peut être dans des petits exemples, comme ne pas être présent dans les trucs familiaux, comme quand je repasse à Liège, mes parents ils croient que je vais rester tout le weekend. Je leur dis “non je passe, je dis bonjour, je mange avec vous, et je repars, au moins on se voit un peu”. Je dis souvent cette phrase “au moins on se voit un peu”. J’ai des objectifs et je comprends que beaucoup d’êtres humains sur cette terre ont des sortes d’horaires et des plannings un peu carrés, mais moi je ne suis qu’un jeune garçon joueur, donc je joue. Et si je ne dois plus voir personne pendant 4 jours d’affilés et être tout seul à faire mes trucs, je le fais. Et si il y a une fille qui me plaît et que je ne peux pas la voir, ou que notre relation s’arrête parce que je dois aller casser le rap game, j’irai casser le rap game. Comme dirait Alkpote, “malgré les peines de coeur, je suis là pour vous divertir, j’apparais sous une pluie de billets”.

Xavier: Le rap c’est un peu ta malédiction ?

Absolem: C’est un peu ça hein, je ne suis qu’un foutu rappeur, ça peut se ressentir dans ce qu’on fait au quotidien, ça peut aller aussi profond que dans les pensées. Parfois j’entends un truc qui sonne bien, et je vais commencer dans ma tête à faire des rimes tout seul. Quelqu’un va me parler, et je vais oublier ce qu’il me dit tu vois, et j’ai juste retenu son mot et là dans ma tête j’suis en train de faire des quatre syllabes.

Xavier : Je voulais parler de la cover que je perçois de deux manières. Il y a d’un côté la femme qui te bande les yeux, et la relation avec laquelle tu irais peut-être dans le mur, et de l’autre le fait d’être tourné vers soi les yeux fermés, avec un côté introspection. Quelle était l’idée que tu voulais mettre en avant avec cette cover ?

Absolem: Bah en fait ce titre il a clairement plusieurs significations, et il n’y en a aucune qui est vraiment contradictoire. C’est déjà que le faire les yeux fermés c’est se faire confiance, ça je gère, je sais faire les yeux fermés. Et donc les yeux grand fermés, c’est encore plus que : je sais bien le faire les yeux fermés. C’est que je me fais confiance, j’ai rimé depuis des années, envoie une prod, les yeux fermés, je te fais un truc. Les yeux grands fermés, il y a aussi ce truc des yeux qui se serrent encore plus, qui se ferment encore plus, et j’ai l’impression que c’est aussi un moment quand tu te rappelles des flash-back, et où tu fermes les yeux pour revenir en arrière. Et ça c’est un truc que je fais grave dans mon écriture, revenir en arrière, parler de ce que je vivais avant, avec tout le recul de maintenant. La fille sur la moto, ça représente aussi un peu le public, c’est comme : regarde je roule, je me fais confiance, j’ai les yeux fermés. Viens à l’arrière suis moi, viens rouler avec moi, et on verra, soit on va arriver à bonne destination, soit on va faire un crash, mais dans tous les cas fais moi confiance, roulons ensemble, allons où je veux aller […]. Et en plus de ça il y a ce côté rapport avec le sexe opposé, qui est très présent dans Eyes Wide shut, donc “Les yeux grand fermés” en français, et c’est une idée de Venlo, je tiens à le dire, c’est mon gars Venlo qui a trouvé ce titre-là.

Xavier: Tu as annoncé deux dates en France, une en première partie de Slimka à Lille, et La Boule Noire à Paris le 7 avril. Qu’est-ce que ça représente pour toi cette première date parisienne complète ?

Absolem : Là avec Paris, c’est l’occasion de rencontrer mon public parisien et de faire exactement la même chose, c’est à dire que c’est pas une énorme salle, mais c’est une belle salle, elle est remplie, et donc c’est un moment familial, ça va être trop stylé !

Ça motive, ça veut dire que même dans une ville qui n’est pas la mienne, qui est la capitale d’un autre pays, on arrive à remplir une salle. Avec juste mon nom entre guillemets, et voilà j’ai hâte. J’ai hâte de faire la Maroquinerie, la Cigale, l’Olympia, et on se revoit au Zénith.

shoot by @_velage