Une histoire de geste avec HIBA

En l’espace d’un an, HIBA oscille entre être quasi triste et être presque heureux. Si le duo strasbourgeois a toujours affirmé ses goûts pour les musiques, ils sentent que le projet presque heureux s’annonce comme un nouvel arc. Étant accompagnés de kahnji pour le projet quasi triste, c’est le producteur Lyes Kaci qui harmonise presque heureux. Se distinguant à travers une écriture singulière, ça été l’occasion de revenir sur leur processus de création ainsi que l’importance du geste dans une démarche artistique. Rencontre.

Sur le morceau “Plantes grasses”, vous dites vouloir faire un album live. Qu’est-ce qui fait que vous n’avez pas encore proposé cela ?

Isma : C’est vraiment cette histoire de geste qui est importante. Parce qu’en soi, on est allé dans un studio où on aurait pu enregistrer tout en live. En réalité, on aurait pu le faire. Mais il y a effectivement cette histoire de geste, cette histoire de temporalité. Est-ce que c’est le moment pour toi ; est-ce que c’est la sonorité que tu as envie d’avoir. Les moyens ne sont pas que financiers, il y a aussi nos capacités de l’assumer et le porter. Et je pense que ce n’était pas encore le projet où on avait envie de porter ça.

Liam : C’est une question d’identifier le son que tu veux proposer. On est dans un monde où tu peux avoir le son que tu veux. Il y a un truc maintenant avec l’accès à la musique où tu pourrais avoir une carrière reggaeton en France, ça ne paraît pas impossible.

Il y a beaucoup sur la manière dont c’est flippé(1) et c’est rendu en prod. Comment un sample est flippé. Sur ce projet-là il n’y a pas trop de flip. C’est vraiment notre projet le plus joué. C’est-à-dire que la ligne de basse que tu entends sur plusieurs morceaux a vraiment été jouée de A à Z.

Vous parliez de garder un geste rap malgré une proposition musicale plus variée. Est-ce qu’il y a eu une réflexion sur la musique vous proposez sans forcément qu’elle soit jugée sur la technique ou des critères plus classiques d’un rappeur ?

Isma : Il y a totalement eu une réflexion sur la direction du projet. Pour tout te dire, quasi triste et presque heureux naissent du fait qu’on a des sons avec chacun des producteurs qui ont une patte particulière (Lyes Kaci ou kahnji). Pour quasi triste, on pourrait dire une touche globalement électronique avec un semblant d’hyperpop. Je n’estime pas que ce soit un projet hyperpop mais avec des techniques qui viennent de l’hyperpop. Et pour Lyes c’était tout ce côté indie rock. On commençait à avoir pas mal de morceaux indie rock, et on savait qu’en tant que HIBA, ce n’était pas forcément la musique qu’on voulait présenter seul.

Liam : Les projets sont plus nés de la réflexion de : « ce son-là n’est pas exactement le mien, comment je fais pour quand même le faire exister ». On s’est un peu délaissé de musique qu’on a toujours souhaité faire, qui n’allait pas toujours dans une cohérence sonore.

Isma : Par rapport à la technicité, on s’en est très vite écarté. De la musique en général, je ne pense pas forcément au rap. On fait vraiment partie de l’école : la technique au service du propos. Ce que tu racontes c’est plus important que ta technique. La musicalité aussi avant la technique. Dans notre sensibilité musicale, on est plus touché par le son et ce qui est raconté que par une prouesse technique.

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Vous vous distinguez à travers une écriture propre en abordant des angles différents ou en portant l’attention sur des détails du quotidien. Avez-vous une rigueur dans votre écriture, et comment se passe ce processus ?

Liam : On est de plus en plus rigoureux en vrai. Plus on écrit, plus on fait attention à ce qui est écrit. On ne va pas aller chercher la rime ou le rythme qui permet d’avancer. Il peut y avoir ce côté-là où tu veux aller à la suite de la chanson. Le truc un peu musical qui mange sur le côté auteur de si je trouve cette phase je peux passer au pont ou un truc comme ça. Alors qu’en vrai c’est fou comment chaque mot compte. Et comment la musique peut retenir de l’attention, le texte c’est pareil. Si chaque phrase à un impact, si chaque phrase parle, tu maintiens l’attention de l’auditeur et c’est gagné.

Isma : Sur la rigueur, on attache de l’importance à l’écriture et en même temps on fait ce travail de lâcher prise. Le problème en étant très rigoureux, c’est que ça peut te coincer. On est rigoureux avec une envie de parler de pas mal de choses. On ne va pas forcément se poser avec un bout de papier, on fait beaucoup de phase par phase. On fait beaucoup d’improvisation devant le micro. On est quand même passé par toute une phase d’écriture où on écrivait sur papier. Ça revient sur ta question de tout à l’heure sur la technique,  c’est pareil pour la technique de rime, pour la technique de flow. Il faut quand même que tu passes par le centre d’entraînement.

