L’Étrange album de Monsieur Jey

Après une ride au travers d’un cyberpunk orchestré avec un certain génie sur Trinity, Laylow revient une nouvelle fois sur le devant de la scène rap en proposant L’Etrange histoire de Mr Anderson, un second album concept dans la jeune carrière de l’artiste français. 

Je sais que c’est l’été, que vous avez envie d’écouter du n’importe quoi, mais concentrons-nous “. Tout d’abord cette phrase parle d’elle-même, nul besoin d’y ajouter un commentaire. Par la suite nous aurons également le droit à une forme de règlement d’écoute de la part de l’artiste ( notamment pas d’écoute aléatoire….), effectivement la lecture dans l’ordre est un point central d’un album concept, jusqu’ici tout va bien.

A l’ère du streaming ce procédé peut être vu comme d’une grande originalité, mais il faut bien noter contrairement à l’immense effervescence qu’on peut lire ici et là que ce n’est pas un cas isolé : non Laylow n’a pas inventé l’album concept (The Wall / Dark Side Of The Moon / Ziggy Stardust, Ok Computer, To Pimp A Butterfly, JVLIVS et tant d’autres) comme on pouvait déjà plus ou moins l’entendre avec Trinity

Le retour flamboyant : 

Après un succès fulgurant et quasi unanime avec son projet précédent, Laylow revient avec un tout nouvel album, teasé avec un court-métrage. Il y développe un récit autour de l’autodétermination, l’importance de croire en soi et en son destin. Dans son court, Laylow tient un dialogue trivial avec le personnage de Mr. Anderson, une sorte d’alter ego créatif qui guiderait alors ses décisions et son psychisme depuis son plus jeune âge.

Le film est entièrement produit et réalisé par l’artiste et il faut l’avouer, il s’en sort très bien, néanmoins la triple casquette réalisation + production + acting ne porte pas ses fruits. En effet, le jeu n’est pas son plus grand fort, on aura par ailleurs l’occasion d’y revenir au moment d’aborder les interludes. 

Au-delà de cette considération, le pari est audacieux et remporté, déjà de par l’installation d’un véritable univers au service de l’artiste, une forme de rétrofuturisme constant et bien exécutée avec un pouvoir de projection assez fort, qui a toujours eu lieu chez Laylow. Là où c’est doublement audacieux c’est que le rappeur réalise de manière totalement artisanale ses œuvres et va au bout de ses idées, quelles qu’elles soient et il sera très difficile de lui reprocher ceci. En revanche ce qu’on peut dire sans crainte, c’est que ce n’est pas amené avec beaucoup de finesse et la morale de l’histoire, avant la parution du disque est déjà relativement perceptible : ne laissez personne vous éloigner de vos rêves.

Ce qui est indéniable, c’est qu’une véritable attente s’est constituée autour de la sortie de ce second album concept, et elle fut récompensée par des chiffres étourdissants : 5.7 millions de streams en 24h. 

Loin d’une I.A inspirée par la trilogie aux chiffres verticaux verts, cette-fois ci le rappeur toulousain décide de partir vers tout autre chose, sans ajouter de forme de futurisme, mais plutôt d’aborder ses propres profondeurs, ses perceptions, ses ressentiments, ses hontes, ses torts et ses addictions. Entre des amitiés établies mais qui s’avèrent bancales, des relations avec sa mère compliquée, un alter ego le suivant partout et une remise en question de son avenir et de sa place dans le monde, Laylow se perd dans un espace-temps qui ne lui appartient plus, un songe dans lequel il suit le mouvement qui lui est imposé. On y retrouve au fil des titres ce Mr Anderson qui s’impose petit à petit à lui, revenant par intermittence au fil des interludes. 
Ce nom, Jey se l’était attribué il y a de ça des années quand il réalisait des instrus, de la vidéo, pratique à laquelle il s’est par ailleurs adonné durant de longues années. Ce rôle de miroir, représenté par Mr Anderson matérialise son alter ego d’une soif débordante de créativité et de succès. 

Le récit au service de l’album, l’album au service du récit ?

