Rencontre avec Gregg Bréhin, directeur artistique chez YODEL

Shooté par @sixfeet_nder

Nous sommes au 15 rue Georges Clemenceau, dans un hôtel particulier du XVIIIe siècle ayant appartenu au général Lamoricière, connu pour avoir colonisé l’Algérie, le Maroc et la Tunisie. On se situe exactement sur l’aile gauche du bâtiment. C’est ici que Gregg Bréhin nous reçoit, dans les bureaux du collectif Yodel. Ce lieu, Gregg nous le dit assez rapidement, il porte un autre nom :  on appelle également ça un Phalanstère. C’est notre proprio qui est psychanalyste qui nous a mis cette baseline en dessous de notre nom. Le Phalanstère renvoie en fait vers une petite communauté regroupée autour d’une cour, un lieu d’échange commercial, où on retrouvait le boulanger, le poissonnier, le boucher, ça nous parlait bien.  Gregg Bréhin est directeur artistique – même s’ il n’aime pas beaucoup cette dénomination en français du moins – regroupé entre photographe, illustrateur, réalisateur, véritable touche-à-tout. YODEL c’est le collectif dont il fait partie. Le nom vient d’un chant des alpages Suisse-Autrichienne, c’est un moyen de communication à la même hauteur que les Indiens qui s’envoyaient des signaux de fumée. On trouvait que graphiquement ces 5 lettres fonctionnaient bien. On a commencé avec Olivier Denieau qui est webdesigner / musicien et Gildas Joulain illustrateur et graphiste. Ensuite, Gaëtan Chataigner s’est greffé au projet, réalisateur, ainsi qu’Arnaud Bénureau et Ismaël Martin, tous deux journalistes.

Gregg arrive à Nantes en 2002.
Je suis venu à Nantes car j’étais pas très bon à l’école et j’avais vu dans un magazine que l’école Pivot était l’école privée la moins chère de France. Je ne suis pas arrivé seul, mais avec un pote Max. On venait d’un petit village du Perche où il y a 2000 habitants. Côté études, j’ai fait un début de première année super, je devais être 3ème sur  70 et à la fin du trimestre, je suis passée à la 65ème place :  je découvre la grande ville et puis… en fait la ville quoi (rire). J’ai commencé à me désintéresser de l’école au bout de la deuxième année, entre temps, je bossais dans une boutique de prêt-à-porter / créateur qui s’appelait Source et i’y ai découvert les créateurs qui m’ont un peu piqué par rapport à mon goût de la mode, mais on y reviendra après. Ayant arrêté mes études, j’ai dû rentrer chez mes parents pour aller travailler dans l’imprimerie familiale (mon père et mon grand-père étaient imprimeurs) pour rembourser mes parents. J’ai toujours été dans la chaîne graphique quelque part. 

En travaillant à Source il rencontre Sylvain Chantal. Qui lui propose alors de devenir graphiste pour monter un magazine culturel à Nantes : Kostar était né. C’était pour lui, sa toute première expérience en tant que Directeur Artistique, même s’ il n’en a pas vraiment conscience à l’époque.  Il va vivre cette expérience pendant 2 ans, jusqu’à sa rencontre avec Arnaud Bénureau, alors rédacteur en chef pour Wik. Par la suite, Gregg se fait virer de Kostar, et  accompagné de Sylvain Chantal le rédac chef et de la directrice mode – qui donnent leurs démissions -, ils quittent Kostar. Puis avec Sylvain, ils décident de monter leur propre magazine. 

On a monté le magazine Paplar, on a eu cette idée aux Transmusicales de Rennes en 2010/2011.. A la Route du Rock il y avait une sorte de papier recto verso qui expliquait l’actualité et la vie lors du festival, puis on s’est demandé pourquoi on ne monterait pas un magazine où on ferait le tour des festivals de France et plus : on a monté Paplar. On a été voir au culot Jean Louis Brossard le programmateur et directeur artistique des Transmusicales et on lui a parlé de notre projet de magazine. On voulait en sortir 3, on les envoyait à imprimer à 5h du matin pour les recevoir à 11h et ainsi commencer à le diffuser aux festivaliers. C’est parti des Transmusicales et après on a fait pendant 5 ans tous les gros festivals de France : Eurockéennes, Bourges, Francofolies, Vieilles Charrues… 

