Joysad, entre deux entités

En l’espace d’un an et demi, l’artiste de Périgueux nous a livré ses deux premiers EP, Fernandez et Palindrome, puis son premier album Espace Temps le 10 septembre dernier. L’occasion de prouver qu’il est toujours aussi habile dans l’exercice du storytelling comme le démontrent les morceaux Diego ou Mostaganem. Un premier album accompagné d’un court-métrage avec la collaboration du collectif Exit Void. L’occasion pour nous de lui poser quelques questions sur tout ça, mais aussi sur sa vie d’artiste. 

Cette dernière année, tu as été plutôt actif avec deux EP, et ton premier album Espace Temps qui sort demain. As-tu remarqué une évolution dans le processus créatif avec cet album ?

Oui, je pense qu’il y a eu une évolution créative dans le sens où je me pose beaucoup moins de questions techniques. Maintenant, si je veux faire cet effet-là avec ma voix, je sais ce qu’il faut mettre dessus, je sais s’il faut doubler la piste ou pas. Alors qu’avant, je découvrais le studio, j’étais un freestyler. Pour l’EP, lors des premières séances studio, ça arrivait que je fasse des prises de voix d’une minute trente et je disais qu’elle était bonne, on me disait ” frérot, c’est le tour de chauffe “.

Avant, j’écrivais très vite, je posais très vite en studio et après je rebidouillais. Maintenant, je bidouille beaucoup moins à la fin de la session, par contre je sais où je vais, je fais moins d’erreurs. 

C’est un album que tu travailles depuis longtemps ou bien tu l’as commencé lorsque tu avais terminé ton dernier EP Palindrome ?

Il y a un morceau de l’album que je voulais garder, c’est Vrai Bandit. Je l’ai fait il y a un an et demi, je me suis dit que ce son était trop passe-partout et à l’époque il était au-dessus de tous les autres sons que j’avais pu faire. J’aimais bien l’univers de ce morceau, ça parle d’un mec qui se détruit. Ça collait parfaitement au drip, je parle du temps qui me glisse dessus aussi. Il était vraiment sur-mesure par rapport à l’album mais un an et demi avant. Sinon, tous les autres ont été faits directement après la sortie de Palindrome.

J’imagine que ces derniers mois ont été assez intenses, je voulais savoir si tu réussissais à optimiser ton temps ?

De toute façon oui parce que le studio ça coûte cher, puis pour pouvoir avoir le temps de faire ce que je veux c’est que je fais des séminaires. Pour l’album, on est parti en séminaire à quinze, que des mecs qui bossent. On n’est pas parti à la plage mais à Calais, dans une maison que j’avais interdiction de quitter, je n’avais même pas le droit de faire les courses.

Dans le premier titre C’est la guerre, tu parles de la difficulté de grandir en province, est-ce que très tôt tu t’es dit que tu avais un profil qui avait besoin de s’émanciper du schéma que ton environnement te proposait ?

