Aujourd’hui Isha est au stade trois et conclut cette première année de la décennie avec le troisième volet de La Vie Augmente. Le premier volume remonte à 2017, une année bénéfique pour l’effervescence du rap belge. Une occasion que l’auteur de Tony Hawk ne manqua pas de saisir, abandonnant son ancien blase Psmaker pour un à deux syllabes, son prénom.
Dès les premières minutes de La Vie augmente vol.1, Isha se distingue. Racontant son vécu à travers des mots bruts et lourds de sens. Très spontané, il ne revient jamais sur ses textes, sa manière d’écrire reflète sa personnalité. L’artiste belge propose un discours inhabituel sur des sujets connus, tournés sous des axes différents, « j’ai fait un morceau où je me mets dans la peau d’un type que sa copine trompe. La plupart des MCs préfèrent incarner le type qui trompe sa copine. Pas le contraire », disait-il aux Inrocks.
Cette différence il souhaite également la démontrer à travers un discours pouvant paraitre fataliste bien qu’il se concentre beaucoup sur le réalisme. Se basant sur l’apprentissage des difficultés, il souhaite montrer que ce n’est pas forcément bénéfique de constamment chercher ce qu’il y a de mauvais dans le monde. Il faut se concentrer sur les choses positives. Un discours rejoignant l’outro du morceau Trajectoire de Népal tiré d’un passage de Nassim Haramein. Malgré les crasses, les injustices […]on ne peut pas changer notre pays, notre ville, notre quartier… On ne peut rien changer. Certaines choses peuvent changer: la vie de nos proches, celle de notre entourage et évidemment la nôtre. C’est encourageant de se battre pour des causes, mais en vrai, cela ne va rien changer. L’être humain a une nature et ce n’est pas en manifestant dans les rues qu’on la changera. Quelques habitudes peuvent se voir modifiées, mais la nature elle, ne changera pas. Pour pallier il faut se battre. Se battre chacun sur ce qu’il y a devant nous. Enfin l’effet domino opèrera.
Isha est un rappeur très à l’ancienne, se targuant même dès le début de LVA3, de prendre « l’flow à Biggie » pour rapper comme un new-yorkais. Une passion pour la culture Hip-Hop qu’il défend depuis toujours face à ces journalistes « à deux balles, qui tiennent des propos grotesques » et ces nouveaux amateurs qui écoutaient Tokyo Hotel avant que le rap soit à la mode. L’artiste de Bruxelles a ses références, et on les distingue notamment dans le morceau Chaud devant avec « On dit qu’c’est une course de fond, je sais qu’c’est pas un rallye » en parlant du rap. Cette phase fait probablement écho à Pit Baccardi dans On fait les choses des Neg’ Marrons qui disaient déjà : « Le rap c’est un moyen pas une fin ni un sprint mais une course de fond ».
L’artiste utilise souvent la première personne du singulier dans ses morceaux, une remarque qu’il n’avait pas manqué de soulever lors de son entretien avec Fernando de Amorim pour l’émission Thérapie de Viceland. Pourtant, comme il le dit dans Passage à niveau#1 « J’suis bon qu’à raconter ma life”, et cette life n’a d’autre moyen que d’être illustrée par le je ». Si ce n’est par les autres, comme il a essayé le temps du quatrième morceau du projet, Les magiciens. Le rappeur de 33 ans parle du Christ et de la colonisation à travers la métaphore du magicien. Ces magiciens qu’il répète dans un refrain vibrant, sont les colons, ayant fait preuve de magie par la manipulation afin d’assouvir la religion chrétienne, ceux qui ont pillé l’Afrique pour enrichir leurs pays, souhaitant que leurs vies augmentent. Mais ce n’est pas en écrasant que l’on parviendra à briller. Cet amour à l’égard de la religion chrétienne s’étalera des années après. Isha Pilipili se dit être un produit de l’esclavage, mais pas seulement, par sa nationalité Congolais-Belge qui relève un vécu ancré dans ses gènes, mais également par un père historien, spécialisé dans l’histoire du Congo.
