Coelho « Commencer dans le rap en 2020 crois-moi c’est une odyssée »

Coelho est un artiste qui commence à faire parler de lui, et avec raison. Démarrant la musique courant 2015, il adopte le nom de Coelho en 2017 en sortant, avec son frère, Bedar, à la production, l’album Philadelphia. Il marque 2018 par la sortie de son deuxième album, Vanités, déployant de nouvelles cartes à son jeu. Avec un premier album bien travaillé, cohérent et sonnant très rap il revient l’année d’après avec un projet beaucoup plus atypique, plus varié, proposant des choses plus R’n’B, dans une vibe américaine sur laquelle il glisse allègrement. Il sort aujourd’hui son nouvel album : Odyssée. Les choix qu’il pouvait tester sur l’album précédent sont clairement assumés sur ce nouveau projet. Nous l’avons donc rencontré quelques jours avant la sortie pour parler avec lui de son odyssée. 

En 2017, tu sors Philadelphia, un album très différent de Vanités et d’Odyssée, comment as-tu construit ce premier album et qu’est ce qui t’a amené à évoluer musicalement par la suite ? 

Avant Philadelphia j’avais sorti pleins de projets sous un autre nom, avec beaucoup d’ego trip, d’ambition, je disais que j’allais réussir, des trucs comme ça mais ça a fini par me souler. Puis j’ai eu une histoire avec une meuf, en parallèle j’écoutais des albums de R’n’B, tout ça a changé mes envies. J’avais dit à mon frère « vient on fait un truc que tous les deux, où je raconte que la même histoire » et ça a commencé comme ça. C’était l’époque où Blond de Franck Ocean était sorti, y’avait aussi eu Solange avec A Seat at the table, pleins de récits triste, r’n’b qui m’ont poussé à faire des choses chantées. Je voulais aller plus dans l’émotion, mon frère lui jouait au piano et on a commencé comme ça. 

Pour Vanités ce qui a vraiment changé c’est qu’on a signé. Quand on a rencontré Tunisiano et Merkus ils nous ont dit « on se revoit dans 1 mois avec 5 sons ». Ça nous a motivé. En 1 mois on a donc fait Santa Maria, Anyway, O.D, Désir, le dernier m’échappe. A partir de là on a été d’accord pour travailler ensemble. On composait toujours 5 morceaux et on montait à Paris pour les enregistrer. Le problème qu’il y avait dans Vanités, et qu’il n’y avait pas sur Philadelphia, c’est le manque de cohérence. Je me testais encore beaucoup à l’époque. On est parti un peu dans toutes les directions, c’était très dispersé comme processus de création. Des morceaux sont également arrivés 1 an après donc le spectre de création était compliqué à tenir. Au final je trouve que les derniers morceaux de Vanités comme Ciment ont plus de cohérence avec mon nouvel album.  En arrivant sur Odyssée, j’écoutais du Future, du Travis avec Astroworld donc ça m’a influencé et j’ai donc naturellement commencé à aller vers l’autotune, mais je fais attention car ça peut vite être chiant ou mal fait. Après certains s’en sortent très bien. Le jour où on fait cette interview y’a Josman qui vient de sortir son album : je trouve qu’avec lui c’est très réussi par exemple. Mon frère a donc commencé à me proposer des prods plus actuel type Young Thug 2015, du coup l’autotune paraissait plus évidente. Il me balançait des prods où je ne me voyais pas rapper donc je me suis permis de tester le chant.La musique que je fais évolue en fonction de ce que j’écoute. 

Si je te dis que toi et ton frère vous avez un rapport scientifique à la musique, qu’est-ce que ça t’évoque ? 

Je sais qu’on réfléchit beaucoup en travaillant, l’idée d’être millimétré, d’être précis c’est important pour nous. On fait beaucoup chier l’équipe avec qui on travaille à vouloir faire des mixs et des mixs, on n’est pas content tant que ça ne sonne pas exactement comme on veut (rire). Là sur Odyssée on a essayé de réduire les détails, les changements dans les morceaux, ce qu’il y avait beaucoup sur Vanités. Parfois on avait des morceaux dont la structure était compliquée, au final grâce à notre équipe on a réussi à simplifier des morceaux pour les rendre plus glissant comme avec Mehdi par exemple et le titre Jamin qui est devenu fluide alors qu’il l’était beaucoup moins avant. On a beaucoup épuré le projet. C’est pas par ce que c’est très compliqué que c’est mieux, regarde Kanye parfois il va mettre une mélodie au synthé hyper simple et il va rapper dessus, y’a rien dans la prod, ça ne rend pas le morceau nul, au contraire ça le rend accessible et pourtant en terme de compo y’a rien. Y’en a trop qui veulent mettre 1000 effets, 1000 synthés mais au final ça n’apporte rien à la musique.  C’est au studio 31 de Tunisiano qu’on a tout record avec eux, on a fait le mix tous ensemble. Moi et mon frère on aime vraiment être là, on n’a pas tous les mêmes oreilles et donc si on écoute pas sur les mêmes enceintes c’est vraiment compliqué de s’accorder. On y passe beaucoup de temps mais on aime ça. 

