Sous la couronne, Stormzy construit son règne

La grime a toujours conservé une certaine constance non seulement dans son esthétique mais aussi dans une certaine confidentialité du genre vis-à-vis du grand public. On ne va pas vous refaire l’histoire de la performance de Kanye West aux British Awards comme élément déclencheur de cette notoriété actuelle, ce temps-là et ce soutien apparaissent déjà loin tant cette scène s’est émancipée à la fois des clichés qui lui collaient à la peau et de son besoin de visibilité.

Pour le “grand public” (toutes proportions gardées) la grime reste cependant un genre cantonnée à deux hommes: Skepta et Stormzy (sans oublier Wiley mais qui est déjà un nom de l’histoire plus que du contemporain pour les auditeurs plus “mainstream”). Deux ambassadeurs, des vétérans du style qui ont eu la chance d’avoir un internet boulimique de musiques pour enfin faire briller leur scène à l’échelle mondiale. Le premier album de Stormzy s’appelait Gang Signs and payer.

Deux ans plus tard, Stormzy a muri son approche et son propos, rendu le tout un peu plus propre et moins restreint aux thématiques de la rue. Récemment engagé contre Boris Johnson, il avait déjà en 2017 interpellé Theresa May après avoir reçu un Brit Awards sur sa gestion de l’incendie de Greenfell. Stormzy à bien d’autres choses à raconter que le quotidien qu’on prête aux jeunes gens en complet noir. Avec Heavy is the head, Stormzy a produit un projet plus grand encore: il est diversifié, polarisé, enrichi d’influences toujours plus diverses pour un résultat révélateur du travail abattu durant ces deux années d’absence.

Pour faire un album de 16 titres il faut avoir soit une certaine naïveté quant à la qualité de tous les titres que l’on propose soit une confiance bien solide quant à la pertinence d’une telle longueur. Pour éviter la première hypothèse il est préférable de bien s’entourer. Sur Heavy is the head, neuf writer producer ont été sollicités et chaque titre a été enregistré dans un studio différent. Chaque piste à donc une saveur assez particulière et assez singulière pour rendre le tout extrêmement plaisant et facile à digérer.

Big Michael est sans doute un clin d’oeil à cette évolution (le vrai nom de Stormzy étant Michael Omari, il s’agit d’un surnom pour lui-même). L’ouverture de l’album est une déclaration de puissance dans laquelle Stormzy rappelle son ascension et revendique son statut de jeune roi du rap anglais. Son retour signifiant la fin de la récré en quelques sortes. C’est d’ailleurs ce que vient confirmer le titre Audacity en dressant le portrait avec ironie de tous ces jeunes rappeurs qui ont profité de ce coup de projecteur pour tenter de se faire une place, oubliant parfois qu’il fallait en plus du talent un minimum de respect pour ceux qui leur ont ouvert cette porte.

Le titre Crown dévoile son vrai sens avec la phrase “heavy is the head that wears the crown“. Stormzy fait ici référence à la phrase de Shakespeare “Uneasy lies the head that wears the crown”. Mêlant à la fois la dramaturgie et une référence à son combat personnel contre la dépression. La tête et son intérieur devant être tous les deux assez solides pour supporter tout ce qui vient avec le titre qu’on associe à la couronne.

Le casting de cet album donne à voir un panel d’artistes made in UK avec le rappeur de Tottenham Headie One, la chanteuse londonienne Tiana Major9, le rappeur de Manchester Aitch ou encore une brève apparition du trop absent J Hus, sans mentionner bien sur la présence d’Ed Sheeran. La diversité des personnes impliquées dans ce projet lui donne une multitude de couleurs et d’ambiances représentatives de l’envie de Stormzy de vouloir s’essayer à tout ce qui est atteignable. Rainfall a un côté r’n’b des années 2000, Rachael’s Little Brother garde la rage du banger, One second est une bonne ballade, Own It avec Ed Sheeran et l’homme de l’année Burna Boy a tout du tube parfait.

Pop Boy est un titre parodique de la série Top Boy qui a rencontré un franc succès cette année. Le beat est sans doute un des plus percutant de l’album. Carton assuré pour ces basses accélérées, irréprochables comme le flow de Aitch qui fusionne littéralement avec la prod. Des “Heyyy” subtilement placés aux reverbs un peu plus dance en passant par la rythmique impeccable, Stormzy est devenu beaucoup trop grand pour se restreindre aux limites d’une niche d’auditeurs comme le prouve l’enchaînement avec Own It.

Wiley Flow est bien sur un hommage au parrain de la grime qu’est Wiley. Hommage en bonne et due forme avec une prod menaçante à souhait. Une piste héritage en quelques sorte puisqu’il se revendique de l’école de Wiley tout en admettant qu’il fait aujourd’hui lui aussi partie des anciens (“But as I approach my birthday/ All you man are my youngers”). Stormzy fait explicitement référence au titre Bad’ Em Up de Wiley (“Bad ’em up, bad ’em up, bad ’em up once/ Never could you take me for a dunce/ Been on the scene for a hundred months“). L’occasion de remercier un homme qui l’a d’ailleurs toujours aidé dans son ascension au premier rang qu’il occupe aujourd’hui.

Un peu plus loin le titre Lessons revient sur sa rupture avec Maya Jama en Août dernier après qu’il l’ait trompé aux yeux du monde entier. En toute honnêteté, si les excuses publiques peuvent paraître appréciables, pas sure qu’il soit nécessaire de revenir dessus avec un morceau que des millions de personnes écouteront. Peut-être que l’humiliation était déjà assez grande au moment des faits et que les auditeurs non intéressés par les gossips n’avaient pas besoin d’être des spectateurs de plus de cet événement peu agréable pour la jeune femme.

L’album se clôture sur Vossi Bop, premier single a être sorti depuis son album de 2017, hommage à la fameuse danse du même nom et petit hit aux 72 millions de vues. Durant 54 minutes Stormzy nous dévoile son évolution, son aisance ou malaise à revendiquer la couronne dont il s’affuble pourtant fièrement. Il s’autorise à peu près toutes les expérimentations sonores possibles mais se cale néanmoins sur des productions raisonnablement aventureuses. Heavy is the head est à la fois un point d’arrivée, celui qui après ces années et ces engagements le place comme porte parole de la scène grime mais aussi un point de départ pour un futur hors d’une scène dont il maîtrise visiblement déjà l’intégralité des codes.