Alors qu’il était au dernier Boot Camp organisé par Trempo en tant que mentor, nous nous sommes entretenu avec Shkyd, auteur, producteur, interprète, DJ, journaliste, rien que ça.

Avant de commencer à discuter plus amplement sur ta présence ici et ses raisons, peux-tu nous dire où nous sommes et que fait-on ici ?

Nous sommes à Trempo, une salle des musiques actuelles, où à la fois des concerts, des spectacles et des accompagnements ont lieu. Il y a également des studios d’enregistrement.

Dans quel cadre es-tu venu ici ?

Moi je suis là dans le cadre de ce qu’on nomme le Boot Camp. Je viens pour la troisième année consécutive. Ils s’agit d’un accompagnement avec des interprètes et des beatmakers. On dispose de trois jours pour apprendre à créer et prendre en main des logiciels. Le deuxième et troisième jour on enregistre les titres sur lesquels on s’est mit d’accord et enfin une équipe de tournage vient capturer des images !

Quel est donc ton rôle ici ?

Moi j’ai un petit peu le rôle de Robin Williams dans Le cercle des poètes disparus  (rire)

Oh captain my captain

Voilà exactement (rire). Non plus sérieusement, je fais de l’introduction aux logiciels de composition et d’enregistrement. Je fais référence au film car je tiens à mettre en avant une forme de poésie dans ces outils. Ça reste des approches créatives, on peut faire des choses intéressantes avec des machines qui ont l’air très froides de prime abord. En réalité je fais un travail qui s’apparente à de la réalisation. Ensuite on ajuste ensemble, comment construire, recaler un flow, une auto tune : je suis dans une posture de coach artistique. 

Tu te sens sens à l’aise là dedans ?

C’est génial ! Je pense que la figure des artistes est souvent solitaire, tu as souvent juste besoin qu’on te donne confiance. J’aime bien avoir cette fonction. J’ai beaucoup appris de manière solitaire, via des tutos, mais finalement ça va bien plus vite quand quelqu’un te l’explique. Je suis content d’être ce quelqu’un. Donner accès à ces outils c’est vraiment important. Ce Boot Camp est également un accélérateur personnel, un accélérateur local, tu peux te réunir autour d’une passion spécifique, comme ici le rap. Pour te donner un exemple, hier soir j’étais avec un collectif qui s’appelle Le Cluster, qui s’est formé il y a deux ans en Boot Camp, et qui poursuit un travail en commun. C’est vraiment très enrichissant. Ça sert surtout à ça le Boot Camp. Ensuite j’imagine que ça peut avoir un impact de confiance et d’envie, d’aller plus loin que la Loire Atlantique…

Tout type de niveau se rencontre ?

Tout à fait. À la fois des personnes qui n’ont jamais touché un logiciel, comme des personnes aguerries qui ont été formé. Le rap aujourd’hui est très riches, donc on a face à nous cette pluralité. On a de la trap, de la drill, de la pop, quelque chose de très sombre à la Suicide Boyz, et enfin un morceau ensoleillé. On a un panel très varié, et surtout, naturellement varié.

Y-a-t-il aussi un travail autour de l’écriture ?

Mon intervention n’est pas profondément sur l’écriture. Parfois je donne des conseils sur du renforcement de certains couplets, de changer l’ordre du titre, ou encore des conseils du type cette rime est un peu facile, creuse toi un peu la tête. 

Au delà de cette posture de coach artistique, tu en as de multiples autres. Est-ce que ça te paraît évident de transmettre ton expérience ? 

De ouf. Ça me paraît même essentiel. C’est presque philosophique. Les métiers créatif tu peux te dire qu’ils n’ont pas de sens vis-à-vis d’autres professions comme médecin ou avocat. Quand tu fais quelque chose de créatif, c’est relativement égoïste au fond.