Ce n’est pas que j’ai eu la déter mais j’ai été très opportuniste, que j’ai eu tellement de potes qui ont eu la déter et qui ont passé leur temps et leur argent dans des projets musicaux et n’ont juste pas trouvé la bonne rampe de lancement finalement. J’ai été très opportuniste avec 1minute2rap. Je pense déjà que j’ai eu de la chance et peut-être un brin de déter en plus mais je pense que la déter je l’ai eu une fois que ça mordait. Parce que tout le temps où j’ai patienté, c’était vraiment chiant, c’était dur parce que j’y ai passé beaucoup de temps, je n’allais pas à l’école. Au final, c’est un scénario classique, tous les mecs qui font du peu-ra sèchent les cours et vont aller kicker dans un parc ou avec leurs potes sous les enceintes. Clairement, jamais je ne me suis dit que j’avais plus de déter qu’un autre parce que je faisais la même chose que mes potes, j’ai juste saisi ces opportunités et je me suis fait entourer très vite aussi. J’ai eu Ricci (son manager – ndlr) près de moi très tôt. Ricci il a un flair de ouf, il a dit ” 1minute2rap dans un an c’est un million d’abonnés, je pense qu’il faut que tu casses tout maintenant parce qu’après ça va être de la merde “. Avant de signer avec lui il m’a dit ” écoute frérot, je ne te demande pas de signer avec moi, même toi tu ne connais pas tous ces bails de contrats, t’es en école d’éducateur spécialisé, t’es pas dans ça mais je te propose qu’on s’appelle tous les jours, tous les jours on se parle, je suis derrière toi, tu m’envoies tes morceaux je te dis ce que j’en pense et tu fais ce que je te dis au niveau de la publication ; si je te dis cette fois-ci faut que tu participes au tournoi tu le fais. Moi de toute façon je n’ai rien à dire par rapport à ta plume donc je ne dirais jamais rien artistiquement “. Lui, il voulait construire autour, il me disait que si je l’écoutais correctement j’allais avoir vingt-cinq mille abonnés en plus et finalement j’en ai pris cinquante mille. Aujourd’hui, il est toujours avec moi, on a renouvelé le contrat et on ne se lâchera pas.

Et tu penses que tu pourrais apporter quelque chose chez toi ?

Si un jour je réussis bien sûr. Mon manager avait eu l’idée avant moi de construire un studio par chez moi il n’y a pas si longtemps, puis il a préféré acheter un appartement (rires). J’étais dans plein d’associations quand j’étais petit donc faire une association pour quelque chose que je kiff le plus ça ne m’étonnerait même pas. Ça ne m’étonnera même pas que mes darons me forcent à faire ça.

Tu parles quelques fois de la manière de travailler seul comme dans C’est la guerre où tu dis « Ensemble on ira plus loin, c’est des conneries. J’avance bien plus vite depuis que je suis devenu égoïste », mais aussi dans Sans repère lorsque tu dis vouloir faire de l’argent seul. L’indépendance est un statut vers lequel tu te projettes ?

C’est vrai qu’on ne l’avait pas vraiment vu arriver, c’est quelque chose qui fait maintenant partie de ma vie. Le fait d’être méfiant, je dis égoïste mais en vrai je me méfie. Ça fait pratiquement deux ans que je suis dans le truc donc je sais comment prendre les informations, et ce n’est pas être égoïste mais vraiment faire attention à ceux qui nous baisent et ceux qui nous veulent du bien. Maintenant, c’est se méfier et éviter de gaspiller du temps avec des personnes qui veulent te niquer. Ceux qui me connaissent savent très bien que je n’ai pas changé.

Y a-t-il eu des œuvres qui ont pu t’inspirer pendant la création de l’album ?

Déjà il faut savoir que tout le personnage de Joysad est beaucoup inspiré du Joker. Tout ce qu’il y a autour de l’album est construit autour d’inspirations cinématographiques. Toute l’ambiance de l’album se réfère à celle du Joker, de Memento mais aussi du film The Voices. Ce sont principalement des ambiances comme ça qui m’inspirent. Puis, vu que j’ai toujours été tête en l’air je n’ai pas eu de mal à coller ma vie au personnage du Joker. Surtout dans le dernier album, c’est vraiment ma life. Mais contrairement aux deux EP où j’avais tendance à exagérer des traits, comme par exemple dans le storytelling dans Bac à la porte, aujourd’hui il n’y a plus ça parce que c’est vraiment copié tous les éléments qui m’appartiennent pour les coller à Joysad. C’est maintenant plus introspectif parce qu’il n’y a vraiment rien de faux.

Justement, tu as sorti ton court-métrage Trou Noir, d’où t’es venu l’idée de faire un court-métrage pour accompagner la sortie de l’album ?