Il est évident qu’on a tous la vision de Docteur Jekyll / Mr Hyde, remise au goût du jour. Mais Laylow s’est finalement souvent inscrit dans ce procédé. Sur Trinity par exemple, en terme de narration, il n’invente rien, le monde qu’il décrit l’a déjà été fait 100 fois auparavant, néanmoins il le fait avec une forme d’inventivité qui lui appartient et qu’il lui offre un caractère unique et inédit. 

Toujours dans cette symbiose à la Matrix, le rappeur nous raconte l’histoire d’un rêve plus réaliste que la réalité elle-même et qui va changer son rapport au monde, à ses proches, à lui-même, remettre en question toutes les décisions qu’il aura mises en oeuvre jusqu’ici. L-H-D-M-A peut être considéré comme un véritable préquel à la naissance de Laylow, toutes étapes préalables à la constitution du rappeur toulousain, de la construction de son univers à l’établissement de ses thèmes. Mais la tentation était forte et malheureusement Jey est tombé dedans. La narration en elle-même, les échanges entre Jey et Mr Anderson ne racontent presque rien, rien de plus que le court-métrage. Néanmoins les interludes avec ses deux amis dont les noms sont tus, sont bien plus enrichissantes et viennent appuyer le propos. Il faudra d’ailleurs noter que leurs dictions et intonations sont très proches d’une réalité et bien exécutées (notamment sur Lost Forest, nous y reviendrons), contrairement à celle de Laylow qui sonnent très souvent fausses malheureusement, malheureusement car on sent que l’artiste a réellement voulu faire du mieux qu’il pouvait. On se demande parfois qui sert qui ? Est-ce véritablement le récit qui permet à l’album de tenir ou bien est-ce l’album qui serait finalement la forme d’expression choisie pour exprimer ce récit ? 

Jey se rêve en Hitchcock : 

Certes les dialogues et interludes de L-H-D-M-A ne sont pas extrêmement réussies voir redondants, mais la véritable force de Laylow, à l’instar du réalisateur américain qu’il reprend dans son shooting pour Vogue, tient dans la mise en scène. Dès  le 3e morceau avec Iverson où on retrouve Sofiane Pamart au piano, la représentation visuelle du titre est tout simplement adroite, on l’imagine parfaitement en bas de chez lui, dans le froid, en attente d’un coup de fil quel qu’il soit, un appel. A la fois explosif, christique, il plante le décor d’une ride hivernale, pluvieuse, longue et tourmentée. Il en est de même pour le titre avec Damso, R9R Line, il est à la fois très bien amené par l’interlude le précédant et représente bien cette orgie violente que l’interlude suivante expliquera par la mise à la porte de Jey et ses potes. Néanmoins concernant purement l’intérêt musical du projet, son choix de le conserver reste peu concluant, mais on note une prod de BKH qui elle, comme à son habitude met tout le monde d’accord.

Puis Jey, ****** et ******* partent à bord de leur voiture, c’est WINDOW SHOPPER PART 2. On retrouve Hamza sur une prod lunaire de Clyde P et Ikaz Boi (Ikaz qui réalise d’ailleurs un très beau travail sur ce projet.). Le titre fonctionne très bien, atténuant l’univers pesant présent jusqu’ici depuis l’ouverture du projet. Voir le monde brûler fait également partie des titres qui fonctionnent moins que les autres et notamment pour cause de l’acting au moment du passage à tabac, puis au moment de l’échange avec sa mère. Ce qui est par ailleurs très dommage car le morceau en lui-même a beaucoup de qualités, et premièrement au niveau de la mélodie qu’il développe ainsi que de la production de DJ Idem.

Que la pluie, la balade de milieu de projet, fait beaucoup de bien, d’autant qu’on le devine sans peine déambuler sous l’averse après avoir quitté le domicile familial, perdant les larmes d’un jeune homme manifestement perdu. Mais malheureusement une fois de plus l’interlude aux côtés d’Anderson ne prend pas, en 1 minute on oscille entre “On est arrivé au point où il va falloir que tu m’écoutes un  peu plus …..Ok Ok je te laisse pour le moment” en revanche elle introduit l’une des des masterpieces de l’album, le titre Special. Tout change à partir de celui-ci, dès les premières notes de l’instru, L-H-D-M-A va prendre une toute autre tournure, celle d’un très grand projet, celle de titres extrêmement bien produits, débordant d’une créativité sans pareille, emplie de réussite. 

