S.Téban, seulement avec le mode sport

De retour dans le paysage rap francophone depuis juin 2020 avec le projet Base 015, S.Téban sait maintenant de quelle manière allait sonner la suite de sa carrière. Le 30 juillet 2021 sort sa mixtape Mode Sport Une partie de la nouvelle génération marseillaise est au rendez-vous comme Zamdane, Guapo Cartel, Niamsey, Zeboy et Alonzo qui le suit depuis ses débuts.
Accompagné de son beatmaker attitré Lyele Gwapo, c’est à Castellane que nous nous retrouvons. L’occasion de parler de ses débuts, son rapport à la mode mais aussi de sa vision dans la musique car maintenant il faut « activer le mode S, l’appuyer et aller à fond ».

Aujourd’hui on voit des rappeurs commencer de plus en plus tôt. Toi, malgré le fait que tu sois dans le rap depuis plusieurs années, tu bénéficies d’une reconnaissance assez jeune. A quoi te prédestinais-tu avant de commencer le rap ?
A vrai dire, c’est comme si dans tout mon parcours de vie il y avait toujours eu la musique, que ce soit à 100 %, à 30 % ou à 20 %. J’ai toujours eu cette activité musicale dans ma vie ; avec plus ou moins de proportion.

Y a-t-il eu un élément un particulier qui t’a donné envie de commencer la musique ?
Je pense que c’est culturel dans la vie de quartier. Tu as les grands du quartier qui écoutent de la musique dehors, ou dans les voitures. A l’époque, il y avait beaucoup de ce qu’on appelait les fêtes de quartier, il y avait beaucoup d’événements liés. Il y avait beaucoup de musique, que ce soit les concours de danses ou des groupes de rap qui se jouaient sur scène, etc., tu baignes dans ça.

C’est malgré toi ?
Ouais, après t’es au collège, tu es dans une période où tu as envie d’affirmer ta personnalité. Moi j’étais ce gars qui kiffait le son, un peu tchatcheur. Pas que je n’étais pas le seul, on était une équipe à être dans le truc.

Et c’est à quel moment où tu t’es dit qu’il fallait prendre le rap au sérieux ?
Pour moi c’était soit sérieux, soit rien. Il y a eu des périodes où j’ai plus sorti de sons parce que j’estimais ne pas être en mesure et en capacité de fournir un travail sérieux. Je respecte trop cette musique pour prendre ça à la légère.

Quels ont été tes modèles de réussite, que ce soit dans leur carrière ou dans la façon de travailler ?
J’ai beaucoup été influencé par la scène américaine, newyorkaise au début mais pas que, j’ai beaucoup écouté Kanye West dans ma vie, grosse influence, même si ça ne se retranscrit pas dans ma musique aujourd’hui parce que la musique évolue, mais c’est quand même un pionnier dans la manière de voir la musique. Après j’ai écouté pas mal de chose, à New-York, beaucoup de Dipset, Cam’ron, etc., Lil Wayne, l’époque CashMoney, Drake. L’histoire suit son cours, jusqu’à aujourd’hui, on suit l’évolution de la musique.

Ce sont quand même des influences très américaines ?
Sur l’entertainment, sur la manière de voir le business, de développer sa musique, sa marque, l’image, etc. C’est un des domaines où ils ont été en avance puisque ça vient de là-bas, mais ce n’est pas qu’aux États-Unis. Il y a en France des modèles de réussite qui peuvent aussi te donner des exemples ou t’influencer dans ce que ce que tu peux faire de bien.

Finalement, quel conseil tu aurais aimé recevoir au moment de te lancer dans le rap ? Que ce soit pour optimiser le temps ou éviter certaines erreurs. Je pense qu’aujourd’hui c’est important de faire ce que tu aimes surtout quand tu es dans ce genre de domaine, c’est de l’art, ça reste subjectif. Je pense que tu t’épanouis vraiment pleinement quand tu fais ce que tu aimes, peu importe les résultats que tu as. A un moment ou un autre, le public va sentir qu’un artiste est vrai parce qu’il fait vraiment ce qu’il aime. Après, tu peux, sur un coup, réussir en essayant de plaire à tout le monde, mais sur la durée ça ne marchera pas.