L’idée vient qu’on voulait absolument accompagner l’album de quelque chose. Ça aurait pu être une tournée ou autre chose, il fallait que ce soit en contact avec le public et que ce soit dans l’image. Du coup l’option covid était le court-métrage. Le but était de créer un projet où l’on pouvait faire plein de variants dessus. Avec l’idée du court-métrage on pouvait le présenter au cinéma, si on nous le demande on peut le faire en festival. Au cinéma j’ai eu l’idée de faire un bord de scène pour avoir un contact avec le public, pouvoir échanger sur l’album. Je suis également à l’écriture du projet donc je suis vraiment content d’avoir trouvé cette variante d’accompagnement pour imager le projet. En plus, l’idée et le titre du film collent parfaitement à l’album. On a pu insérer des sons de l’album dans le film, toutes les musiques d’ambiance, c’est des prods de l’album qu’on a ralentis.

Tu penses qu’il y a des aspects où tu as pu aller plus loin dans le court-métrage que sur l’album ?

Bien sûr ! Comme je te l’expliquais dans le court-métrage ce n’est pas Joysad, c’est le personnage de Sacha. Mais ça reste un personnage qui a des troubles identiques à Joysad et je lui ai juste ajouté la maladie et la pathologie pour rendre l’ambiance plus profonde. Il y a trop de messages dans le court-métrage, j’aimerais tellement pouvoir commenter scènes par scènes et expliquer pourquoi il fait jour vers la fin.

C’est donc un court-métrage réalisé avec le collectif Exit Void, comment s’est passé la connexion avec eux ?

C’est Ricci qui les connaissait parce qu’il les avait appelés pour le clip Papel de JSX, JSX est chez La Piraterie (label de Booba – ndlr) donc chez Because (également le label de Joysad – ndlr), ça s’est fait automatiquement. 

On peut espérer d’autres collaborations à l’avenir ? 

Hier, j’ai entendu un de mes DA dire qu’il ne fallait pas laisser Exit Void de côté. 

Est-ce que le cinéma ou la réalisation pourrait être une autre forme d’art vers laquelle tu te dirigeais lorsque le rap t’auras suffisamment épanouie ?  

Ouais je pense que ce serait une sorte de suite logique ; ça commence au théâtre, ça fait de la musique puis après du cinéma. Je ne sais même pas où je serai dans un an, si ça se trouve je vais péter de ouf et jamais je pourrais décrocher de la musique, ça se trouve je ferai les deux, ou alors je ferai des vêtements. L’avantage quand tu fais du rap c’est que c’est possible de développer ce que tu veux autour, à partir du moment où tu as de l’influence.

Tu as invité Waybery pour le morceau Il avait les mots, c’est une artiste qui s’est aussi faite découvrir par 1minute2rap, c’était important pour toi d’inviter une personne issue de ce tremplin ?

Même pas ! C’est même Ricci qui m’a dit qu’elle avait fait des morceaux sur Instagram mais je ne savais pas. On a écouté plein de nouvelles chanteuses pas forcément connues, et la voix de Waybery collait trop bien à la douille qu’on voulait faire. La chanson de Sheryfa Luna à treize ans et n’a pas été reprise, il fallait vraiment le faire. 

Penses-tu qu’avec le développement des médias comme 1minute2rap, ce sera de moins en moins compliqué de se faire connaître en venant de province ?

Je pense même que maintenant qu’il y a 1minute2rap je ne sais pas si l’univers du freestyle sera autant exploité qu’il ne l’était à l’époque sur les médias. Il y a eu une grosse domination de 1minute2rap pendant deux ans et ça continue. Je pense qu’il y aura d’autres bails pour faire connaître les jeunes artistes parce que ça va s’élargir, qu’un jour on finira au même niveau que les States. Même à la vitesse dont évolue TikTok il va y avoir un nouveau média, je suis sur qu’il va y avoir une idée révolutionnaire.

Qu’est-ce qui a le plus changé chez toi depuis que tu fais du rap ?

Mes habitudes ! Je reste un bon branleur mais je me déter ; pour l’album je ne me suis jamais autant creusé la tête. Il y a le cercle d’amis qui s’est resserré aussi, sinon pas grand-chose.