Sur une fabuleuse production de Foushée, Laylow développe un refrain teinté de vocalises futuristes, tranchant avec des couplets bien plus terre-à-terre dans des placements qu’il maîtrise parfaitement. La mélodie est entêtante, planante, dans cette perspective le titre est une totale réussite. En y ajoutant cette interlude chantée entre les deux interprètes, qui vient monter encore le titre et qui lui confère un caractère d’exception supplémentaire. Nekfeu arrive à la fin du titre, avec des placements parfaits, une écriture équilibrée, le job est fait mais sans heures supplémentaires.  

Puis arrive Lost Forest. S’il ne fallait garder qu’un titre du projet ce serait celui-ci, c’est LE titre sur lequel la mise en œuvre du dialogue va prendre, fonctionner, laisser place à l’imagination, à la représentation, au macabre et presque à la colère : Lost Forest est un petit bijou. Sur l’instrumentale de 1000milliards, Laylow va enfin accomplir une narration sans fautes, établir un récit parfait, entremêlé de mélos, de dureté contemplative, d’immersion complète dans la réalité qu’il vit. On a tous imaginé très facilement cette ruelle sombre, ces deux flics cagoulés, cette arme à la cross noire jetée au sol, cette main tremblante de ****** quand il va la ramasser, et les 4 mains semi en l’air que Jey et ****** vont naturellement agiter, dictées par leurs cerveaux. Bien entendu et malheureusement les gros sabots sont rapidement rechaussés sur l’explication du rêve par Mr Anderson, l’interlude suivante aurait suffit à en donner l’explication. 

On arrive sur l’une des productions les plus intéressantes de cet opus :HELP !!!. Là on est face à un très très grande travail de Ikaz et Dioscures ( qu’on retrouve pour la seule et unique fois sur le projet). Enfin une collaboration étonnante fait son apparition à la fin L-H-D-M-A avec l’artiste britannique slowthai, un morceau très réussi, deux artistes qui vont très bien parvenir à mêler leurs univers, donnant un titre très bien saisi et se concluant sur une exécution de cordes d’une finesse extrêmement appréciable. 

Le blockbuster : 

A l’instar du dernier film hollywoodien, Laylow a teasé son projet d’une façon similaire et s’est entouré d’un casting retentissant : Damso, Nekfeu, Hamza, slowthai, Alpha Wann et Wit. Mais ce beau monde ne s’arrête pas là, on compte un grand nombre de producteurs d’immense talent. Néanmoins Laylow se rêve en concepteur de blockbuster d’auteur, une tâche éminemment complexe, voir peut-être impossible ? Les emprunts narratifs à des livres très connus pour la construction du scénario, ne sont quant à eux pas un problème, prendre des choses qui ont déjà été très bien faites par d’autres n’est pas une honte, mais plutôt une forme d’intelligence.  Néanmoins depuis ses débuts, Laylow a toujours narré son histoire, sous différentes formes, sous différents angles. Comment sait-on qu’on a fait le tour d’un sujet ? C’est une question très compliqué dont la réponse est souvent introuvable, encore plus quand c’est la notre. Mais l’artiste a trouvé la parade ultime à celle-ci : créer des mondes, des univers finalement infini pour se permettre de reprendre d’une façon différente un récit autobiographique.

Pour nuancer l’ensemble de mon propos au fil de cette chronique, L’Etrange histoire de Mr Anderson est un très bel édifice que Laylow nous a construit, il manque parfois de s’écrouler mais il tient debout malgré tout, avec certains points d’ancrage très forts. Ce qu’on ne pourra pas lui enlever c’est cette forme de risques qu’il a pris tout au long du processus de création.

Enfin, l’ensemble de la hype généralisée dont bénéficie  L-H-D-M-A, et dont, je tiens à le préciser, je me réjouis pour Laylow,  ne serait-elle pas également dû à un manque cruel de créativité constant depuis quelques années dans la construction des albums dans le paysage du rap français ?