Maes : Je suis né un jour de pluie, j’ai annoncé l’averse

by Fifou

Après le succès de Pure sorti fin 2018, Maes a rempli son année 2019 avec deux singles : Nwr et Street grâce auxquels il s’est hissé en tête du classement. Il a aussi accompagné Dosseh sur le titre L’odeur du charbon, enfin il a été invité sur le titre A.S.B de Vald. Il démarre 2020 en dévoilant Les Derniers Salopards, sortit le 17 janvier dernier. Pure posait alors les jalons de ce que L.D.S confirme : Maes, artiste incontournable la scène rap francophone. Via le titre Madrina en feat avec Booba (qui restera très longtemps au classement), une réelle vitrine va s’offrir à lui pour délivrer au public un éventail très large de propositions. Polyvalent, il parvient à jongler entre une profonde mélancolie, une grande légèreté, et un flow sans accroc. 

Dans cet album on peut globalement distinguer quatre séquences. La première, et peut être la meilleure de l’artiste se rapporte à l’amertume et à la tristesse. Tandis qu’avec la deuxième, Maes détaille, avec un flow sec, rappelant bien entendu un rap des années 2010, comme sur les titres A côté de moi ou encore Elvira. Mais contrairement à Mula qu’on retrouvait sur Pure, il a ici incorporé des refrains chantés, ce qui offre une dimension supplémentaire aux morceaux. La troisième quant à elle, est dédiée aux singles qu’il propose parfois en amont de ses projets. Et enfin, la partie featuring, où il a voulu ici proposer trois gros banger, là où sur Pure nous avions eu seulement deux feats l’un très connu avec Booba sur Madrina, et l’autre plus discret sur Weed avec Zed, membre du 13 block. 

J’avais faim, on m’a appris à chasser, moi, on m’a pas ramener à graille 

L’album s’ouvre sur Dragovic, un Maes qu’on a l’habitude d’entendre sur une prod signée Hitachi ; efficace et relevée par une mélodie au clavier. Avec un phrasé coup sur coup, on retrouve le Maes de la fin de Pure, le Maes de Bâtiment, croisant son passage en détention, son quartier, sa position, avec toujours cette notion de regret mêlée à une forme d’obligation, « Quelques billets cachés, moi, j’voulais juste voir autre chose, moi » en enchaînant plus loin  « J’avais faim, on m’a appris à chasser, moi, on m’a pas ramené à graille ». 

Sur Mémoire le producteur Bersa nous offre ici une instru très mélodique, avec un semblant de sonorité XVIIIe dans le son des cordes qu’on pourrait rapprocher d’un clavecin. Il va alors déballer son flow en se calant sur la mélodie déroulée tel un tapis rouge.  Avec Les gens disent il reprend ce qu’il fait de mieux, avec une instru qu’on pourrait presque trouver faite pour Rémy, il y déballe son quotidien, du point de vente à la justice en passant par l’auto condamnation « je finirais derrière la vitre jugé coupable ».  Encore une fois on retrouve une référence à la chanson française puisqu’il reprend la phrase de Charles Aznavour Mes amis, mes amours, mes emmerdes, une influence qu’on reconnaît d’une manière ou d’une autre dans sa discographie mais avec parcimonie.  Dans le très bon titre Police on identifie un petit clin d’œil aux auditeurs d’il y a deux années : « Me serre pas la main tu connais le dicton » répondant à « Me serre pas la main je pourrais t’arracher ton bras/ Me serre pas la main toi et moi on s’connait pas » sur Billets Vert. Et oui, les vrais savent.

Je vend la mula couleur Homer 

Le retour irrévocable de Mula, ou de A.S.B plus récemment, où l’on retrouve un Maes qui détaille, qui découpe l’instru et la plaquette. Mais comme dit précédemment, on découvre un refrain chanté ce qui est plus rare et peut déstabiliser pour des morceaux sur lesquels il n’utilise pas de vocodeur. En apportant toujours une note d’humour « je suis dans une sacré salade il me faut deux avocats », sur fond de violences, armes, et règlement de comptes. Un cocktail qu’il maîtrise très bien et qu’il parvient à faire évoluer avec les années.

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Sur Marco Polo où on peut y déceler un parallèle entre un célèbre marchand italien et le rappeur, il remet « les pendules à l’heure ». En 2 minutes et 28 secondes on a une courte mais dense leçon. On soulignera d’ailleurs la phrase « un mensonge répété n’devient pas vérité », cassant la théorie hitlérienne selon laquelle un mensonge répété plus de mille fois deviendrait vérité. Une rectification qu’on avait déjà pu entendre chez Médine dans le titre Speaker Corner

Je suis marié à la street 

Street, est l’un des gros titres de l’album ; sortit le 31 octobre, il a permis de teaser L.D.S. Ici Maes y expose sa relation étroite avec la rue. On pourrait le comparer de manière exagérée avec Daniel Balavoine. On a déjà pu entendre Maes parler avec admiration du chanteur français. En effet on peut y retrouver des similitudes, notamment sur son flow lors du refrain. Mais en cherchant profondément on peut voir quelques hommages sur certains titres. Concernant Balavoine, on pouvait déjà entendre quelques mots du chanteur sur le titre L.D.S : « Jette la bouteille à la mer comme Balavoine, à l’intérieur tous mes cris mes S.O.S ».   Un type de morceau qu’on retrouvera au fil de l’album avec également Etoile

La sacem de Jonhy, la même que Soprano 

La grande déception de cet album demeure dans le feat avec Kopp.  Là où nous avions tous très envie d’une collaboration entre Maes et Booba, une collaboration qui sorte réellement du lot, les deux artistes nous renvoient vers ce qu’ils savent finalement faire de mieux. Sur une prod de Denza & Gerald, très ressemblante à celle de Madrina (si ce n’est rien qu’au niveau du BPM et des percussions utilisées) ils n’offrent finalement rien de neuf à cette rencontre mais un titre qui deviendra un immense banger sans aucun doute.  Pour reprendre l’expression de Mehdi Maïzi, « Ninho c’est notre Drake» (au sens où lorsqu’il est présent sur un feat il le fait exploser quoi qu’il arrive) : et bien, la théorie se vérifie encore et toujours. Ce titre a très bien fonctionné sur les plateformes de streaming puis sur YouTube, avec le clip sorti il y a quelques semaines. Il remplit ses promesses : efficace et cohérent.  Enfin, sur une instru écrite pour le rappeur marseillais, ce feat Jul – Maes était assez étonnant lors de la révélation de la tracklist. Un exercice facile pour l’un, qui se révèle peu complexe pour l’autre. Mais en rentrant dans une perspective critique il est indéniable que le morceau ressemble beaucoup à Je tourne en ronds. C’est malheureusement le souci qu’on peut vite rencontrer lorsqu’on travaille sur des instrumentales très semblables les unes des autres. De plus il aurait été intéressant de voir un Jul se tester sur une prod plus rapprochée de l’univers du rappeur de Sevran. 

Les derniers salopards signe un nouveau marqueur dans la carrière de Maes : sa polyvalence. Excellant dans différentes couleurs musicales ce nouvel album permet à l’artiste de dévoiler l’ensemble de ses facettes, qu’on pouvait auparavant retrouver ici et là dans certains projets, feats et singles mais qui enfin sont réunis en un album.  

Pure posait alors les jalons de ce que L.D.S confirme : Maes, artiste incontournable la scène rap francophone.