Zed Yun Pavarotti, Encore plus sincère

En avril dernier, Zed Yun Pavarotti dévoile son album Encore. Confirmant cette esthétique musicale alternative qu’il avait enclenchée avec l’album précédent Beauseigne. Symbolisant ainsi une étape de transition dans sa carrière, l’artiste stéphanois se détache consciemment du mouvement rap dans lequel il a fait ses débuts. Avec Encore, Zed Yun Pavarotti compose une musique plus positive avec une couleur musicale rock comme il l’introduit avec la pochette de l’album (ndlr. la pochette reprend un cliché de Kate Moss au bord d’une fenêtre, la tête dans le vide au côté de Peter Doherty). Une occasion de discuter de cette évolution musicale, se construire autour de nouveaux horizons artistiques et se donner le temps pour structurer une musique qui lui plaît.

J’ai l’impression que tu n’es pas le seul artiste à avoir procédé à une transition musicale pour proposer quelque chose de plus alternatif dans ta musique. Comme si les mœurs actuels soulèvent une timidité qui permet aux artistes d’aller plus en profondeur dans leur découverte musicale. Comment est-ce que tu vois cette tendance actuelle ?

Je trouve que c’est une bonne chose d’aller voir d’autres horizons. C’est comme ça que l’on crée quelque chose de nouveau généralement. C’est des croisements entre deux choses qui ne s’étaient pas croisées avant. Je pense que tout a été globalement un peu fait. On ne sait pas, sur une erreur il peut y avoir un nouveau style qui arrive. C’est la curiosité qui prime et qui fait qu’on reste vivant, qu’on avance et que notre culture s’agrandit. J’encourage effectivement tout le monde à devenir créatif. Après il ne faut pas oublier de respecter cette école quand on en change et de ne pas tomber dans la parodie non plus. Le rock et la pop ont leurs codes, il ne faut pas les transgresser mais il faut les connaître en tout cas.

Penses-tu que l’on peut dépasser les frontières musicales en associant l’ancien avec le nouveau ? Typiquement, les instruments originaux avec les instruments électroniques.

Créer de nouvelles choses me paraît impossible en soi, c’est toujours un hasard. C’est mélanger deux produits et se rendre compte qu’on a créé du LSD (rires). Il faut tenter. Après le croisement acoustique et électronique/électrique et numérique est possible. De toute façon, ça a déjà été utilisé dans les années 80. New Order ou Kraftwerk on déjà fait ces croisements musicaux. Même Justice à utiliser pas mal de tendance rock, de codes et de techniques d’enregistrement. Tout a été plus ou moins fait, c’est plutôt des histoires d’esthétique. Il y a peut-être des esthétiques à créer.

Shoot by Jeunedoh

Y a-t-il eu du doute lorsque tu as basculé dans un nouveau registre musical ?

Oui, il y en a eu. Le doute était essentiellement concentré sur le fait de me demander si j’allais y arriver. En tout cas, arriver à faire la musique que je voulais faire. C’est dur et je ne savais pas si j’avais les qualités et compétences pour le faire […] et les connaissances surtout. Après il y a eu une longue période de réflexion, savoir si j’avais envie de vraiment tourner la page et de me lancer dans 100% dans autre chose et de ne plus être rappeur. La réflexion a pris son petit temps, mais une fois que j’ai décidé : j’ai décidé et j’y suis allé à fond.

J’avais vu que pour la construction de l’album Encore tu avais beaucoup écouté de rock des années 60.

J’en ai beaucoup écouté ! J’ai fait l’élève, je me suis assis à la table, j’ai fermé ma gueule et j’ai écouté. J’ai quand même douté au milieu en me disant : est-ce que c’est bien ce que je fais ou c’est de la merde. Puis après, j’ai un peu tout jeter, j’ai recommencé, je me suis dit que c’était bon.

La structure de tes morceaux est différente de celle des morceaux rap. Est-ce que ce travail de transition s’est compliqué lorsqu’il a fallu adapter son écriture ?

Non, ce n’est pas difficile d’enlever un peu de chose. Quand j’étais rappeur, le volume de texte était tellement immense que c’était plus un confort. Il y avait d’autres enjeux qui se soulevaient : devoir être un petit plus narratif, faire des chansons à thème, raconter des histoires en entier. Ce que je ne faisais pas avant. Je me permettais de partir un peu dans tous les sens. Là, il fallait resserrer un peu le truc. J’avais des responsabilités par rapport à ça mais ça n’a pas été très compliqué en soi. Il faut juste s’entraîner.

J’imagine que tu découvres une autre lecture des mots, où tu y vois un peu plus leur musicalité…

La sélection des mots est beaucoup plus importante. Le morceau peut changer sur un seul mot. J’ai des morceaux où tu as un mot ou une phrase qui donne une tournure monumentale. Parfois c’est dur, il y a plus d’enjeux dans plus de concentration et plusieurs responsabilités.

