La Fashion Week de Milan s’est achevée dimanche dernier sans vraiment faire de grands éclats. Le classicisme était de mise, l’homme comme la femme auront à l’été 2020 un chic certain, aux palettes tendres mais aux couleurs originales. Chez Fendi sur rythme d’EDM les années 70 ont fait leur grand retour avec un camaïeu de camel/marron pas forcément très excitant, chez Prada les motifs et les accessoires laissaient assez d’espace pour un retour du kitsch assumé. En revanche, chez Bottega Veneta comme chez Salvatore Ferragamo on a vu ressortir un travail du cuir assez magistral, une allure minimale mais audacieuse. Les grandes fresques antiques choisies comme motifs par Salvatore Ferragamo sont venues réveiller une magnifique palette de couleurs originales allant du bleu glacier à un parme subtil, travaillés dans une modernité fascinante. Jil Sander a misé sur des silhouettes monacales à l’élégance toujours plus introvertie quand Gucci a prouvé une fois encore l’importance d’un grand designer comme Alessandro Michele avec une ode épicurienne à la mode.
Derrière les grands noms que chacun peut recommencer à scruter avec l’édition parisienne il y avait aussi un certain Dion Lee. Loin d’être un newcomer pour autant, le designer australien a proposé ce qui est peut-être un des plus beau projet de cette édition. Cela fait déjà quelques saisons que Dion Lee travaille avec ambivalence une féminité guerrière. En s’inspirant à nouveau de la lingerie, il a réussi une équation subtile mêlant harnais de cuir, robes vaporeuses, mailles aérées dans une palette noire/blanc/orange/olive/camel/rose poudré très tranchée. Les silhouettes homme qui faisaient leur grand retour sur les podiums du designer côtoyaient des cuissardes immenses, porte jarretelles en cuir venant structurer des silhouettes à l’assurance impressionnante. Coup de maître du designer, même si les bermudas ont fait leur retour dans l’intégralité des maisons, son ensemble d’un duo basic short/veste de tailleur blanc semblait d’une précision et d’un bon gout inégalé.
Construite en collaboration avec la marque londonienne Fleet Ilya pour toutes les pièces en cuir, Dion Lee a continué à challenger les codes du tayloring. Avec une sérénité déconcertante il développe cette approche unisexe, mettant non pas le genre au cœur de sa création mais l’aura et le sex appeal d’une silhouette. Chaque pièce est pensée dans un ensemble, dans une harmonie qui ne laisse pas de place au faux pas. La collection semble composée de pièces interchangeables, qui de toute façon se compléteront parfaitement ensemble et resteront fidèle à l’esprit du créateur. Les pièces de Fleet Ilya s’inscrivent dans une esthétique fétichiste remastérisée pour la haute couture avec un travail exclusivement du cuir. Aucune vulgarité, aucune impertinence dans les pièces de Fleet Ilya mais plus un empowrement et une sensualité/sexualité bravache et assumée comme sortant du cercle unique du privé.
La sensualité et la sexualité n’ont pas à être des tabous, elles n’ont pas non plus besoin de dévoiler un maximum de peau pour faire effet, le nu n’a rien à voir dans l’approche du message de Dion Lee. Pour preuve les volumes des robes, des pantalons à la limite du baggy, des superpositions qui dissimulent autant qu’elles dévoilent. Depuis son premier show solo en 2009, Dion Lee s’évertue à faire évoluer des silhouettes architecturées, avec toujours une approche assez technique des pièces proposées. L’engagement dans l’artisanat, la technicité, la précision viennent contrebalancer son amour d’une élégance classique et avant toute chose portable. Depuis plus de 10 ans maintenant, Dion Lee semble développer et challenger la même idéologie, celle d’un vêtement intelligent, sophistiqué qui se développe au fil des saisons, se technicise ou se féminise mais demeure au cœur de cette vision première.
L’été 2019 avait mis l’accent sur un travail de la dentelle, encore une fois en superposition et en dialogue avec l’univers du tayloring, celui de 2018 avait pris un tournant légèrement plus sport avec du faux denim, des cyclistes et des tongs aux pieds des mannequins, 2019 s’inscrit donc dans la droite lignée de ces explorations. Le cuir non pas comme accessoire mais comme pierre angulaire, base d’une femme qui se connait, qui sait pertinemment qui elle est et ne se cantonne ni au label homme/femme pour se définir ni au politiquement moral/correct. Malgré la volonté de s’armer de pièces techniques il ressort une certaine facilité et une certaine sobriété des silhouettes de Dion Lee et au final peut-être que c’est comme ça que l’on est à la fois féministe, novateur et élégant sans même avoir la prétention de le crier sur tous les toits.