À l’occasion de sa dernière résidence pour son projet 1 KM AU NORD, nous avons rencontré Raphaël Mars. Installé au Nouveau Studio Théâtre à Nantes le temps d’une semaine, c’est ici que l’artiste rennais peaufine son dernier projet avant la première représentation au festival MYTHOS à Rennes le 10 avril prochain. Dans une pièce aux murs noirs, une harpe, un tabouret et quatre mystérieux panneaux en polystyrène pour encadrer la scène. Les spectateurs sont invités à se glisser dans cet univers, avant de se laisser porter vers un voyage sensoriel le temps d’une petite heure. Rencontre.
C’est marrant que tu joues à 11h. Ça change de d’habitude ?
Oui, carrément. Ce spectacle est pensé comme une veillée, comme une soirée. Donc c’est un petit peu particulier de le jouer le matin. Je suis content car ça marche quand même. J’ai senti que les gens étaient embarqués malgré l’heure matinale.
J’imagine que tu préfères les représentations le soir.
Pour ce spectacle-là c’est quand même bien. Parce qu’il y a quand même une ambiance vraiment nocturne. On commence à la fin de la journée pour moi, puis on bascule un peu dans la nuit ensemble, dans le cauchemar.
Je voulais revenir sur tes débuts et savoir ce qui t’avait motivé à passer de l’autre côté du statut de spectateur ?
Créer c’est quelque chose que j’ai fait depuis petit. Déjà enfant je passais ma vie à chanter, à faire des spectacles, j’adorais me costumer, me mettre en représentation (rires). Et mes parents en ont eu marre que je leur casse les oreilles. Donc ils m’ont envoyé en formation musicale et en formation de théâtre. C’est là où j’ai commencé à faire mes armes. En sortant d’étude, j’ai eu une première aventure de compagnie où j’avais un groupe de musique et une compagnie de théâtre. Après il y a eu une longue période où j’ai un peu arrêté de créer des trucs. Je me suis mis au service des autres en composant de la musique pour des spectacles, pour le cinéma, en étant acteur aussi. Ce projet-là (1 KM AU NORD, ndlr) est un peu un retour à créer un spectacle. C’est un petit passage symbolique en vrai.
Tu étais cette semaine en résidence à Nantes. Aujourd’hui, c’était la dernière représentation de ce spectacle avant le festival Mythos à Rennes. As-tu vu le changement entre le début et la fin de la semaine ?
Carrément ! En fait, c’est une semaine de résidence qui ne devait pas avoir lieu. Et, parce qu’un financement de la DRAC s’est débloqué, ça m’a permis d’avoir cette semaine de travail ô combien nécessaire. J’y ai fait la création de lumière notamment. J’ai travaillé avec Jonathan Mallard qui est un metteur en scène rennais. Qui, lui, m’a apporté son regard sur la mise en scène, les mouvements du corps. On a retravaillé ensemble le récit qui accompagne la musique. Ce récit avait déjà été travaillé avec Benoît Gasnier qui est un autre metteur en scène et scénographe rennais. Donc j’ai des regards extérieurs ponctuels qui viennent. Et là, il y a Jonathan qui est venu pour deux jours. C’était vraiment l’achèvement. Puis ça été de refaire et refaire jusqu’à ce que ça se solidifie, notamment au travers des représentations publiques.
J’ai remarqué que tu étais davantage interprète sur 1 KM AU NORD que sur tes projets précédents.
Oui ! Je pense que c’est lié au fait d’avoir voulu partager un récit. D’avoir voulu que le spectacle soit un espace de rencontre aussi. C’est un élément important comment j’accueille les gens. C’est trop bien de voir les gens qui arrivent, ils ne savent pas trop où ils mettent les pieds. Ils sont dans une boîte noire, ils posent leur affaire. On ne sait pas trop ce qu’on va dire ensemble ; mon envie est de partager ça, d’être généreux. Ça, ça me place beaucoup plus comme interprète, parce qu’il y a l’enjeu de faire passer un chemin émotionnel, un récit. Ça fait partie du spectacle.
Dans les projets précédents, je suis beaucoup plus souvent au service d’une autre parole. Par exemple le spectacle Howl2122, dans lequel je suis musicien au plateau, je suis très effacé. Je joue la musique qui sert à appuyer la parole de la comédienne. Dans le spectacle Clytemnestre de La revanche de Simone, c’est pareil je suis un musicien un peu effacé, reculé. C’est des places que j’apprécie beaucoup, d’être au soutien de parole, notamment de parole de femmes. C’est un petit renversement avec 1 KM AU NORD parce que c’est mon projet. C’est ma parole, du coup ça me met beaucoup plus à nu.
Tu dis au début du spectacle que le titre 1 KM AU NORD vient de ton père.
