C’est la mode. Tout le monde à l’air de s’accorder, du public à certains journalistes et figures intellectuelles, jusqu’aux pouvoirs publics. Il faut taper sur le cinéma français. Trop de films, peu de qualité, cinéma cliché, cinéma bourgeois, hors sol, népotique, places de cinémas trop chers, peu de propositions, les plateformes compétitrices… Bref, le cinéma français est en crise. La fréquentation 2022 affiche un retard de 29,1 % par rapport à la moyenne 2017-2019. Des états généraux du cinéma ont même eu lieu, le jeudi 6 octobre 2022, à l’Institut du monde arabe à Paris, réunissant les professionnels du cinéma français afin d’essayer d’apporter des réponses, des solutions, mais aussi des avertissements.
Il y a, de manière générale, une méconnaissance profonde qui commence à gangréner les esprits, une certaine idée de ce qu’est le cinéma français. Il n’est pas rare de retrouver sur les réseaux sociaux des billets d’humeur négatifs sur l’état du cinéma national, extrêmement repartagés, comme si une concordance commençait à poindre son nez, résultant tout de même à une désertion inquiétante des salles. Une méfiance qui génère plusieurs fake news. On lit tout et n’importe quoi sur le cinéma français, son financement, sur le CNC, sa distribution, sa qualité, réputation et ses résultats, son coût (alors que le devis moyen d’un film d’initiative française est de 4,2 millions d’euros. Ce qui est assez peu compte tenu des moyens techniques et humains mis en place). Il est temps de remettre l’église au centre du village.
Sur le financement du cinéma français et les fantasmes d’argent public jeté par les fenêtres sur l’autel de l’Art, plusieurs choses. D’une part, cet argent provient de diverses sources. Il y a les régions et les départements qui participent et mettent jusqu’à plus de 500 000 euros. Mais cet argent n’est pas sans contreparties. Il faut tourner un certain pourcentage de temps dans la région, et surtout dépenser cet argent dans la région. Cet argent est donc plus un investissement local qu’un don. La majorité des aides régionales exigent d’ailleurs des dépenses régionales supérieures au montant donné. Par exemple, si une région donne 250 000 euros, elle exigera 125% de dépenses en région. En gros, cet argent est réinvesti dans la main d’œuvre et les entreprises locales. Cela créer de l’emploi. Ensuite, il y a les chaînes de télévision. C’est également un investissement et un pari sur l’audience future. Le film peut faire 300 000 entrées en salles mais 5 millions d’audiences lors de sa diffusion future. Et l’audience créer de l’argent, par la publicité, le flux etc. Le CNC a également une part d’aides remboursables. En somme, rien n’est gratuit, rien n’est à 100% donné. Toutes ces aides forment un cercle assez vertueux de réinvestissement. On gagne, on perd mais tout ceci forme une harmonie. Parfois instable certes, mais avec des résultats concrets. A part ces aides publiques, tout le reste est privé.
La réalité est exceptionnelle. Le cinéma français est le meilleur cinéma au monde. Le système de production français est le meilleur système au monde. Maintenant qu’on a dit ça, comment le prouver ? Plusieurs points. Lorsque vous allez au cinéma, vous contribuez au financement du cinéma français. La valeur de votre ticket est partagé en plusieurs tranches. Il y a la T.S.A (10,72%, permet le fonctionnement du CNC et la redistribution monétaire sur des nouveaux projets), la TVA (5,29%), la contribution à la SACEM (1,27%, c’est une redistribution aux auteurs et compositeurs), le distributeur du film (42,3%) et enfin l’exploitant, c’est à dire la salle (40,4%). Le CNC, qui a un budget de près de 700 millions d’euros, va aider une multitude de projets, du scénario à la diffusion. Et surtout, le CNC a une politique d’aides sélectives laissant la porte aux auteurs débutants, aux premiers et seconds films, du court au long-métrage. Il n’y a aucun autre pays au monde qui aide autant l’ouverture à des nouvelles voix, des nouvelles écritures, des nouvelles propositions. En 2021, ce sont pas moins de 340 films – dont 265 sont d’initiative française – qui ont été agréés par le Centre national du cinéma (CNC). En 2021, pour les soutiens à l’écriture d’un premier long-métrage, 14 films ont été aidés. Pour l’avance sur recettes (aide à la production), 21 premiers longs ont été aidés, pour l’aide aux cinémas du monde (aide à la production), 23 premiers longs ont été aidés. En plus des premiers longs-métrages (et donc des nouvelles voix), le CNC a aidé en 2021 51 courts-métrages (dont 18 premiers films). Le CNC existe donc pour une raison essentielle : Continuer à faire découvrir de nouveaux talents. Il y a encore de la marge et des horizons d’améliorations, notamment sur une attribution paritaire des aides entre les auteurs et les autrices. Les cinéastes racisés peinent encore à trouver des financements malgré les axes positifs de ces dernières années et les fonds existants (Images de la Diversité du CNC).
