Voyage dans l’EP brumeux d’Inspire, entre démons du passé et espoirs d’un meilleur lendemain.
Auteur d’un précédent opus à l’esthétique radicalement trap en mars 2020 (Appel manqué), Inspire revient à la surface pour livrer Hier je meurs, un projet sombre et personnel, qui semble épouser la grisaille de l’automne auquel il paraît.
Curieux d’en apprendre plus sur sa vision et la création de son EP, pour DYPE j’ai rencontré Inspire dans un café parisien, un mois après la sortie du projet. Les propos cités dans cet article sont issus de notre discussion.
Peinture noire, c’est le titre annonciateur sur lequel s’ouvre le projet du rappeur de la 75e session, collectif parisien devenu label, dont on ne présente plus la qualité des productions. Avec une voix singulière et un univers obscur, l’œuvre d’Inspire se distingue dès les premières notes. Sur une boucle de synthé drumless (instrumental sans percussions / no beat) à l’ambiance nocturne et envoûtante, Inspire donne le ton. Il nous explique ce goût pour les productions minimalistes.
Le no beat permet d’être dans un truc un peu intime, tu rentres dedans, t’es obligé d’écouter ce que le mec raconte. J’ai l’impression que c’est assez efficace pour te mettre dans un temps calme et au moins, ça permet de te concentrer.
Installés dans cette atmosphère intimiste, on plonge dans un 8 titres intelligemment compact à l’atmosphère grisâtre et désenchantée. Sans rompre totalement avec les ambiances froides et synthétiques d’Appel manqué, l’artiste développe une trame musicale plus ouverte, teintée de nouvelles rythmiques, où les mélodies subliment les émotions de ses textes. Son interprétation, à fleur de peau, semble alors se bonifier avec le temps.
Une direction initiée par son précédent projet, dont il confirme les intentions rythmiques inédites :
En vrai, la mélodie, j’ai toujours aimé. Je pense qu’à une époque je maîtrisais un peu moins les morceaux mélodiques, ce n’était pas forcément réussi. Mais sur Appel manqué, parfois, c’était full auto-tune, j’ai l’impression que ça marchait. Je l’avais plutôt bien fait déjà à l’époque. Là peut-être que cet aspect plus mélodique, c’est quand je chante sur des rythmes un peu plus zumba, ça parait un petit peu plus ouvert […]. J’appelle ça de la zumba triste. J’ai l’impression que c’est peu courant et les rares fois où ça se fait, je trouve que ça me procure une émotion, et en plus c’est entraînant […]”
À l’image de ces nouvelles rythmiques, l’entêtant Bails noirs s’inscrit comme l’un des morceaux les plus réussis d’Inspire, dont il affirme lui-même être particulièrement fier. Dans des flows mouvants, il allie la richesse de ses rimes à la mélodie pour chanter un texte empreint de tristesse et de nostalgie. Les percussions mélodiques choisies apportent une dimension organique au morceau, qui offre une belle respiration au milieu du projet.
Loin d’embellir sa réalité, la musique d’Inspire peint les pensées d’un artiste tiraillé par ses démons, souvent désabusé, et déçu par son monde. Le bien et le mal se côtoient, partageant parfois la même mesure, soulignant ce qu’il y a de beau et de sombre dans le même tableau, pour en tirer une forme d’équilibre. Il décrit sa manière de voir cette zone grise, dans laquelle il développe sa musique :
J’aime bien les dualités. On a tous cette dualité en nous, notre part de lumière et d’obscurité. Et au final, il n’y a rien de tout noir ou tout blanc. Tout est gris, je trouve ça intéressant. Personne n’a raison, tout le monde a tort. […] j’ai l’impression que toutes les pratiques artistiques, c’est un truc de ressortir ce que tu as dans le cœur et le proposer sous une forme ou une autre. Clairement, c’est sûr que c’est thérapeutique, je n’arrive pas trop à chanter la joie et les bangers.
Dans cet EP, on retrouve essentiellement à la production Yung Coeur, beatmaker référence de la 75e, et dont la patte façonne le son d’Inspire depuis Appel manqué. Deux titres sont ici co-produits par Richie Beats, et le pesant Escalade, premier single du projet, est lui intégralement produit par le strasbourgeois Soudière.
La rencontre un peu importante c’est avec Yung Coeur, qui depuis s’est occupé de faire quasiment toutes mes prods et qui est vraiment central dans la création de ma musique. On est très proches, les prods on les fait toujours ensemble. J’ai des avis très tranchés. Ma famille est dans la musique, mes deux parents font du clavecin, du coup, je pense que j’ai l’oreille un peu éduquée, et je sais quand ça me parle ou ça ne me parle pas, et du coup je sais qu’avec Yung Coeur, je suis assez directif en vrai.
Pour les interprètes comme les producteurs, Inspire collabore à nouveau en famille et garde les mêmes invités que sur son précédent disque. Sur Prix d’ami, il se livre avec M le Maudit à un passe passe impressionnant de facilité. Entre égotrip, violence et ambition, les deux rappeurs de la 7-5 semblent ne faire qu’un par l’univers et la technique. Inspire revient sur cette alchimie :
On écrit une phase, l’autre écrit la suivante. On s’aide un peu, on se propose, des fois il y en a un qui a la rime de l’autre pour la suivante. Du coup, ça fait une petite passe dé.
Dans Jour/nuit, il chante avec Jeune Mort sa mélancolie sur une lente production aux accents orientaux. Un registre inédit qui tranche, sans pour autant nous extirper du projet et de sa cohérence.
Le disque s’achève entre légèreté et bribes de remords, où la haine paraît se diluer dans l’apaisement, sur des productions plus douces. Au bout du chemin, on trouve les reflets d’un deuil personnel, que chacun peut traverser au cours d’une vie, et dans lequel l’espoir ne doit pas rester vain.
Je trouvais l’idée belle de mourir hier et de renaître aujourd’hui. Et en même temps, ce truc d’impossible. J’aime bien les phrases où c’est un peu large, tu as du mal à comprendre, mais en même temps, il y a du sens et tu peux te l’approprier un peu comme tu veux. En vrai, finalement, c’est rempli d’espoir. « Hier je meurs », ça donne beaucoup d’espoir pour demain. Si on est encore là pour parler, c’est finalement qu’on n’est pas complètement morts.
Inspire signe ainsi son retour dans un tableau sombre mais résolument tourné vers une suite emplie d’espoirs, dont il nous tease les premiers indices.
J’ai trouvé l’idée de dire, Hier je meurs pour répondre au prochain projet. 8 titres, ça va, c’est sympa, c’est compacté, pour revenir tranquillement et proposer un truc un tout petit peu plus long juste après. Le but, c’est que ça arrive avant la fin de l’hiver.
Sans en trahir tous les détails, vous l’aurez compris, l’EP s’inscrit comme la première pièce d’un diptyque, dont on s’impatiente déjà d’écouter la suite, avant le prochain printemps.