Shoot by Jeunedoh

Est-ce qu’il y a eu une forme de découragement lorsque tu t’es rendu compte que les médias te percevaient comme un chanteur dépressif, ou au contraire ça été quelque chose qui t’a motivé ?

Il y avait un côté pas très agréable là-dedans. Souvent il y a des nœuds mentaux qui se font sur la personnalité et sur ce que tu produits. Il y a beaucoup de fantasmes nourris. C’était surtout ça qui me dérangeait, sur qui j’étais par rapport à ce que je faisais. Je ne veux pas être hypocrite, je sais que je faisais des trucs qui ne donnaient pas envie de se mettre sur une table et d’enlever son slip. Par contre, sur ma personnalité il y avait beaucoup de fantasmes qui en découlaient, qui étaient absurdes sur le fait d’être drogué, dépressif… Je n’ai jamais été autant heureux durant ces moments-là. Donc voilà, c’est un parti pris esthétique. Après j’ai voulu m’en détacher parce que j’avais envie de faire autre chose et j’avais surtout envie de faire de la musique qui donne envie de faire la fête. À l’époque, je n’avais pas de morceau qui permettait de faire ça, je trouvais ça un peu triste. J’avais envie de rentrer dans les soirées mais par la musique.

Selon toi, est-ce que la ville de Saint-Étienne influence ses artistes en apportant un penchant mélancolique dans leur musique (cf. Mickey 3d ou Bernard Lavilliers) ?

Oui, de toute façon c’est intrinsèque. Tout est une histoire de contexte. Je pense que si on était tous né à Ibiza on ne ferait peut-être pas cette musique-là. C’est sûr que ça joue. Il y a un impact. C’est le rythme qui impose ton environnement, qui influence un peu ta manière de penser, ta manière d’aborder la musique. Après le fait de ne pas faire de choses joyeuses, et de tirer vers du mineur et beaucoup de mélancolie, je pense que c’est conditionné par l’ennui, des choses comme ça. Des choses qui découlent un peu d’une ville teintée. D’une lenteur, des parcours de vie un peu cassées. C’est ce qui inspire. En revanche, ça ne fait pas de nous des gens particulièrement mélancoliques. C’est plus qu’on a une facilité à parler de ce qui nous entoure, ou ce qui nous a entouré très longtemps. Je pense que c’est des mécanismes cérébraux plus qu’autre chose.

Je pensais notamment au morceau « Saint-Étienne » de Bernard Lavilliers.

Dans la composition il l’est ! Mais dans les paroles c’est assez génial, c’est très beau.

Il y a cette phrase, « La misère écrasant son mégot sur mon cœur », que je trouve magnifique !

Cette chanson est absolument parfaite. C’est comme « Stayin’ Alive », ce n’est pas hyper compliqué pourtant personne l’avait fait avant, ou même « Seven Nation Army », ce qui est horrible c’est que ça n’existait pas avant. Sur « Saint-Étienne », la phrase « On n’est pas d’un pays mais on est d’une ville », je trouve qu’elle est absolument parfaite, je ne comprends pas que personne ne l’ait écrite avant. Elle à un côté masterpiece cette musique-là.

Shoot by Jeunedoh

Tu gardes quels souvenirs de cette ville ?

Tout est absolument intact. C’est trop marquant, je pense que je ne m’enlèverai jamais de cette réalité. J’ai du mal à trouver ailleurs un endroit qui me sente chez moi. Tous mes grands souvenirs sont là-bas. Ce que je dis à chaque fois, Saint-Étienne ce n’est pas mon sang mais c’est ma colonne vertébrale.

Si Beauseigne a été le projet de transition pour emmener le public sur l’album Encore (un album avec une ambiance plus positive que ses projets précédents, ndlr). Qu’est-ce qu’on peut attendre et te souhaiter pour la suite ?

On peut me souhaiter à me réinventer, créer de nouvelles choses, être inspiré. Ce qu’on peut attendre de moi… Je ne sais pas. C’est encore mystérieux. Je ne pense pas sortir de choses nouvelles tout de suite, en tout cas pas d’album. Je pense quand même avoir trouvé un petit peu ma voie. Après il va falloir me réinventer encore une fois. Il y a plein de trucs que j’ai fait à 100%, je ne peux pas me permettre d’essayer de refaire des copies. Ça ne m’intéresse pas de faire ça. Me réinventer, ne pas avoir fait le tour, écrire de nouvelles chansons. Je pense que je vais rester là-dessus. Rester pop et créer des mélodies qui retournent le cerveau encore une fois.