Je parle beaucoup du CNC car il y a une méprise générale sur leur fonctionnement et leurs aides. Il existe deux aides précises. Une aide sélective (celles des premiers ou des seconds films, des films d’auteurs exigeants ou avec un intérêt artistique certain) et une aide automatique. Cette dernière est un soutien financier calculé, pour les films titulaires de l’agrément de production, par application d’un taux au produit de la taxe spéciale sur le prix des places de cinéma (la T.S.A vue précédemment). Ce taux est actuellement de :
- 111,87 % jusqu’à 1 500 000 entrées
- 85,02 % de 1 500 000 à 5 000 000 d’entrées
- de 8,95 % au-delà de 5 000 000 d’entrées
C’est donc pour ça que voyez systématiquement le CNC mentionné dans les soutiens financiers de quasiment tous les films français, même les plus grands navets. Car chaque production agréée a un compte automatique dans lequel est reversé ce calcul de spectateurs X prix des places X T.S.A X 111,87 %, cinq ans à compter de la 1 première présentation publique en salle. Donc plus une société de production a fait d’entrées, plus son compte automatique est élevé. En aucun cas le CNC ne finance directement Qu’est-qu’on a fait au Bon Dieu ou la dernière bouse avec Didier Bourdon. Nos comédies les plus idiotes s’auto-financent ou trouvent refuge chez les chaînes privées. Le CNC est là pour financer le cinéma en tant qu’art. Et il finance aussi le cinéma mondial (La France est presque partout, regardez les génériques).
Maintenant que cela est expliqué, place à la défense du cinéma français sur sa qualité intrinsèque. D’une, c’est une chance énorme d’avoir autant de films produits, cette pluralité, liberté et richesse est unique au monde. C’est simple, toutes les semaines il y a au moins un film français qui sort en salles. Il faut célébrer le fait qu’il y ait autant de films français. Le seul point épineux est la durée d’exploitation, qui ne cesse de se raccourcir. Aujourd’hui, la séance de 9h de l’UGC des Halles peut sceller le sort d’un film dès sa première semaine. Il y a de moins en moins de temps pour le bouche à oreilles, pour laisser le film faire sa vie. C’est un problème.
Ce qui m’amène à autre bruit de fond : la chronologie des médias. Il s’agit d’une exception culturelle française, qui encadre l’exploitation des films, de leur sortie au cinéma jusqu’à leur diffusion sur les services de VOD et à la télévision. L’arrivée en trombe des plateformes (Netflix, Prime, Disney) menace fortement cette chronologie qui garantit aux films une durée de vie relativement forte, ainsi qu’une manière pour le film de vivre des secondes vies à chaque étape franchie. La chronologie prolonge la bonne tenue de l’exploitation d’un film. Le 24 janvier 2022, un nouvel accord réformant la chronologie des médias est signé. Canal+ peut diffuser les films 6 mois après leur sortie en salles, contre 8 mois précédemment. OCS a également signé cet accord lui permettant de diffuser les films 6 mois après leur sortie en salles, se plaçant au même niveau que Canal+. Netflix obtient le droit de diffuser les films 15 mois après leur sortie en salles s’il s’engage à financer le cinéma français. Prime Video et Disney+ diffuseront les films 17 mois après leur sortie en salles. Les chaînes de télévision gratuites doivent attendre 22 mois pour diffuser leurs films. Raccourcir sans cesse ces délais risquent d’amoindrir les chances de survie d’un film, son amortissement mais surtout son impact lors de sa sortie en salles. Si un film se retrouve vite sur une chaîne ou une plateforme, quel intérêt de le voir en salles ? Et là est tout le risque d’une dérégulation totale du fonctionnement de la production. Si un film a de moins de moins de chances d’être amorti, il a de moins en moins de chances d’être produit. Et ce ne sont pas les mastodontes qui souffriront, non non, ce seront bel et bien les petits films. C’est comme cela qu’on appauvrit l’offre. Quand la demande est gourmande. Le cas Wakanda Forever a fait couler beaucoup d’encre, Disney menaçant de sortir le sequel tant attendu directement sur sa plateforme, mécontente de devoir attendre les 17 mois prévus dans l’accord. Or ce film est destiné à attirer le public dans les salles, à être un succès, et donc à participer indirectement au financement du cinéma français. Priver ce film des salles est de ces menaces et de ces chantages dont se permettent ces grosses écuries. Disney n’a pas besoin du cinéma français mais nous avons besoin du public, quel qu’il soit. Et ça, ils l’ont très bien compris. Et pour l’instant ça fonctionne, les pouvoirs publics promettant une nouvelle discussion sur la chronologie des médias après ce bordel. L’Etat doit être vigilant et obliger les plateformes à investir dans le cinéma d’auteur français. Il faut une véritable collaboration de tous les partis.