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C’était un magazine gratuit, on était pas payé par les festivals pour le faire et heureusement comme ça, on était libre, on pouvait dire ce que l’on voulait ! Pour trouver des sous, il fallait trouver de la pub, et à la fin on en a eu un peu ras le bol on était fatigués car on vivait le festival comme des festivaliers donc on faisait beaucoup la fête mais, j’en garde un très bon souvenir. Paplar m’a permis de rencontrer plein de groupes que je n’aurais jamais pensé photographier.  Ça m’a amené à bosser pour des grandes maisons. J’ai fait des photos de presse pour The Do, Oxmo, Pony Hoax et bien d’autre. Je me retrouvais à faire de la photo, c’était speed, entre deux concerts, entre deux bières.  Aux Vieilles Charrues on passe une après-midi avec les Libertines, sans Peter Doherty, il était dans un photomaton à la gare. On a picolé, joué au babyfoot, on a bien rigolé. Doherty arrive, c’est le moment de monter sur scène, je les suis, sur le plan incliné, le batteur se retourne et me jette une bière, je me la prends en pleine tête, les gars ont des humeurs.  On commençait en décembre avec les transes, et on finissait avec Scopitone à Nantes.  Quand ça s’est arrêté, j’ai monté Yodel. Je faisais encore deux trois photos mais, c’était payé une misère. On voulait surtout être un collectif, on ne se marchait pas sur les pieds, on était hyper complémentaires. Ça fait maintenant 5 ans. 

Le premier contact que tu as avec le papier, c’est au sein de ta famille, imprimeur dans le Perche 

Mon grand-père était le plus gros imprimeur de bouquins de porno à l’époque en France. Je suis né dans l’odeur de l’encre, j’ai toujours eu les magazines avant tout le monde. Quand j’étais gamin je lisais à fond 5 majeurs. Je connaissais la ligne graphique. Mon premier contact avec l’art, c’est en voyage scolaire, à Beaubourg ou au Musée Picasso, mes parents n’étaient pas du tout dans l’art. Mais le père de mon meilleur pote Germain était antiquaire, ça m’a beaucoup passionné aussi.


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A quel moment de ta vie tu fais cette rencontre avec ce qui va guider tout le reste ? 

Après le collège, j’ai fait une seconde S, je voulais être designer automobile,  je dessinais des bagnoles dans mon cahier de texte. J’étais vachement inspiré par les prototypes, les voitures qui ne sortent jamais finalement. J’ai assez rapidement déchanté après avoir fait tous les concours prépa pour rentrer en école, j’ai échoué et c’est pour ça que je suis venu à Nantes. Et finalement très bien car  je ne me voyais pas dessiner des bagnoles avec une règle et une calculette car la réalité c’est celle-ci, c’est du dessin industriel.  Avec mon pote Max on prenait le train à Paris direction les puces de Clignancourt. Et à l’époque je bossais le samedi dans la boutique Source, la première boutique de créateurs à Nantes, et sur le comptoir il y avait le premier mac à bulle avec dessus Illustrator et Photoshop et donc je commençais à bidouiller ça. Je faisais des flyers pour des clients de la boutique, parfois je me craquais.  Je découvre encore plus la mode dans cette boutique bien qu’enfant j’étais déjà à fond dedans, j’y ai reçu une vraie éducation sur les grands créateurs. Source m’a permis de connaître Margiela, restant pour moi aujourd’hui le maître. 

Ça t’a bousculé de rencontrer la gérante de Source


Ça m’a vachement bousculé. C’était une boutique très bien tenue, on pliait tout au papier de soie. Le samedi, j’étais embauché et je faisais de la vente. Finalement, je me lie d’affection pour Margiela, qui pour moi n’est pas du luxe mais de la création pure. Et je découvre par la suite toute l’école Belge. J’ai toujours été bercé par ça. 

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Quels photographes t’ont marqués ? 

