La BO du futur date de 2017, elle s’appelle Digitalova

Fin février dernier sortait Trinity de Laylow. Album récit ou album concept comme on dirait dans le milieu, album venu consacré selon son auteur et bon nombre de critiques, le travail le plus accompli de sa carrière, déjà conséquente. 

On peut se réjouir du fait que cet album apporte enfin la considération qui est du depuis longtemps à un artiste qu’on a toujours qualifié jusqu’ici au mieux d’underground, au pire de sous coté. Trinity est en effet une oeuvre majeure non seulement de sa discographie mais aussi de son épopée et du rap français d’aujourd’hui. C’est un récit magistralement orchestré et masterisé par Dioscures, c’est l’avènement d’’une identité à la fois esthétique et sonore qui a toujours été celle de son auteur, fidèle à ses valeurs comme à ses soutiens, comme à son public de longue date. C’est également une lueur d’espoir de voir qu’il n’y a pas besoin d’aseptiser ce à quoi on croit si l’on est convaincu de faire ce qui est bon, c’est l’avènement d’une certaine patience, d’un certain acharnement à se débattre à la fois avec ses démons mais aussi avec une industrie musicale. Laylow ne sort pas de nulle part bien évidement, ce n’est pas le combat d’une seul homme et son talent seul qui le mènent aujourd’hui dans une certaine grille de référence. Derrière lui on retrouve Dioscures, fidèle pilier du personnage Laylow, Wit., ailier des premières heures mais aussi TBMA, la maison de production de clip sans qui la pertinence de l’identité Laylow ne serait pas aussi fascinante pour un public déjà nombreux de fidèles. Il me semble pourtant que si Trinity est un palier, sans doute un tournant voire même un tremplin, ce n’est pas le meilleur projet de Laylow. Il me semble qu’à l’heure d’évaluer le panel d’oeuvres que propose Laylow depuis bientôt 7 ans, Digitalova demeure le témoignage le plus percutant de qui il est. 

Il ne s’agit pas d’un jugement purement basé sur les valeurs qualitatives des projets car de ce point de vue, Digitalova comme Raw, Raw-z ou encore Trinity comportent tous de quoi affirmer le caractère unique de Laylow et son apport conséquent au paysage rap. Digitalova est peut-être le meilleur projet de Laylow dans le sens où il est son premier projet solo et que malgré tout, il est exceptionnellement riche. Là où Trinity propose un décor pour une oeuvre complète, Digitalova offre une diversité d’univers magistrale. Chaque titre donne à entendre et à imaginer un récit complet, un setting en 4 minutes. Le personnage à la fois digital, à la fois séducteur, à la fois bad boy que s’évertue à nous présenter le toulousain lors de ce premier essai est d’une complétude impressionante. Peut-être est-ce du au fait que contrairement aux autres projets la diversité des producteurs, notamment de renom avec des Risky Business, Everydayz ou encore lui-même sous l’alias Mr Anderson, permet un éclectisme qui fournit la BO d’une vie en accéléré. Tous ces titres pourraient à la fois raconter une nuit folle aux lueurs néons et autoroutes côtières vides comme ils pourraient s’inscrire dans le récit d’un temps long. 

Sortir un projet comme Digitalova en 2017 c’est avoir un temps d’avance considérable sur le rap jeu, avoir une vision que personne d’autre n’avait eu jusque-là, rien de ce qui était proposé par Digitalova à l’époque nous était familier.  Le titre de l’EP n’aurait pu être plus correct, ce personnage de lover digitalisé nous sert de guide dans un univers futuriste bercé par les sonorités comme les images d’une nuit d’été sans fin, une imagerie entre jeu vidéo, tuning et lover méditerranéen. Rarement une identité avait été aussi complexe, riche à l’image de la vie de Laylow qui exploite les influences de sa vie en Tunisie, mais aussi en Côte d’Ivoire et en tant qu’habitant de la banlieue toulousaine. Fasciné par la musique de Ja Rule lors de sa découverte du rap, l’influence bling bling s’ajoute à toutes ces composantes pour la construction de son personnage. 

