Jenny Hval fait de l’amour un cas pratique

Avec une précision plus ou moins assumée, plus ou moins délicate, l’amour depuis à peu près toujours est l’inspiration principale d’un certain nombre de créations artistiques. The Practice of Love de Jenny Hval n’a pas la prétention de révolutionner sa perception ni ses ressentis, simplement de parler de ses modes d’exécution, ses réalités quotidiennes. Tout au long de son travail, de ses sept albums, l’artiste norvégienne s’est toujours positionnée dans une avant-garde au féminisme bien assumé. Blood Bitch, son album sorti en 2016 racontait le voyage dans le temps effectué par un personnage vampiresque dans lequel le sang n’était autre que celui des menstruations. Apocalypse, Girl sorti en 2015 se posait déjà les questions du genre, de la domestication, de la sexualité.

Il y a toujours un aspect assez mystique dans la musique de Jenny Hval, une prise de distance, un flou qui rend tout un peu plus profond, un peu plus introspectif. C’est probablement son traitement des voix qui donne cet effet, des voix mises en écho, superposées à d’autres voix beaucoup plus narratives et claires comme sur le titre Lions avec Vivian Wang qui ouvre l’album. The Practice of Love n’est pas son album le plus expérimental. C’est un album interrogateur, observateur, moderne qui se pose la question de la définition de l’amour: doit-il passer par la procréation, doit il passer par l’obsession, l’addiction, la dévotion? Dans sa démarche le mot love se veut comme un verbe d’action et non un sentiment que l’on ressent ou que l’on subit parfois, pas directement dirigé vers l’autre et pourtant c’est probablement un des albums les plus humains de la norvégienne.

Si la thématique est unique, les sonorités elles sont d’une diversité et d’une richesse admirables. High Alice va faire intervenir des sonorités à la limite du trip-hop, un parfum de pop des années 90 se développe en toute discrétion au long des 8 titres de cet album, l’IDM (Intelligent Dance Music) fait parfois des percées avec un titre comme Six Red Cannas. Jenny Hval a donné une importance toute particulière aux synthés dans cet album, le rendant abordable, grand public quand l’approche et la démarche de la norvégienne pouvaient avoir quelque chose d’un peu élitiste. Il n’y a que trois femmes sur cet album mais chacune d’elle s’inscrit dans une démarche artistique multiforme, engagée et expérimentale. On retrouve notamment la présence de l’écrivaine/musicienne/poétesse française Félicia Atkinson, Vivian Wang venant d’une formation piano classique ou l’artiste australienne Laura Jean, habituée des grands ensembles orchestraux.

Interrogée sur sa démarche artistique pour ce nouvel opus, Jenny Hval répondait ceci: “I’ve wanted to explore how otherness deals with the big, broad themes. I’ve wanted to ask big questions, like: What is our job as a member of the human race? Do we have to accept this job, and if we don’t, does the pressure to be normal ever stop?”. De mon point de vue la pression pour être normal(e) ne s’arrête jamais. Cela ne signifie pas qu’il faille y céder, cela signifie que si en façade on peut réussir à l’être durant un certain temps, il existe des espaces temps qui vous font comprendre que votre originalité à sa place, que vous pouvez être différent et dans un certain sens c’est ce que cet album fait ressentir. Le fait que l’inadéquation que vous pouvez ressentir est simplement dû au fait que l’environnement dans lequel vous êtes n’est pas le vôtre mais que celui-ci existe bien et il se décline sur 8 pistes.