Culture confinée mais la Circulation(s) continue

Bobby Beasley, à l’affiche de la onzième édition du festival avec sa série « Roughly 1000 miles per hour »

Le festival Circulation(s) au Centquatre à Paris célèbre à nouveau la jeune photographie européenne – en ligne, pour le moment.

Nouveau printemps confiné – en termes de culture pour l’instant –, nouvelle édition du festival photo Circulation(s) dans des circonstances floues et difficiles. Tout comme l’édition de l’année dernière, la onzième édition du Festival de la jeune photographie européenne au Centquatre à Paris a démarré en ligne ce 13 mars. Dans un cadre où la mobilité est toujours fortement restreinte, le festival réunit, lui, avec ses 29 projets exposés, autant de jeunes artistes européens (notamment du Portugal auquel est dédié le « focus » de cette édition) et internationaux. Les scènes, portraits et paysages capturés créent alors une mosaïque multicolore qui s’étend de Tokyo à Los Angeles, en passant par des cérémonies vaudous au Bénin et en empruntant le cours d’eau du Rio Tinto à travers les banlieues de Porto.

Lors du vernissage du festival (ne réunissant que l’équipe d’organisation, les artistes et la presse), les organisateurs paraissent satisfaits, mais aussi épuisés. « Aujourd’hui tout me paraît normal, c’est le demain qui sera plus difficile » admet Jimmy Pihet, trésorier de l’association Fetart – en charge de l’organisation et de la direction artistique du festival. En effet, mis à part des masques, il y a un air de « normalité » : des visiteurs curieux, des artistes désireux·ses de présenter leur travail et une équipe d’organisation contente d’avoir tenu le coup en dépit de tous les obstacles. En vue des incertitudes à l’égard de comment pourrait avoir lieu le festival cette année, la question « Bon, est-ce qu’on le fait ? » se posait jusqu’à un mois avant le vernissage, avoue Emmanuelle Hakin, secrétaire générale de Fetart. En vue de l’impossibilité – indéterminée dans le temps – d’accueillir le public, des voies alternatives pour donner accès aux œuvres exposées ont été explorées. C’est « l’ADN de Circulation(s) » – « accorder une visibilité aux jeunes artistes et à leur œuvre » – qui l’a emporté, déclarent Jimmy Pihet et Emmanuelle Hakin à l’unisson. Ainsi, Circulation(s) est invité par la RATP à investir stations et couloirs du métro parisien jusqu’en mai. L’expérience des photos et installations sur place n’ayant pas de véritable substitut, se maintient enfin l’espoir de pouvoir ouvrir au grand public bientôt.

Beatriz Banha, “Suspenso” [suspendu]

Après un an d’incertitudes alternant périodes de – et reconfinement ce n’est pas seulement nos pratiques culturelles qui sont mises à l’épreuve – la fermeture des sites culturels étant une amère constante tout au long de cette période. Derrière la question des pratiques culturelles se pose celle, peut-être plus fondamentale encore, des pratiques artistiques dans un monde où l’errance, les rencontres et enfin, l’imprévu tout court se font rares. C’est aussi dans ce défi que se lancent les artistes et projets exposés dans l’onzième édition du festival, dont une partie considérable a été créée au cours de l’an passé. Dans la série Roughly 1,000 miles per hour [Environ 1,000 miles par heure], le photographe anglais Bobby Beasley se propose ainsi de créer, en temps de confinement, son propre univers en image. À l’aune des bouleversements subis et de l’isolement, il met en scène les simples plaisirs et situations amusantes de son quotidien.  

Bobby Beasley, “Roughly 1000 miles per hour”

À cet égard, les défis liés au moment présent ne sont pas sans évoquer le personnage de Ricky Fitts, amateur de vidéo, dans le film American Beauty (Sam Mendes). En montrant à son amie une vidéo qu’il a filmé d’un sac plastique tourbillonnant dans le vent, il raconte :

C’était une de ces journées grises où il va se mettre à neiger d’une minute à l’autre, et qu’il y a comme de l’électricité dans l’air. Tu peux presque l’entendre, tu vois ? Et ce sac était là, en train de danser avec moi, comme un enfant qui m’invitait à jouer avec lui. Pendant 15 minutes. C’est là que j’ai compris qu’il y avait autre chose, au-delà de l’univers, plus loin que la vie. Je sentais cette force incroyablement bienveillante, qui me disait qu’il n’y a aucune raison d’avoir peur. Jamais ! Sortie du contexte les images n’ont aucuns sens, je sais, mais… ça m’aide à m’en souvenir, j’ai besoin de m’en souvenir. Et parfois je me dis qu’il y a tant de beauté dans le monde que c’en s’en est insoutenable. 

Pas évident de créer quand le quotidien est bouleversé. Mais c’est peut-être justement là que se cache une des opportunités de cette période : trouver de nouvelles formes d’expression, porter un regard nouveau sur le monde, se réinventer. Il semble d’ailleurs que c’est le père du photographe Bobby Beasley qui trouve les mots pour saisir la situation présente : «Nous sommes tous debout sur un rocher qui tourne à environ 1000 miles par heure. Nous tournons autour d’une énorme boule de feu dans un univers infini… » Sans la photo, on aurait le vertige.