J’aime le boulot de Ryan McGinley. Une bonne compo, quelque chose de fort et bien situé. Quand je mène une séance photo ça ne dure pas plus de 30 minutes, je suis trop habitué à ce rythme du magazine papier, entre deux concerts, je ne suis pas bon en lumière mais par contre je pense savoir choper l’instant, être là au bon moment. 

Prendre en photo ce que je vois tous les jours, c’est ça qui me plait. J’aime regarder autour de moi. Je peux m’arrêter en voiture et je fais demi-tour. Ça m’est arrivé la semaine dernière pour une caravane. Je vais voir ce qu’il se passe. C’est ça que j’adore aussi, c’est la rencontre. Je vois la photo comme de l’anthropologie, tu vas voir les gens, tu rentres dans la personne. Si tu te focalises sur les têtes de gondole, tu ne vas pas loin. 

Tu peux nous parler un peu du YOURNAL ? 

On l’a monté avec Arnaud et Ismaël, on venait tous les trois de la presse, avec mon plus par rapport à mon passif familial. Mon grand-père pratiquait la rotative, c’est une forme de très gros tirage, on est à 20 000 par minute. Mon rêve était d’imprimer un journal à la façon de Libération, avec les trous, les pinces, le bord cranté sans agrafes. Le journal quoi, mais le proposer avec une belle maquette et le faire de façon léchée. On a trouvé un imprimeur entre Nantes et Rennes qui s’occupe notamment de Libé, le Canard enchainé ou encore L’Équipe. Mais l’imprimeur n’était pas vraiment chaud, trop de peu de tirages pour le temps à y consacrer. On a insisté, et il a fini par céder. Il nous a demandé ce qu’on voulait exactement, je lui ai expliqué que je voulais le format de Libé et le papier du canard enchaîné avec le poster central de l’Equipe l’été lors du Tour de France; “ Ah ouais d’accord, alors on le fait”. C’est un irrégulo-mader, on le sort quand on veut. Nous faisons les pubs ça paye l’impression, on le dépose dans les bars, musées, restaurants, cavistes, libraires. On est les seuls à avoir trois pubs de La Cigale, l’Auditorium ou d’autres encore, on va frapper vers des portes pas habituées. C’est pas forcément que notre vision ou notre journal, on prend vraiment très large. Avec Arnaud et Ismael, on se réunit autour d’un verre, on décide des sujets qu’on va couvrir. On essaye de traiter les articles différemment, avec notre regard. 

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Finalement toute ta vie est conditionnée par une recherche de l’esthétique. C’est l’enfer ou c’est agréable?

Ouais, à fond. Je suis chiant. Mes vêtements sont pour moi une cote de travail. Ça fait vraiment partie de moi, j’essaye d’accorder les choses même au delà de la mode, je fais attention à tout. 


Tu pars du principe que tu crées une vision ou tu t’inspires de plein de visions différentes pour créer la tienne ?

Il y a un truc qui a changé ma vie quand je suis partie de Kostar, j’ai rencontré des mecs qui ont eu une grosse influence sur le rock à Nantes : Les Littles Rabbits, aujourd’hui les French Cowboy. J’ai fait une grande partie de leurs photos de presse et de leurs clips, ils ont enregistré tous leurs albums en Arizona et un jour ils m’ont emmené là-bas en 2011. Et là grande claque dans ma gueule, c’était la deuxième fois que j’allais aux USA et depuis je mets des santiags et des pantalons de cowboys.L’esprit américain j’adore, et le rock quoi ! Du groupe, je suis celui qui écoute du rock, du rock indé enfin aujourd’hui, j’écoute de tout. 

Shooté par @sixfeet_nder

Je m’inspire de beaucoup de choses, qui n’ont pas forcément de liens entre elles, ma vision est vraiment très large. Il y a aussi majoritairement ce qu’on peut trouver sur des sites de tendances ou sur les réseaux sociaux, des trucs de Cowboy de 21e siècle et de Nantes. J’aime ma ville et je me sens acteur de celle-ci et c’est notamment pour ça qu’on a inventé le Yournal. J’aurai pu déménager de Nantes plein de fois mais je suis ici depuis 2002.