Oui, je mens un peu. Mon père ne me l’a pas dite ; même si mon père m’a apporté beaucoup de réflexions sur le sens de la vie par d’autres chemins. La personne qui a prononcé cette phrase c’est Stephen Hawking. C’est un physicien britannique qui à travaillé sur des théories de la relativité, notamment sur l’origine de l’univers, sur les trous noirs en faisant des percées scientifiques sur ces sujets-là. La phrase initiale c’est : « Demander ce qui s’est passé avant le big bang reviendrait à chercher un point qui soit à un kilomètre au Nord du pôle Nord ». C’est absolument impossible de pouvoir reculer jusqu’au temps moins un. On peut s’approcher jusqu’à quelques millièmes de seconde, vraiment les tout derniers instants avant le big bang mais on n’arrivera jamais à remonter au big bang.
J’adore cette phrase parce qu’en fait elle raconte l’impossibilité de résoudre les choses. C’est la quête éternelle des scientifiques de trouver une théorie qui vient rassembler tous les champs de la science. Einstein à essayer, Stephen Hawking à essayer, plein de gens ont essayé mais personne n’y arrive parce qu’il reste des zones de mystère et d’ombre. Ça à déclenché ma curiosité de me dire qu’il y aura toujours des choses qui nous sont mystérieuses. Ça m’interroge de pourquoi est-ce qu’on a envie quand même de se mettre en chemin. C’est ça la réflexion sur le début du spectacle, un peu de curiosité insatiable et l’envie de voir la suite. Tout en sachant qu’on n’aura jamais de réponse.
Tu parles à un moment de l’histoire de Brahma et Maya qui ont créé le monde par le prisme d’un jeu. Toi, qu’est-ce qui te plait le plus entre installer le jeu et jouer ?
Je crois que j’adore jouer. Mais j’adore créer des jeux. Le théâtre sensoriel que je fais se base beaucoup là-dessus. Sur : comment on se donne des règles ensemble pour jouer. C’est ça la réflexion du jeu dans le spectacle. Nous, notre définition du jeu on le tient d’un chercheur hollandais qui s’appelle Huizinga. Il essaye de définir ce qu’est le jeu : le jeu est un moment social défini temporellement qui comprend des contraintes qu’on se donne et qu’on peut transgresser avec de la tension cadrée temporellement et de la résolution. Donc un jeu entre tension et satisfaction. J’adore parce que c’est vraiment ça un spectacle de théâtre, c’est un jeu grandeur nature.
1 KM AU NORD, c’est deux ans de travail pour une heure de représentation. Est-ce que ton envie de vouloir jouer peut-être un peu découragée par l’implication à donner en amont ?
C’est sûr que ce n’est pas le métier le plus reposant du monde (rires). Ce spectacle-là a nécessité beaucoup de travail. Il a la chance d’avoir déjà une vie quand même très chouette ! Parce que si on parle très concrètement, le contexte de création de spectacles aujourd’hui est compliqué. Il y a très peu d’argent, les équipes s’effondrent les unes après les autres, les spectacles s’annulent. On est dans un contexte où c’est dur d’accoucher d’un spectacle.
Je pense que ce qui me tient est qu’il y avait une urgence de faire ce truc-là. C’est une chose à laquelle je pense depuis 5-6 ans, enfin depuis très longtemps, je pense que je ne sentais pas la maturité de le faire avant. Et là, je pense que j’arrive à l’endroit où je me dis “ allez il faut que j’y aille ” parce que c’est ça qui me tient aussi et qui justifie la charge de travail que tu mets dedans. Après j’ai la chance de ne pas être seule, je suis accompagné par une équipe au sein de Vesta (la compagnie qu’il à créer et dont il est le directeur artistique, ndlr) qui est géniale et qui me soutient là-dedans. Qui aide à alléger un peu aussi la charge de travail et à me concentrer sur l’artistique.
Ça fait deux ans que tu travailles sur le projet 1 KM AU NORD avec lequel tu as fait plusieurs résidences. À quel moment tu sais que tu arrives au bout du processus créatif ?
La bonne question (rires) ! Je pense que si je suis sincère c’est jamais terminé. C’est ça qui est trop bien avec le spectacle vivant. C’est que la première d’un spectacle est le cadre institutionnel de la fin de la création ; mais c’est aussi le début d’une étape suivante de la création, puisqu’à chaque date c’est un peu différent. Il y a des éléments qui s’ajoutent. C’est aussi lié à l’économie d’un spectacle, donc les évolutions techniques permettent de faire autre chose même longtemps après la première du spectacle. Tous les spectacles auxquels j’ai participé ont beaucoup évolué entre leur première et les vingtième/trentième représentations. En plus, 1 KM AU NORD spécifiquement, à été créé pour rendre hommage à ça. Il est pensé comme un spectacle modulaire dont la forme peut évoluer avec le temps. Je sais que selon les perspectives qui s’offrent à lui il y aura une version en salle de concerts avec un groupe de musique, l’envie de créer un album. Ce sont des chantiers artistiques et humains qui sont complètement nouveaux mais qui sont dans la continuité. Comparé quand je travaille comme acteur au cinéma : deux-trois prises puis après c’est dans la boîte, l’objet ne bougera plus. Ce qui est beau à un endroit, c’est comme les albums. C’est très bizarre les albums parce que tu fixes ta musique à un moment, tu réécoutes 2-3 ans plus tard puis tu te dis « olala, j’en était là » ! Mais en même temps c’est ça qui est beau, c’est des précipités.