LE CINÉMA DE SPIKE LEE

A 63 ans, il est temps de rendre grâce au génie de Spike Lee. Cinéaste précieux, essentiel et sous-estimé comparé à ses compères. 23 films, une production riche, éclectique et toujours engagée. De She’s Gotta Have It à Da 5 Bloods (les deux sont disponibles sur Netflix), le réalisateur de Brooklyn n’a jamais fait dans la complaisance et a réussi à créer une oeuvre d’une grande cohérence, puissante et toujours alerte.

Probablement le cinéaste noir le plus connu, il a eu un impact considérable sur toute une génération future de cinéastes. Avant lui, quelques exceptions à l’image de Sidney Poitier, Charles Burnett ou Gordon Parks. Mais c’est bien le cinéma de Spike Lee qui va révolutionner et ancrer la représentation des noirs au cinéma et amener un tout autre regard, longtemps absent ou invisible. Les années 90 vont ainsi voir l’avènement d’autres voix comme John Singleton ou Julie Dash. Aujourd’hui, l’héritage est visible chez Ava DuVernay, Barry Jenkins, Jordan Peele, Boots Riley, Lee Daniels, Steve McQueen…

Racisme, discrimination, colorisme, féminisme, pauvreté, politique sociale, représentation médiatique, tout y passe. Et la plupart du temps, ces thèmes s’entrecroisent et forment des mosaïques de luttes pour le cinéaste. La fraîcheur et la vigueur qui se dégagent de ses films proviennent de son indéfectible combat et de sa foi en la portée de son message. Non seulement ses scénarios sont furieusement investis mais c’est aussi le style esthétique qui caractérise la grandeur de Lee.

Des couleurs éclatantes de Do The Right Thing à la tragédie grecque pleine d’absurdité de Chi-Raq, en passant par les flottements des protagonistes à travers leur espace ou leur discours face-caméra, Spike Lee a crée un langage propre et immédiatement indissociable de son cinéma.

Son amour du verbe, de la poésie urbaine, de sa communauté et de la culture afro-américaine, tout est représenté avec amour, respect et fierté. Sa passion peut l’amener à remplir ses films, à en faire un trop-plein, comme si c’était constamment sa première oeuvre. Mais on en sort systématiquement conquis par la générosité qui nous a été montré.

Voici une liste non-exhaustive de ses meilleurs films :

She's Gotta Have it Gets Netflix Series Adaptation from Spike Lee ...

Avec SHE’S GOTTA HAVE IT, Spike Lee fait sa petite révolution. 1986, 1er film, Rashomon-style avec la multiplication des points de vue autour de la figure de Nola. Charme fou, représentations alternatives des masculinités noires, vision féministe d’un corps libre et indépendant. Tout est là pour confirmer la grandeur à venir.

Do the Right Thing : portrait de Spike Lee en cinéaste rebelle ...

DO THE RIGHT THING est son 1er chef-d’oeuvre. Un cocktail explosif de toutes les problématiques encore et toujours actuelles. Un film sur les violences policières, sur les considérations politiques entre activisme pacifique ou interventionnisme agressif, sur les tensions communautaires, les générations… Un espace qui contient le monde entier. C’est brillant et immanquable.

Jungle Fever de Spike Lee (1991), synopsis, casting, diffusions tv ...

Le génie de Spike Lee tient dans sa narration, aussi tentaculaire que limpide, entre modernité formelle et classicisme dramaturgique. JUNGLE FEVER est un autre grand film du cinéaste, puissamment politique, infiniment émouvant. Un film d’amour interraciale sur l’impossibilité d’un épanouissement. Subtilement, le réalisateur parle de plusieurs problématiques à travers les désirs de ses personnages, et comment le racisme tue jusqu’à l’amour.

Malcolm X - Spike Lee - Tortillapolis

L’évidence MALCOLM X. Un film-somme où éclate tout le souffle cinématographique contenu précédemment. Spike Lee a les pleins pouvoirs, le budget et le sujet parfait. Maestria totale de réalisation et de narration. Un immense film épique, compagnon de JFK d’Oliver Stone dans l’ambition et la portée esthétique. Ce qu’Hollywood est capable de faire de mieux avec tout l’amour et la cinéphilie visible du cinéaste.

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Grand film oublié, BAMBOOZLED doit être rattrapé et célébré comme l’un des meilleurs Spike Lee. Une satire brillante, pertinente et douloureuse sur l’entertainment, le minstrel show, le blackface.. Ou comment les noirs doivent avant tout amuser la galerie. Une pépite à voir asap. C’est là que Spike Lee est le roi. Lorsqu’il réduit sa fenêtre de tir sur une partie du problème et qu’il en sort toute sa colère et le politique qui y est rattaché.

The ruins and reckoning of 25th Hour / The Dissolve

25TH HOUR s’est imposé comme un classique moderne. Une traversée fantomale sous les regrets. La rage de Lee est contenue dans une douceur finale bouleversante. Un grand film de perte, le 11 Septembre en tête.

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Pauvres fous. Extraordinaire CHI-RAQ, largement et complètement mis de côté. Dans une résurgence de sa flamboyance période 90’s, cette pépite reprend les codes d’une satire du Grec ancien et en fait un conte moderne, puissant et brûlant. Une expérimentation précieuse.

BlacKkKlansman», ou comment Spike Lee s'attaque au Ku Klux Klan

BlacKkKlansman fait partie des propositions les plus fun du cinéaste. En prenant un sujet aussi sérieux, celui du KKK, il en fait une grande farce comme si on ne pouvait qu’en rire, jaune. Plein de malice et d’humour, Spike Lee n’oublie pas d’agrémenter son film d’images puissantes, notamment en faisant l’une de ses spécialités : Le contrepoint des images d’archives. Si tout le film fut une rigolade, le réalisateur n’oublie pas l’Histoire, et son présent.

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Puisqu’il ne faut pas qu’acclamer, j’attaquerais son dernier DA 5 BLOODS. Son dernier n’a ni la flamboyance de CHI-RAQ ni la force de propos de BLACKkKLANSMAN. Ce film est plus ambitieux mais est aussi plus confus, moins focus, assez disparate. Comme si il voulait s’attaquer à tout, très vite, sans rater une miette. Il y a une impression de précipitation, de gourmandise à être pertinent sur chaque scène. Et ça casse la fluidité du film. Un sujet est plus fort lorsqu’il s’attache à un ou deux thèmes. Comme un mémoire. Ça reste un imposant bloc. Si c’est foutraque, il y a de quoi sentir la passion et l’énergie qui anime Spike Lee. Rien que pour son esprit combatif, DA 5 BLOODS est à voir mais montre bien comment son cinéma peut être à la limite du trop-plein.

Sa filmographie est assez riche et complète pour trouver son bonheur. Le fait est qu’il arrive toujours à se réinventer et à garder l’étincelle du passionné. On aurait pu citer 4 Little Girls, Summer Of Sam, School Daze ou encore When The Levees Broke: A Requiem in Four Acts dans cette constante attention d’un réalisateur politisé et conscient. Quand la forme rejoint le fond, le cinéma en est le grand vainqueur. Spike Lee est un de ses grands artisans.