Dans mon approche je ne me sentirais pas bien de juste créer. C’est ma manière de rendre à l’univers quelque part. Je me sens  moins coupable quand je suis en studio avec des artistes, j’ai l’impression de faire partie d’un cercle vertueux. Je crois au fait que tout peut se transformer. Issu du Boot Camp je suis toujours en contact avec des artistes. Pour moi ici c’est une façon de transmettre, mais aussi d’apprendre. Le rap est un genre musical dans lequel tu peux devenir ringard très vite. Personnellement, je sais que 2022 c’est l’année où je le deviens. Mais ce n’est pas grave. Il y a des choses qui ne me parle pas du tout, mais ça m’intéresse de comprendre comment on le fait tout de même. Au début du Boot Camp je prend toujours le temps d’interagir avec les autres pour savoir ce qu’ils écoutent, c’est une cure de jouvence pour moi quelque part.

Est-ce que finalement ce n’est pas ça « ne pas être ringard » ? D’avouer qu’on sent ne plus être “dans le coup” ? 

Ouais bien sûr. Je pense qu’il y a de ça. Tu sais le rap évolue mais cela reste de la musique faite pour les jeunes. Je trouve ça donc essentiel de transmettre des compétences « aux jeunes » qui eux sont réellement en phase avec l’électricité du monde. Moi je suis capable de faire beaucoup de chose, mais je n’ai pas 20 ans. Et avoir 20 ans dans la musique c’est essentiel. Le public a très souvent cet âge et se reconnaît dans un ou une artiste qui lui transmet les mêmes émotions.

Cette culture de la transmission, tu penses l’avoir développé par ce que c’est aussi un procédé qui serait inhérent au rap ?

Je ne saurais pas dire. Je pense que c’est important de diversifier ses activités. Être en studio seul m’ennuie vite. Hier je suis arrivé en ne connaissant personne, et là en 3 jours il faut que je trouve de l’énergie dans 11 artistes, en parvenant à les motiver, à leur faire confiance, à respecter un timing. C’est contraignant mais c’est excitant ! Là, jour 2, on a 0 morceaux enregistrés, dans 24h on doit en avoir 11, c’est hyper stimulant (rire). Mais je sais qu’on va le faire.

Travailler avec des contraintes ne te fais pas peur du tout ?

Non c’est la base la contrainte. Il n’y a que dans la contrainte qu’on peut faire de la véritable création. Rick Rubin disait que ce qui compte c’est d’avoir tous les feutres de chaque couleur mais de ne pas tous les utiliser.

Avant de se quitter, je voulais parler un peu avec toi de ton action militante au niveau de la musique. Peux-tu nous en dire un peu plus sur ce que tu fais dans ce cadre-ci et pourquoi c’est important pour toi ?

Mon propos ici, c’est que les nouvelles esthétiques et les nouveaux artistes doivent être conscient de l’industrie dans laquelle ils s’inscrivent. Prendre à bras le corps les outils et les institutions, c’est très important, il y a un pont qui doit être fait entre d’un côté l’Etat et d’un autre les artistes. D’un côté il y a des institutions qui n’ont aucun problème avec le rap mais qui n’ont parfois pas les canaux de communication pour traiter avec les artistes, et de l’autre côté, tu as une poignée d’artistes qui connaît l’ensemble des aides possibles à la création. Parfois ce n’est pas le cas des artistes rap, surtout les plus jeunes. Donc ça forme de la désinformation. Il y a eu par exemple cet article de Ventes Rap sur cette histoire de « Taxe Anti Rap », bon ce n’est pas exactement ça. Mais comme ni les un ni les autres ne parlent ensemble, des tensions se créent toutes seules, souvent fondées sur rien. C’est aussi de la faute du CNM (Centre Nationale de la Musique), de ne pas savoir communiquer avec cette musique. J’en parle souvent avec eux. Ils doivent faire un plus gros effort de formation pour qu’ils montrent aux artistes ce qu’ils sont capables de faire. Savoir par quel canal il faut passer, comment on peut s’impliquer, sinon les choses ne vont pas avancer. Mais pour évoluer là dessus, les artistes doivent également s’impliquer de leur côté. C’est donc également pour ça que je suis heureux d’être présent sur ces trois jours, pour également tenter de sensibiliser autour de ces questions qui sont pour moi fondamentales.

Restitution du Boot Camp Hi Hop