« Pleins de gens peuvent me dire que j’ai tort de croire à ma réussite, que c’est faux. Je leur réponds que je m’en bas les couilles, laissez-moi tranquille, je veux y croire et je m’y sens bien »

Comment tes relations ont-elles influencées ta musique ou inversement ? 

J’essaye de plus parler d’amour, je veux pas que ça soit un automatisme. Je le ressentais dans mes relations, j’en étais limite rendu à vouloir que ça se passe mal et là ça commence à être toxique (rire). Après Philadelphia, où j’ai vraiment l’impression d’avoir raconté quelque chose, je me suis retrouvé un peu démunit. J’ai pas une vie de gangster et je ne vais pas mythoner du coup quand je suis arrivé sur Vanités j’ai encore parlé d’amour. Pour Odyssée je me disais qu’il fallait absolument que j’arrive à parler d’autre chose.

Pleins de gens peuvent me dire que j’ai tort de croire à ma réussite, que c’est faux, je leur réponds que je m’en bas les couilles, laissez-moi tranquille, je m’y sens bien

Pourquoi ce nom ? 

Au début j’avais le morceau Odyssée, que j’aimais beaucoup. Donc on l’a choisi pour nommer l’album et ensuite j’ai réfléchi aux significations. Commencer dans le rap en 2020 crois-moi c’est une odyssée.

Il y a un thème qui est récurent dans ta musique, c’est l’argent. Quel rapport as-tu avec ça ? 

Je pense que je parle de ça car actuellement c’est mon plus gros manque, après de manière plus générale y’a pleins de choses que tu ne peux pas faire sans. Aujourd’hui si tu veux faire des études supérieures si t’as pas les moyens tu nikes ta mère. Je pense à tous ceux qui ont envie et qui ne peuvent pas : ça doit être terrible. Il y a des génies qui ont des parents pauvres et qui ne pourront pas exercer leur savoir. C’est pareil dans la musique, tu peux être hyper talentueux, si t’as pas d’argent ça va être mort pour toi. Tout est lié à l’oseille, pour faire les choses, accéder à des choses, voyager… Je pense qu’on est tous concerné par ça. Quand tu regardes les gens dans la rue, dans les manifs, au fond du fond ils se battent pour l’argent, pour leur confort. Dans l’album y’a une phase où je dis « tous les blédars devant le Macdo voudraient la vie de Ronaldo mais ils n’auront que le maillot », ces mecs, ils jouent toute la journée au foot, ça se voit ils sont hyper passionnés, mais vas-y c’est la merde pour eux, ils sont dans un pays dans lequel ils n’ont même pas les papiers. Je me dis que je rêve d’être rappeur, et d’être né dans ma situation ça m’aide peut-être à atteindre ça. Quand je les vois eux je me dis que ça se trouve ils ont autant de talent que certains joueurs français mais qu’au final ils ne pourront jamais espérer être autre chose que ce qu’ils sont. 

Dans l’album il y a aussi une phrase que tu prononces, c’est « J’suis comme Sarah Conor, j’suis bien dans ma folie », tu peux nous parler un peu plus de ça, qu’est-ce que tu entends par « ta folie » ? 

Quand je dis ça je veux dire que lorsqu’elle est internée en psy elle s’y sent bien, elle veut y rester. Tu vois pour moi pleins de gens peuvent me dire que j’ai tort de croire à ma réussite, que c’est faux, je leur réponds que je m’en bas les couilles, laissez-moi tranquille, je m’y sens bien. Elle c’est pareil pour Sarah Conor, elle sait que le T1000 existe et personne ne la croit. 

Dans ce projet il n’y a qu’un seul feat, avec un artiste nantais qui s’appelle Gab. Comment as-tu fais ce choix ? 