Tu me disais que tu venais du même quartier que les Psy 4 de la Rime, avec Alonzo, vous avez enregistré plusieurs morceaux ensemble, dernièrement le titre “ Paris-Dakar ”. Est-ce que tu peux raconter la genèse de cette relation ?
Alonzo c’est un grand de mon quartier, on écoutait beaucoup les Psy 4 de la Rime, grosse fierté dans le quartier. Il nous a tout de suite donné des conseils dont on avait besoin quand on s’est lancé avec mon groupe (Lygne 26 – ndlr). Il a toujours été là pour nous diriger vers des studios ou autres, pour qu’on puisse nous développer, parce que notre état d’esprit c’était l’indépendance. On n’avait pas monté de label mais on avait notre crew, on voulait développer les choses par nous-même. La genèse de la relation elle n’est même pas musicale, c’est vraiment une relation de gars du même quartier. Ce n’est pas que de la musique, nos familles se connaissent, je connais ses petits cousins. On a grandi ensemble, et on a grandi en les voyant grandir eux. C’est une relation naturelle, deux gars issus du même quartier.

Entre 2018 et 2020 tu as été un peu moins actif, je voulais savoir ce qui s’est passé pendant cette période, tu es revenu avec une proposition artistique plus singulière qu’avant ?
Il y a eu des évènements dans ma vie personnelle qui ont fait que j’ai dû prendre un peu de recul par rapport à la musique. C’est pour ça qu’il y a eu cette période de blanc entre 2018 et 2020. Ça été une période où il a fallu que je reconstruise des choses dans la vie personnelle, que je remette des choses à plat.
Ça m’a permis de prendre du recul et de savoir vraiment ce que je voulais apporter dans la musique, si j’avais encore l’envie et la passion de faire ce que je continue de faire aujourd’hui.

Parce que maintenant tu as vraiment ton style, que ce soit dans le choix des toplines, des prods mais aussi dans les clips. Est-ce que c’est compliqué de trouver son style dans le rap ?
C’est un long chemin, c’est comme devenir un homme, sans vouloir philosopher à outrance. C’est quand même un long chemin avant de savoir vraiment qui tu es, qui tu veux être. Même si tu as déjà ton ADN, je pense que dans la vie tu apprends tous les jours, il n’y a pas d’âge pour apprendre, c’est pareil pour trouver son style dans le rap. Il y en a pour qui ça vient plus tôt, certains savent déjà que toute leur vie ils vont faire de la drill. C’est un état d’esprit, ça dépend de ta personnalité. Mais j’ai toujours été plus ou moins ouvert, curieux tout en essayant de garder un style qui m’est propre.
Après c’est comme tout, la musique ça évolue, soit tu t’adaptes soit pas. Tout dépend de ton état d’esprit. Il y en a qui vont rester boom bap toute leur vie parce qu’ils kiffent ça à mort et c’est respectable, il y en a qui ont cette envie de toujours apporter une évolution dans le son et de s’adapter, moi je suis plus dans cette optique-là.

Une réflexion qui s’apparente un peu au personnage de Marlo dans The Wire. Tu fais souvent références à cette série, à quel personnage tu t’identifies le plus ?
Ça dépend des périodes de ta vie. Il y a quelques années je t’aurais dit Marlo parce que c’est le mec qui arrive à la saison 3 et il nique tout. C’est le mec qu’on n’attendait pas. Ce côté-là du personnage peut me plaire. Mais après avec du recul, The Wire c’est une série que j’ai vue et revue. En ce moment, je m’implique plus dans ce côté business étant donné que j’ai monté ma structure (Soulmates, Tesma Prod pour le nom du label – ndlr) donc je te dirais plus Stringer [Bell]. Après tu as Avon [Barksdale], ce OG (rires).