Cette figure de style révèle de la métaphore filée et ce n’est pas la première fois qu’il l’utilise pour symboliser un élément marqueur dans sa vie. Il y eu le frigo américain sur le premier volume. Le texte était lui aussi construit de métaphores mais plus facile à comprendre à travers le titre. L’esclavage est un thème que l’on retrouve fréquemment dans ses paroles ; « RDC, nous, nos pères ont été élevés par des prêtres » dans Durag ou bien « L’histoire, elle est douloureuse, l’héritage, il est colonial » dans Décorer les murs avec Sofiane Pamart. L’artiste flamand avait rendu hommage au Congo avec 243 Mafia et un autre rappeur, Makala, lui aussi originaire de la RDC.
Cinq titres plus tard, avec Coco, il personnifie la cocaïne, racontant à cette dernière, les déboires qu’il a rencontré à cause d’elle.La personnification n’est pas si récurrente dans le rap. On peut penser à Ninho qui personnifie la rue et son quotidien en femme à travers le morceau Elle m’a eu, mais également à Vald avec Ma meilleure amie qui personnifie plusieurs drogues par une métaphore filée. Le côté mélodieux qu’il a timidement apporté avec LVA2 n’est maintenant plus un complexe comme le prouve les deux morceaux précédemment cités.
Pour ce qui est des collaborations Isha a choisi de s’entourer des meilleurs de cette époque. Dinos, PLK et Green Montana, qu’on écoutait dans la gova. Mais il y a tout de même un quatrième featuring qui se fait discret, de douces touches noires et blanches pour le dernier morceau, avec Sofiane Pamart sur Décorer les murs.
Du double morceau Frigo américain jusqu’à Décorer les murs en passant par La maladie mangeuse de chair, Isha rend toujours le dixième morceau des LVA mélancolique. C’en est de même pour les covers, d’une photo en argentique à un crâne façon Terminator en passant pas une simple radio. Ces pochettes gardent un fil rouge, celui de mettre en scène ce sourire forcé dévoilant les dents du bonheur de l’artiste, un signe montrant une progression vers l’augmentation. A l’origine du premier volume avec une idée de O’Nonto Zaman et une photo de Hamza Seriak, cette direction artistique a su se préserver et être la marque de fabrique de La vie augmente. En revanche, ce que l’on ne retrouve pas sur le projet est le morceau éponyme, une habitude qu’on avait commencé à prendre avec les deux premiers volumes. Mais ce n’est qu’un détail.
L’ancien Psmaker aime lorsqu’il flirte avec la misère. C’est avec elle que les choses deviennent belles, lorsque la technique est primitive. Alors il préfère la simplicité, là où il sait comment opère la magie. C’est donc dans le studio Minimalist qu’il s’est claustré pour créer. Puis le projet n’aurait pas résonné de cette manière si Nk.F ne l’avait pas arrangé, mixé et masterisé.
Le choix des producteurs, l’auteur des LVA y met un point d’honneur. Par cette indulgence, La Vie Augmente, volume 3 pourrait même s’écouter sans paroles à tel point les instrumentaux sont agréables. Là où les deux premiers volumes étaient produits par une petite dizaine de producteurs, Isha Pilipili a choisi de s’entourer d’une douzaine de producteurs pour ce troisième opus. Des habitués comme BBL et Eazy Dew, mais également la première collaboration avec le collectif KatrinaSquad, où l’artiste belge s’est rendu dans leurs studios à Toulouse pour composer le morceau Les magiciens. Pour l’anecdote, ce fut la première fois qu’il sortait de son confort, celui d’écrire tranquillement chez lui, sans cette pression qui pouvait l’apeurer.
La Vie Augmente Vol.3 conclut correctement la trilogie, comme on a peu l’habitude de voir. Le deuxième est souvent attendu au tournant après la réussite du premier. Loin de l’échec du troisième d’une saga, ce volume est aussi réussi que le dernier Parrain. Isha a su mettre à profit son apprentissage tout au long de ses projets et il est fin prêt à livrer son premier album. D’après un entretien avec le magazine LARSEN, le LP devrait arriver cette année, à l’approche des rayons de soleil de l’été. Néanmoins l’auteur de Mp2m se verrait bien en faire un quatrième, lui qui disait être possédé « par le cow-boy et l’astronaute dans Toy Story », ses projets seront aussi réussis que cette saga culte.
C’est un discours qu’il mène avec lui sous l’acronyme LVA pour La Vie augmente. L’augmentation est vitale mais il ne faut pas oublier d’apprécier le moment. Ça s’apprend, et pour cela, il faut beaucoup de patience. L’augmentation n’est jamais finie.