Gab ça fait plusieurs années que je le connais. Je le suivais par ce que c’était un petit d’Heskis. Il a contacté mon reuf et ils ont fait des tracks ensemble. Je kiffais ses mélodies et c’était pile dans la direction cain-ri que j’avais prise avec Odyssée. Au final j’avais une prod un peu à la Playbloi Carti, mais j’ai pas la folie de ne pas réfléchir et de balancer un flow. Gab ça lui colle parfaitement. Il est venu chez moi, on a écrit ensemble, il adapté des choses, il a revisité le yaourt que je lui avais proposé. Il rime en cain-ri, il s’en tape de rapper techniquement, tant que ça glisse ça glisse. Moi j’vais vouloir des rimes précises : on n’a pas les mêmes volontés mais finalement ça colle très bien je trouve. 

Qui a fait la cover d’Odyssée ? 

C’est un gars à moi qui s’appelle Tade, il fait toutes mes covers depuis le début même quand j’avais un autre nom. Lui c’est son métier, il va me dire ce qu’il marche en ce moment, les typos du moment. Là pour Odyssée on s’est retrouvé tous les deux, on se demandait comment traduire ce terme hyper connoté. Tout ce qu’on voulait s’était rendre futuriste l’idée d’odyssée. Moi mon odyssée elle commence. Je pense que c’est spécial, ça va pas plaire à tout le monde mais c’est pas grave. Il a commencé à faire un croquis, je me suis dis dans aucune de mes covers on voit ma tête donc là je veux qu’on voit mon visage, alors on l’a mis en plein milieu. Pour le reste on a cherché des phases dans le projet qui pourraient être illustrées. 

Tu parles aussi beaucoup du regard des autres, du paraître 

Ça me travaille beaucoup. Pas forcément dans la musique mais dans ma vie privée. J’ai toujours été très introverti, comme si j’étais là, mais que je me regardais de l’extérieur. Je me suis grave renfermé dans les périodes dures où le regard des autres compte beaucoup comme au collège. J’ai été très seul pendant ces années-là. J’avais pas confiance. Au fil des années ça a changé. Aujourd’hui je suis hyper à l’aise avec ce que je renvoie. Mais je fais attention aux personnes vers lesquels je me tourne. Je regarde encore beaucoup le regard des gens, ça me touche encore et c’est pour ça que j’en parle. 

Tu évoquais les gens dans la rue, dans le titre Odyssée tu dis « trop souvent j’ai dû improviser comme la violence d’un policier ». Quelle position tu as vis à vis de ça ? Et plus généralement comment interprètes-tu ce que tu observes ? 

Je comprends les gens qui se battent, mais moi je ne fais pas les manifs. Peut-être que j’ai tord mais aujourd’hui j’essaye plus de me battre pour réussir dans la musique. Je ne vois pas mon avenir dans le salariat, c’est des combats qui ne me touchent pas directement. En fait j’observe plus que je ne participe. Après vis à vis de la police parfois t’as pas envie d’y croire tellement c’est abusé. Tu vois que les mecs y vont à l’instinct, et leur instinct c’est de taper en fait, comme des animaux. C’est juste écœurant, t’es impuissant par rapport à ça.  Après plus généralement, quand je fais deliveroo je vois vraiment les gens. Quand tu vas boire un verre en ville tu portes pas le même regard, moi je passe 3 à 4h par soir dans la rue. Tu vois la misère, les clochards, tu partages la rue avec eux, sauf qu’à un moment donné toi tu rentres chez toi, eux non. A force de voir ça, de voir des gens qui crient, qui sont fous, qui sont saouls, ça t’inspire forcément. Beaucoup de mes textes je les ai écrits à vélo. Je mettais mes yaourts sur ma JBL portable accrochée à mon sac, j’écrivais en allant chercher des commandes à vélo. Quand tu fais de l’exercice j’ai l’impression que ça travaille de ouf mon esprit. Mais là j’aimerai qu’il se passe autre chose par ce que j’ai l’impression d’avoir bien poncer cette vie-là. 

Odyssée est disponible à partir d’aujourd’hui, vendredi 27 mars. Un très solide 10 titres composé avec beaucoup de talent et de perfection. Coelho vous embarque avec lui dans sa vie nocturne et vous propose d’observer la ville d’un autre oeil. Avec sa sensibilité, son flow, son sens de la rime, le rappeur nous offre un projet éclectique et cohérent. Visuellement et textuellement, Coelho bouscule les codes. Fort d’une culture musicale large et forgée au fil des années, il délivre une proposition nouvelle dans le paysage du rap français.