Photo par Maxime Combes

On sait qu’aujourd’hui l’image à un place importante dans l’esthétisme de la musique. Chez toi ça va de pair avec l’évolution de ta direction artistique, tu as une image plus soignée, notamment vestimentaire. Comment tu t’es intéressé à la distinction que pouvait apporter les vêtements ?
Je pense que de la même façon que la musique évolue, il y a l’image que tu dois apporter. L’image prend de plus en plus de place, c’est une évolution aussi de l’industrie en général, même si pour l’instant je n’y suis pas encore arrivé. J’ai toujours eu l’ambition d’avoir une image super maitrisée, super soignée et de travailler avec les meilleurs. Aujourd’hui, c’est banal de faire un clip : tu prends une caméra, tu fais un clip. J’ai toujours eu cette ambition d’avoir un clip qui va apporter un plus à ta musique, à la vision globale de ta musique.

Pour le coup, tu commences à être bien entouré. L’équipe de Lucien Clarke (de DCV’87, premier skateur à être signer chez Louis Vuitton) a clippé Mode S Freestyle. Ce n’est pas vraiment leur équipe, mais c’est un gars de Londres (Harry Turner) qui a tourné ce freestyle. Pareil, ce sont des connexions que j’ai eu via un gars de mon équipe. Ce n’est pas forcément voulu mais c’est des bonnes opportunités de montrer que, justement, on veut emmener autre chose à l’image tout en gardant un ADN marseillais, c’est important. Apporter autre chose, une autre palette à la ville.

On t’a récemment vu dans la campagne de Corteiz, comment s’est passé la connexion avec cette marque londonienne ?
Je pense qu’il y a un délire commun, qu’en France et à Londres on puisse avoir des similitudes dans les manières de s’habiller, même dans le lifestyle. Je pense que c’est par rapport à Internet, ça a européanisé le délire, la culture, voir ça l’a même mondialisé. Aujourd’hui, aux States tu vois des mecs s’habiller comme des gars en France alors qu’avant ils ne s’habillaient pas comme ça.

Photo de Walid Labri pour Corteiz

Le mode sport est une mentalité que l’on retrouve beaucoup chez toi, c’est un peu ton leitmotiv.
Mode sport ça part d’un freestyle. C’est un état d’esprit, justement, qui coïncide avec la période où je me remets à fond, à partir de 2019-2020, quand je me relance. Je me dis qu’il faut activer le mode S, l’appuyer et aller à fond. Je le dis souvent dans mes sons, même dans les futurs sons, c’est comme un gimmick. On peut dire que c’est un état d’esprit qui image ce que j’essaie d’apporter actuellement dans ma musique et ma manière de faire ma musique, de la faire et de la voir. Peut-être qu’avant j’étais moins actif parce que j’étais moins sans mode sport, je me prenais trop la tête. J’essaie encore de gommer ça et d’aller à fond vers ce que je kiffe comme je disais au début.

Récemment SCH a confié que croire en soi fait 50% de la réussite. Ça fait plusieurs années que tu es dans le rap, est-ce que le fait de croire en soi est le seul facteur qui fait que tu sois encore dans le rap aujourd’hui ?
De ouf ! Pour durer et encore être là faire cette interview, c’est sûr qu’il a fallu croire en soi. Depuis le début, je crois en mon potentiel et j’ai toujours été persuadé que j’avais ma place dans le milieu de la musique. Et en vrai ça fait beaucoup de croire en soi, ça te pousse à faire ce que tu fais.

Il y a eu un déclic à un moment qui t’as persuadé que c’était fait pour toi ?
Il y a l’entourage, l’entourage c’est très important. Faut être bien entouré, être entouré de personnes qui vont dans la même direction que toi, qui ont des objectifs communs avec toi, qui ne se tirent pas la bourre entre eux mais qui tirent vraiment dans le même sens. L’entourage ça fait beaucoup.

Base 015 est sortie il y a un an. Comment s’annonce la suite ?
Il y a de la nouvelle musique qui arrive, je sors une mixtape qui va s’appeler MODE SPORT en juillet. Le projet est fini, on est sur les mix et les mastering et le choix des clips, les réalisateurs etc. On est dans la mise en marché. Ça va être un 15 titres, un long format. Voilà, j’espère que les gens vont kiffer. J’espère que le niveau aura passer un pallier.