L’important c’est de capter quel est le meilleur format d’écriture pour le morceau que tu es en train d’écrire. C’est valable pour d’autre pans de la création. Comprendre le meilleur contexte, le meilleur outil pour faire ce son en particulier. Et nous c’est cette liberté qu’on prône, on essaye d’enlever la recette.

Avez-vous des références en particulier d’artistes dont vous appréciez l’écriture ?

Liam : Isha !

Isma : Dans les derniers mois, il y a Ptite Soeur et Femtogo. On découvre H JeuneCrack avec 1er Cycle, il y a quelque chose de frais.

Liam : J’aime bien l’écriture de ​​tommy moisi.

Isma : TH ! Il y a Gen aussi. Que je trouve très chaud. Et Luther.

Liam : Et j’ajouterais Anne Sylvestre. Elle est trop drôle, trop forte. Des thématiques trop intéressantes. Elle a une superbe chanson sur l’amitié mix et la compétition qui peut exister avec les femmes (« Thérèse », ndlr).

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Qu’est-ce qui est plus simple à écrire entre un projet comme quasi triste ou presque heureux ?

Liam : La tristesse je trouve ça plus simple à raconter. J’ai plus de morceaux références tristes et bien écrits.

Isma : Écrire le fait d’être presque heureux c’est plus dur que d’écrire sur le fait d’être quasi triste.

Donc vous proposez deux remix avec le morceau “fokjedanse” avec une version sad et une version happi.

Isma : Si tu veux savoir, il y a deux autres versions de ce morceau qui existent avant la version remix. Et c’est pour cela que ça s’appelle remix. 

Même si dans le titre ce sont deux EPs qui se répondent, on avait vraiment à cœur de mettre le plus de liens possible. On voulait qu’il y ait le plus d’éléments pour que les gens comprennent qu’il y ait un lien.

Vous avez aussi un profil caché sur Spotify : hibarchives. Habituellement les artistes publient leurs archives sur SoundCloud, mais vous préféreriez publier sur Spotify.

Isma : On a vu des rappeurs américains faire ça et on s’est dit que c’était trop intelligent. Ça permet de publier de la musique que tu n’aurais peut-être pas publiée en temps normal. Donc un peu comme sur SoundCloud. Le seul truc qui est cool c’est que ça fait un peu un lien entre tes deux comptes.

Liam : On est pas encore actif dessus. Ça trouve souvent un lien avec une annonce qu’on peut faire.

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Est-ce que vous avez eu des albums de chevet pour la création de presque heureux ?

Isma : Bakar numéro 1 !

Liam : En fait on écoute beaucoup de post-punk. Un peu d’Arctic Monkeys mais ça ne se sent pas dans le projet.

Isma : Il y a eu Dijon !

Vous êtes originaire de Strasbourg. Plusieurs noms se sont dernièrement distingués avec Kay the Prodigy ou kahnji. Est-ce que vous trouvez cela essentiel de s’exporter vers la capitale pour faire rayonner sa ville ?

Liam : Je ne pense pas que ce soit essentiel.

Isma : Je ne suis pas d’accord. On en a parlé récemment avec Kahnji, ça dépend. Ce n’est pas impossible de le faire depuis Strasbourg, et de rayonner depuis Strasbourg. Cependant il y a un vrai effet de levier de quand tu deviens un nom qui commence à se faire à Paris, à Strasbourg ton statut change.

Liam : Personnellement, là où paris à le plus impacter c’est avoir du goût. Même si c’est une notion problématique sur la notion de goût. Je m’en rends compte avec les enfants parisiens que je connais et qui ont déjà un bagage théorique sur la musique. Qui est beaucoup plus avancé que moi quand j’avais leur âge. Mais comme j’ai dit c’est un mépris de classe parce que la musique qui se fait à Strasbourg est très bonne depuis longtemps. Ce n’est pas depuis notre génération qu’il y a de la bonne musique à Strasbourg. Après c’est qu’il y a une densité d’offres, que ce soit des labels, des concerts, des musiciens en général. Tu pourras toujours faire quelque chose à Paris là où à Strasbourg tu peux rapidement te sentir enfermé.

Mais ça me donne envie de réinvestir Strasbourg d’une manière… Le mieux serait avec un lieu. C’est quand même ce qu’il y a de plus efficace dans la musique, ouvrir un espace.

Mais j’ai quand même envie de dire que ce n’est pas essentiel. J’ai envie de dire que ça joue un rôle assez fou d’être à Paris.

Isma : Ça dépend de ton énergie. Il ne faut pas monter à Paris en te disant que c’est pour percer. Ce n’est pas vrai. Par contre, si tu vas à Paris pour l’énergie créative avec les artistes, les compositeurs, les concerts. Ça, c’est la bonne raison.

(1)Flippé un sample correspond à la manière dont le sample est utilisé. La manière dont il est découpé, pitché, l’accéléré. C’est tout ce qui permet au sample d’en faire une autre chanson.