En 2017 quand sort Digitalova, les seuls rappeurs à réussir à maitriser l’autotune en France sont (sont toujours?) PNL et Booba (avec retenue). PNL est alors le duo qui arrive à proposer grâce à cet outil, un son mélodique, mélancolique mais en même temps percutant, foudroyant de sincérité malgré l’altération du naturel des voix. Laylow propose alors de se servir de cet autotune non pas pour traduire son rapport avec l’extérieur, le monde dans lequel il vit et a vécu mais pour traduire son psyché. Le feu intérieur de Laylow reflètera ses dégâts et ses évolutions par l’autotune, barrière nécessaire pour pouvoir tout dire d’intime tout en restant dans l’entertainment.  La où PNL magnifie le succès, le vise et l’idéalise, Laylow magnifie sa loose, racontant ses échecs (dire pendant deux ans qu’on est le man of the year tout en sachant que c’est le même public toujours aussi réduit qui vous entend le dire, ça fortifie), esthétisant sa non-réussite, son incompréhension aussi de voir que sa recette ne marche pas alors qu’elle est bonne, il en est convaincu.

L’EP réussit le pari de nous faire passer d’une mélancolie romantique sur un son comme Bionic par exemple à la rage sourde et envieuse d’un titre comme Digital Vice City. A la mélancolie on associe souvent la colère, quand celle-ci se nourrit des frustrations des échecs, la puissance du message est décuplée parce que d’autant plus sincère et qu’il est d’autant plus facile de s’identifier à ce genre de combat dans nos vies personnelles. En ce sens c’est sans doute le titre Ignore qui résume le mieux la rage de vaincre qu’a Laylow à l’époque et celle qu’il continue à avoir, même avec ce succès nouveau. « J’suis juste en face de toi bébé pourquoi tu m’ignores » peut aussi bien s’adresser à la femme à laquelle il semblerait parler comme tout simplement à la fame. Laylow revient sur ses errements avant de déclarer qu’il s’est remis sur le seul chemin qu’il est pret à suivre maintenant : celui du succès. Il y a dans ce projet une énergie et une diversité de productions incroyables qui permettent de donner un rythme qui prend au corps à chaque piste. Produire un titre comme Wavy en 2017, atteignant des degrés d’aigu qui jusqu’alors semblaient antinomiques avec la notion de virilité dans le rap, produire un son d’EDM qui semblait tout aussi antinomique c’est faire une petite révolution à son échelle. Réclamer sa place dans un rap jeu qu’on trouve périmé mais quand même vouloir y trôner. Wavy n’a rien à envier au genre de productions qu’on entend aujourd’hui par les artistes les plus écoutés comme Jul ou bien So Manes. Rares sont les projets qui fournissent une aussi grande énergie. Des oeuvres comme Uncut Gems des frères Safdie ou Yeezus de Kanye West pourraient servir de grille de référence.

En 3 ans Laylow a fourni quatre projet extrêmement précieux. Il a évolué en nous donnant toujours une place majeure dans ses errances, dans ses affirmations, nous a incité à le suivre dans ce qui l’intéressait, l’inspirait, le fascinait, soucieux de construire à chaque fois une narrative assez bien ficelée pour nous emporter avec lui dans ces voyages. Digitalova avait environ 3 ans d’avance et même s’il sortait aujourd’hui, il serait toujours à l’avant-garde. Il le serait car rarement on nous a parlé de thématiques si différentes de celles dont on nous parle dans le rap habituellement avec autant de passion et de rage de vaincre. Il l’est parce qu’à l’heure où « donner de la force » est devenue une expression voire une demande courante de la part des rappeurs, c’est lui qui la donne ici, dans l’attente de la recevoir en retour mais il n’attendra pas le public, le succès pour continuer à la décupler. Elle est brute, nature, profondément personnelle et vitale et forcément, c’est en plein coeur qu’elle touche l’auditeur. Trinity n’a pas cette énergie là mais il en a une autre, plus narrative, plus esthétique, plus commune à une équipe en comparaison d’un album qui semblait être une adresse directe de l’artiste à l’auditeur. Il ne s’agit pas de dire que l’un est mieux que l’autre, il s’agit de remettre en perspective l’avènement de Laylow. En somme c’est comme si Digitalova, Raw, Raw-z avaient été les teasers et que Trinity était le film. 

Avec la sincérité et l’acharnement d’un passionné, celui qui se réclame Man of the year depuis bientôt 4 ans a enfin réussi à l’être et nous sommes enfin au rendez-vous pour lui dire qu’il a largement mérité ce titre, pas seulement pour Trinity mais pour l’intégralité de son oeuvre.