Dans un second temps, mettons de côté les grosses écuries mettant en scène Christian Clavier, Franck Dubosc et autres superstars du box-office (ces immenses arbres qui cachent la forêt fascinante du cinéma français), la réalité est que la France est représentée en force dans tous les meilleurs festivals au monde. Non seulement la France gagne des prix majeurs, mais son cinéma s’exporte à merveille à l’international. Depuis quelques années, c’est près de 350 millions d’euros générés par l’exportation, et par an. Et oui, le cinéma français se vend et il se regarde à l’étranger. Et il est respecté et admiré. Les plus grands cinéastes actuels se revendiquent aussi du cinéma français.
Ces vingt dernières années, le cinéma français c’est 6 Palme d’Or, 5 Grand Prix (dont coproduction), 5 Prix Mise En Scène, 4 Prix du Scénario au Festival de Cannes; 1 Lion d’Or, 8 Grand Prix (dont coproduction), 2 Prix du Scénario au Festival de Venise; 2 Ours d’Or, 5 Grand Prix (dont coproduction), 4 Prix Mise en Scène au Festival de Berlin. La qualité est là et elle est immense. Dans la liste des 100 meilleurs films du 21e siècle de la BBC, il y a huit films français. Mais si on compte les coproductions, il y en a 23. De même pour la liste de The Guardian, on retrouve une dizaine de films français ou de coproductions françaises, chez le New-York Times c’est 3 films français qu’on retrouve dans la liste des 25 meilleurs films du 21e siècle. Dans la dernière décennie, si on prend les revues cinémas les plus influentes, on retrouve 3 films français dans le top 10 des Cahiers du Cinéma, chez Film Comment c’est 14 films français ou de coproduction française qui se retrouvent dans leur top 50.
Cette année, le cinéma français dont sa coproduction nous a offert Pacifiction, Les Enfants des Autres, La Nuit du 12, Bowling Saturne, Saint Omer, Nous, Bruno Reidal, Chronique d’une Liaison Passagère, Enquête sur un Scandale d’Etat, Les Harkis, Revoir Paris, Les Amandiers, As Bestas, Piccolo Corpo, Feu Follet, Falcon Lake, L’Innocent, Coma, L’Origine du Mal, Coupez!, Les Passagers de la Nuit, Incroyable mais Vrai, A Plein Temps, Les Cinq Diables, Le Parfum Vert, Vortex, Rien à Foutre, Un Beau Matin, Novembre, Un Autre Monde, Goutte d’Or, Close, Tori et Lokita, Mes Frères et Moi, Petite Nature, Tout le monde Aime Jeanne… Autant de films originaux que de propositions fortes, enlevées et audacieuses. On entend souvent que le cinéma français ne serait pas assez bon, voir serait médiocre mais allez-y, allez les voir. Soyez curieux. Ouvrez-vous. Ils sont là et ils vous attendent.
Il y a toutefois plusieurs points à aborder sur ce désamour, cette méfiance. D’une, il est vrai, plusieurs cinémas ferment un peu partout en France, dont des cinémas de quartier, ne laissant plus que les gros complexes aux propositions moins éclectiques. La vérité est qu’une partie de la population n’a pas accès aux meilleurs films français. Paris est le centre de l’exploitation française, tout y passe, et c’est un problème que le reste du pays n’ait pas le même accès aux films. Ceci est un facteur du désintérêt ou de la méconnaissance de ce qui se fait en France. Ce facteur cause un autre problème, celle du prix du billet en France. La vérité est qu’en moyenne, le ticket reste à moins de 7 euros l’entrée. Mais ce prix est souvent celui du cinéma de quartier, le petit cinéma indépendant. Les gros complexes tels qu’UGC, Pathé, Gaumont ont des prix plus élevés. Et si vous habitez en périphérie, c’est parfois la seule solution. D’où cette idée reçue que la salle est devenue très chère, alors que le prix stagne depuis des années. Toutefois:
Carte UGC illimité : 21,9eu/mois.
Carte Cinépass Pathé-Gaumont : 19,9eu/mois
Carte 5 MK2 pour 34,5eu, soit 6,9eu la place
Megarama : 5 places pour 34€ (soit 6.80€ la place), 10 places pour 64€ (soit 6.40€ la place), 15 places pour 90€ (soit 6€ la place)
Tous les cinémas, complexes ou de quartiers ont des réductions/avantages selon votre situation. Si vous aimez le cinéma, il y a toujours des solutions. Si vous allez 2 fois au cinéma par mois, la carte vaut le coup. Un coup à faire serait peut-être de proposer des packs familles pour ces grands complexes (4 places pour 25 euros par exemple). Parce qu’on connaît la fièvre du cinéma, plus on y va, plus on y va. Actuellement, Netflix va de 8,99eu/mois (qualité médiocre) à 17,99eu/mois (qualité optimale), quand il ne propose pas son catalogue avec publicité à 5,99eu/mois… Disney + c’est 90eu/an, Prime c’est 70eu/an. Très souvent, on accumule les plateformes. Alors, arrêtons deux minutes de mentir sur le prix réel du cinéma. Posez-vous aussi la question de l’offre. Sur Netflix, la plupart des séries se trouvaient déjà ailleurs. Leurs contenus originaux souffrent grandement en termes de qualité. Hormis Mindhunter, The Crown, Bojack Horseman, The OA, Master Of None, et dans une moindre mesure Stranger Things, OSTNB, Squid Game, Sense8… Bon. Je veux bien Netflix & Chill mais on fait vite le tour, on se rend vite à l’évidence qu’il y a un manque. Si vous êtes cinéphile, force est de constater qu’il faut se tourner vers MUBI, La Cinetek, FilmoTV…
Il y a tout un discours paradoxal qui gagne du terrain. L’offre cinéma en salles n’a jamais été aussi grande et large, alors que le bouquet cinéma de Netflix est risible quand il n’est pas consensuel (les mêmes films partout, les mêmes listes limitées). Mais pourtant, l’inconscient collectif du Netflix plus rentable gagne. Il y a toute une rééducation à revoir. L’image doit être présente dès le plus jeune âge à l’école, savoir analyser et regarder une image de cinéma, revaloriser l’expérience collective d’une salle (qui n’a aucune autre comparaison). Et surtout, surtout, revaloriser notre cinéma. Il y a de toute évidence une bataille de communication qui est en train d’être gagnée de l’autre côté, celle des ignorants, des libéraux biberonnés aux franchises.
Il faut rappeler une chose importante. Le cinéma est aussi un art. Il est le produit d’une vision, d’une idée, de formes intellectuelles d’un.e artiste. Le cinéma n’a pas à être rentable ou n’a pas à rendre des comptes à son public. C’est au public de voir, et d’écouter. C’est au public de se laisser surprendre, de se laisser choquer, de se laisser aller à l’émotion proposée. On ne va pas au cinéma pour suivre une ligne directrice, on ne peut pas y aller pour être seulement conforté dans nos habitudes de visionnage. On y va pour se perdre. Et peut-être pour ressortir changé. Le public doit être actif, pur divertissement ou non.
On ne fait pas de films de super-héros en France ? On ne fait pas de films d’actions ? On ne fait pas de films de science-fiction ? Laissons les autres faire, ils le font très bien. Nous, on propose autre chose. Y a de la place pour tout le monde. J’en profite pour pointer une chose que j’entends souvent : ‘Mais t’as vu le cinéma coréen ? Ils n’ont aucun navet, que des bangers.’ Oh garçon… T’as vu Parasite, Old Boy et Dernier Train pour Busan et ça te suffit à juger la production national ? Faut avoir une chose en tête : Les films étrangers qui sortent dans nos salles sont supposés être les meilleurs films de nos voisins. Quel serait l’intérêt de diffuser leurs navets ? On a les nôtres, tout va bien. Le cinéma mondial est gorgé de très mauvais films. Les coréens en font aussi, tout le monde. Seuls les bons viennent à nous. Arrêtons de glorifier un cinéma qu’on ne connaît que par éclats par-ci par-là. J’suis sûr qu’en Corée du Sud, ils disent la même chose de nos films. ‘T’as vu Holy Motors, L’Inconnu du Lac ou Mektoub my Love ? Ils n’ont aucun navet, que des bangers’.
Le cinéma français doit continuer à être protégé, rester une exception et être un phare pour le reste de la production mondiale. Un pays sans cinéma est un pays en danger. L’Italie, qui avait l’un des meilleurs cinémas au monde, a aujourd’hui un paysage cinématographique dévasté, faute aux politiques libérales. Une population sans images cinématographiques est une population démunie, fragilisée, en proie aux images concurrentes, parasites, celles sans idées. Le reste du monde envie notre système car il est un savant mélange d’équilibriste, entre son poids commercial et sa portée artistique. Imparfait ? Peut-être. Mais c’est le meilleur. Et tout le monde y gagne.